Couverture de SPUB_212

Article de revue

Ressources en soins palliatifs en France : disparités territoriales en 2017

Pages 169 à 175

Notes

  • [1]
    La Statistique annuelle des établissements de santé (SAE) est une enquête administrative exhaustive obligatoire, réalisée chaque année par la DREES auprès de tous les établissements de santé de France, pour recueillir des informations sur leur activité, leurs capacités, leurs équipements et leurs personnels médicaux et non-médicaux. Les données de 2017 sont les plus actualisées pour la partie « soins palliatifs ».

Introduction

1En France, une politique active en faveur d’un développement des structures de soins palliatifs est à l’œuvre depuis la fin des années 80, et notamment par la circulaire Laroque de 1986. Depuis, quatre plans triennaux se sont succédés, ayant chacun poursuivi cet effort [1-4]. À l’hôpital, l’offre de soins palliatifs est graduée pour répondre aux besoins du patient en fonction de la gravité, de la complexité et du degré de stabilité de son état. Lorsque les situations nécessitent de fréquents ajustements thérapeutiques et des éclairages pluridisciplinaires, la prise en charge peut avoir lieu dans des lits dits « identifiés » de soins palliatifs (LISP). Ces LISP sont installés dans des services qui sont confrontés à des fins de vie ou à des décès fréquents, mais dont l’activité n’est pas exclusivement consacrée aux soins palliatifs. Ces LISP répondent à un cahier des charges précis en termes de moyens, d’organisation et de ressources humaines [5-7]. Les cas les plus complexes et instables sont pris en charge dans des lits disposés dans des unités de soins palliatifs (USP), que nous appellerons LUSP [8]. Le dernier plan triennal 2015-2018 faisait le constat d’une grande disparité interrégionale d’équipements en lits de soins palliatifs. L’un des objectifs affichés de ce plan était de renforcer cette offre en lits de soins palliatifs et d’arriver à une densité moyenne minimale d’un lit d’USP pour 100 000 habitants. Aucun objectif chiffré n’était explicité concernant les LISP. Cet article a pour objet de constater l’évolution de l’offre en lits de soins palliatifs entre 2006 et 2017, puis de dresser un état des lieux de la répartition territoriale de cette offre en 2017 en France et de le discuter à l‘aune de l’objectif affiché.

Méthode

2Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive, utilisant les données nationales sur les USP et les LISP issues des enquêtes de la Statistique Annuelle des Établissements (SAE) réalisées par la DREES [1] ainsi que les données démographiques de l’Insee.

3Le Centre national a élaboré :

  • Un graphique présentant l’évolution de l’offre en lits de soins palliatifs (LUSP et LISP), entre 2006 et 2017.
  • Trois cartographies décrivant le rapport entre l’offre en soins palliatifs et les données démographiques de la population française à l’échelle départementale en 2017 :
    • le nombre de lits d’USP pour 100 000 habitants (indicateur prévu dans le Plan soins palliatifs 2015-2018),
    • le nombre de LISP pour 100 000 habitants,
    • le nombre cumulé de LUSP et de LISP pour 100 000 habitants.

Résultats

L’offre en lits de soins palliatifs au plan quantitatif

4Entre 2006 et 2017, le nombre de LUSP a augmenté de 67 %, passant de 1 056 LUSP, répartis dans 98 USP, à 1 765 LUSP répartis dans 157 USP. Sur cette même période, le nombre de LISP a augmenté de 128 %, passant ainsi de 2 281 LISP disposés dans 386 établissements à 5 204 LISP disposés dans 848 établissements sanitaires (figure 1).

Figure 1

Évolution du nombre de Lits de soins palliatifs (LUSP) et de Lits identifiés de soins palliatifs (LISP) en France entre 2006 et 2017

Figure 1

Évolution du nombre de Lits de soins palliatifs (LUSP) et de Lits identifiés de soins palliatifs (LISP) en France entre 2006 et 2017

NB : La SAE a connu une refonte en 2013. Cette refonte a introduit, pour de nombreuses variables, une rupture de série en 2013, qui complique l’analyse des évolutions entre les années antérieures et postérieures à 2013. Ainsi, l’évolution du nombre de LUSP et de LISP est à interpréter avec prudence, comme l’indiquent les pointillés sur les graphiques. De plus, depuis 2013, les données de la SAE relatives aux soins palliatifs sont collectées tous les 2 ans.
Source : Drees, enquête SAE 2006-2017

5À l’échelle nationale, la France était dotée en moyenne de 2,6 lits d’USP pour 100 000 habitants en 2017. Vingt-sept départements restaient dépourvus d’USP, donc de LUSP : Allier, Alpes-Haute-Provence, Ardennes, Ariège, Cantal, Cher, Corrèze, Creuse, Eure-et-Loir, Gers, Guyane, Haute-Loire, Haute-Marne, Haute-Saône, Indre, Jura, Loir-et-Cher, Lot, Lozère, Manche, Mayenne, Mayotte, Meuse, Orne, Pyrénées-Orientales, Tarn-et-Garonne et Vosges. Outre les deux DROM, la plupart des départements sont situés autour d’un axe vertical passant au centre-ouest du pays. Les 74 autres départements disposaient tous d’au moins une USP, mais avec un nombre de LUSP pour 100 000 habitants variant de 0,7 pour La Réunion à 9,4 pour Paris. Parmi ces départements, 38 avaient une dotation inférieure à la moyenne nationale, dont quatre comptaient moins d’un LUSP pour 100 000 habitants : Vendée, Eure, Isère, La Réunion (figure 2A).

Figure 2

(A) Nombre de Lits en unités de soins palliatifs (LUSP) pour 100 000 habitants par département français en 2017 ; (B) Nombre de Lits identifiés de soins palliatifs (LISP) pour 100 000 habitants par département français en 2017 ; (C) Nombre de Lits de soins palliatifs (LUSP et LISP cumulés) pour 100 000 habitants par département français en 2017

Figure 2

(A) Nombre de Lits en unités de soins palliatifs (LUSP) pour 100 000 habitants par département français en 2017 ; (B) Nombre de Lits identifiés de soins palliatifs (LISP) pour 100 000 habitants par département français en 2017 ; (C) Nombre de Lits de soins palliatifs (LUSP et LISP cumulés) pour 100 000 habitants par département français en 2017

Source : Drees, enquête SAE 2017 ; Estimation de population au 1er janvier 2018, Insee

6En 2017, la France était dotée de 7,8 LISP pour 100 000 habitants, avec une plus forte densité en LISP dans les 27 départements sans LUSP que dans les autres, avec en moyenne 9,6 LISP pour 100 000 habitants. Neuf départements sans LUSP ont une densité de LISP nettement en dessous de la moyenne nationale (4,3 LISP pour 100 000 habitants) : Alpes-de-Haute-Provence, Ardennes, Ariège, Jura, Haute-Marne, Mayenne, Haute-Saône, Guyane, Mayotte. Ces deux derniers départements n’ont ni USP ni LISP. Par ailleurs, parmi les 38 départements dotés d’un nombre de LUSP inférieur à la moyenne nationale, 17 cumulaient également une densité de LISP inférieure au niveau national : Alpes-Maritimes, Ardèche, Charente-Maritime, Eure, Gard, Gironde, Isère, Loire, Haute-Savoie, Seine-et-Marne, Var, Vaucluse, Vendée, Vienne, Seine-Saint-Denis, Guadeloupe, La Réunion (figure 2B).

7En cumulant les LUSP et LISP disponibles par département, la densité en lits, dont l’objet est d’accueillir des patients nécessitant des soins palliatifs, était de 10,5 pour 100 000 habitants. Parmi les 27 départements dépourvus d’USP, 10 compensaient numériquement le déficit en LUSP par des LISP, avec une densité de lits de soins palliatifs supérieure à la moyenne nationale : Cantal, Cher, Corrèze, Creuse, Eure-et-Loir, Gers, Indre, Loir-et-Cher, Lot, Orne. Seuls 18 sur les 38 autres départements sous-dotés en LUSP comparés à la moyenne nationale compensaient ce déficit par la présence de LISP : Calvados, Indre-et-Loire, Loire-Atlantique, Loiret, Maine-et-Loire, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Puy-de-Dôme, Haut-Rhin, Rhône, Saône-et-Loire, Sarthe, Savoie, Seine-Maritime, Somme, Tarn, Yonne, Val-d’Oise (figure 2C).

Discussion

Une amélioration lente mais certaine de la densité en structures de soins palliatifs, surtout grâce à la création de LISP, néanmoins des disparités territoriales perdurent

8Entre 2006 et 2017, l’offre en lits de soins palliatifs a nettement augmenté. Avec 2,6 LUSP pour 100 000 habitants en 2017, la dotation française en LUSP s’approche de celles de pays comparables et qui utilisent les mêmes indicateurs (3,4 LUSP pour 100 000 habitants en Belgique en 2017 [9] ; 4,2 LUSP pour 100 000 habitants au Royaume-Uni en 2015 [10]). Qualifié de « peu ambitieux » par l’IGAS dans son dernier rapport [11], l’objectif minimal d’un LUSP pour 100 000 habitants annoncé dans le dernier plan était donc largement atteint au niveau national. Cependant, l’accès à un LUSP reste inégal sur le territoire français. Une enquête publiée en 2015 avait déjà fait ce constat soulevant des disparités interrégionales, à l’époque des anciennes régions [12]. Dans son axe 4 intitulé « garantir l’accès aux soins palliatifs pour tous : réduction des inégalités d’accès aux soins palliatifs », le dernier plan soins palliatifs 2015-2018 avait comme objectif de diminuer ces inégalités territoriales. Il soulignait dans son action 14-1 la nécessité de renforcer les moyens en USP pour les régions qui n’atteignent pas un lit pour 100 000 habitants [4]. Notre étude montre, qu’en 2017, bien que 19 USP, 213 LUSP et 149 LISP aient été créés au titre du dernier plan, 27 départements ne disposaient toujours pas d’USP (tableau I). Elle montre aussi que ces départements se répartissent globalement autour d’un axe dessinant un croissant Nord-Sud, et sont tous des départements sans CHU. Ceci n’est pas étonnant si on admet que les USP ayant une vocation d’enseignement, de recherche et de formation se sont principalement implantées, pour déployer au mieux cette triple vocation, dans des CHU ou de grands centres hospitaliers. De plus, on constate que ce croissant géographique sans USP correspond à une zone où la densité de population est faible (44,3 habitants au km² en moyenne versus 104 au plan national), avec une pénurie générale et connue de services publics [13]. Au total, 10 % de la population française n’est pas couverte par une USP. On ne peut que saluer la politique ayant visé à compenser ces sous-dotations en LUSP par la création de LISP à partir de 2002. Mais, notre étude montre que l’effort n’a pas encore permis d’obtenir une complète remise à niveau de ces inégalités territoriales, du moins si l’on s’en tient à une analyse en termes strictement quantitatifs. En effet, la compensation n’a été effective que pour 10 des 27 départements sans LUSP et 18 des 38 départements sous-dotés en LUSP.

Tableau I

Nombre de départements excédentaires ou déficitaires en Lits de soins palliatifs comparativement à la moyenne nationale en 2017

Dotation en LUSPDotation en LISPDotation en Lits de soins palliatifs (LUSP + LISP)TOTAL
Moyenne nationale : 2,6 LUSP pour 100 000 habitantsMoyenne nationale : 7,8 LISP pour 100 000 habitantsMoyenne nationale : 10,5 Lits de soins palliatifs pour 100 000 habitantsDépartements sans USPDépartements avec USP
+++15
015
++8
08
+13
013
++28
1018
+11
83
26
917

Nombre de départements excédentaires ou déficitaires en Lits de soins palliatifs comparativement à la moyenne nationale en 2017

Source : Drees, enquête SAE 2017 ; Estimation de population au 1er janvier 2018, Insee

Des LISP dont on ne connaît pas très bien le vrai niveau d’activité en soins palliatifs…

9Cette étude, combinant les LUSP et les LISP pour représenter l’offre globale en soins palliatifs, fait l’hypothèse que les LISP pourraient compenser les LUSP en termes de services palliatifs rendus aux patients. Si les textes de loi précisent que la vocation des uns et des autres est légèrement différente : « Les lits identifiés (LISP) constituent le deuxième niveau [de l’offre en soins palliatifs], par l’application d’une démarche palliative spécifique au sein des services non totalement dédiés aux soins palliatifs, confrontés à des fins de vie ou des décès fréquents », le rôle des LISP est bien malgré tout, selon cette définition, de prendre en charge les besoins en soins palliatifs des patients en fin de vie hospitalisés dans ces lits. Est-ce bien le cas ? Les quelques études existantes s’étant intéressées au fonctionnement des LISP font état de certaines difficultés : « les conditions de fonctionnement décrites dans le référentiel de 2008 sont très inégalement mises en œuvre » [14] ; [les difficultés relevées dans les LISP sont] « (1) un manque de formation ; (2) un manque de temps ; (3) un manque de ressources humaines ; (4) un manque de communication ; (5) des difficultés quant à la transition entre curatif et palliatif » [15]. Il se pourrait donc que les LISP aient du mal à offrir les mêmes prestations palliatives que les USP. De plus, selon une analyse préliminaire des données 2018 de l’ATIH, on meurt nettement moins au cours des séjours LISP qu’au cours des séjours USP : quatre patients sur cinq hospitalisés en USP y décèdent, contre seulement un tiers en LISP. Notre étude ne permet pas de conclure sur les raisons de ces différences, mais ces données interpellent et incitent à poursuivre les investigations pour mieux les comprendre. Qui sont exactement les patients qui sont hospitalisés dans des LISP ? Quelle est la prestation de soin qui leur est fournie ?

Les besoins en structures de soins palliatifs sont-ils les mêmes sur l’ensemble du territoire ?

10L’analyse qui vient d’être faite de l’offre en soins palliatifs en termes quantitatifs ne suffit pas à conclure sur la question de savoir si elle est satisfaisante ou non. Pour y voir plus clair, il faudrait pouvoir la mettre en regard avec une analyse des besoins selon les territoires. On peut, en effet, s’interroger pour savoir si, dans les départements sous-dotés, les besoins en soins palliatifs ne seraient pas moindres que dans les autres, ce qui pourrait être une bonne explication au fait que l’offre y ait été moins développée. À première vue, il ne semble pas que ce soit le cas. En effet, le taux de décès dans ces départements, hormis la Guyane et Mayotte, varie entre 9,4 et 16,8 décès pour 1 000 habitants, soit un taux supérieur au taux de mortalité brut de la France de 9,1 ‰ en 2017. De plus, si l’on se réfère à la proportion de patients âgés et très âgés par département ou à celle, dans ces mêmes départements, de personnes décédées par cancer, qui sont a priori deux catégories de personnes particulièrement susceptibles d’être requérantes en soins palliatifs, la tendance se confirme. En effet, les 27 départements sans USP ont une part de personnes âgées de 75 ans et plus supérieure à la moyenne nationale (11,3 % versus 9,2 %) [16]. A contrario, les données de l’Inca concernant les taux de mortalité standardisés par cancer montrent que ces départements sans USP sont en moyenne autant concernés que les autres par des décès liés au cancer, et présentent donc, a priori, autant de besoins potentiels en soins palliatifs [17].

11Des études complémentaires sur les besoins à l’échelle territoriale permettrait de mieux comprendre si l’offre actuellement en place est satisfaisante. Il serait également intéressant de questionner la place des équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) dans cette organisation. Si nous savons que leurs activités se développent [18], notamment dans la prise en charge palliative à domicile et en Ehpad, il est encore difficile d’évaluer si leurs interventions permettent de compléter l’offre en soins palliatifs et de répondre pleinement aux besoins des patients.

Conclusion

12Si elles veulent réduire les inégalités d’accès à des lits de soins palliatifs, les stratégies politiques à venir devront poursuivre leurs efforts de développement en structures de soins palliatifs. Mieux comprendre ce qu’il se passe réellement au sein des USP et des LISP et affiner l’analyse en termes de besoins différentiels des populations selon les territoires sera également indispensable pour mieux ajuster les efforts.

13Aucun conflit d’intérêts déclaré

Références


Mots-clés éditeurs : soins palliatives, politique de santé publique, offre de soins

Date de mise en ligne : 20/09/2021

https://doi.org/10.3917/spub.212.0169

Notes

  • [1]
    La Statistique annuelle des établissements de santé (SAE) est une enquête administrative exhaustive obligatoire, réalisée chaque année par la DREES auprès de tous les établissements de santé de France, pour recueillir des informations sur leur activité, leurs capacités, leurs équipements et leurs personnels médicaux et non-médicaux. Les données de 2017 sont les plus actualisées pour la partie « soins palliatifs ».

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