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Article de revue

Confinés en confinement au temps du Covid : la situation des communautés religieuses cloîtrées en France

Pages 51 à 60

Introduction

1 Le 11 mars 2020, l’OMS déclarait que l’épidémie mondiale de COVID-19 était une pandémie [1]. Très vite, il est apparu que certains facteurs de risque exposaient à des formes graves, d’admission en réanimation ou de décès, comme l’âge de plus de 65 ans, une maladie chronique ou un déficit immunitaire [2]. Afin de limiter la transmission du virus SARS-CoV-2, des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale ont été mis en place, impliquant de se laver régulièrement les mains ou d’utiliser un gel hydro-alcoolique (GHA), de porter un masque visant à diminuer la transmission du virus [3].

2 Devant la constante augmentation des contaminations et des décès, associée au non-respect des consignes de distanciation par une partie de la population [4], la France est entrée en confinement par décision gouvernementale le 17 mars 2020 [5].

3 Malgré la mise en place des mesures de distanciation et une baisse des contaminations pendant le mois d’avril, au 30 juillet, on comptait en France, 186 573 cas confirmés avec 30 254 décès dans la population générale, dont 39 638 cas confirmés et 10 515 décès dans les EHPAD et EMS (Établissements Médico Sociaux) [6].

4 Dans ce contexte, afin d’allier sécurité et vie religieuse, l’Église catholique a très vite réagi en sachant qu’une grande proportion de ses membres sont âgés et les lieux de culte pouvant être de potentiels clusters à l’image d’autres lieux de rassemblement [7]. Ainsi, en complément des mesures du gouvernement [8], l’archevêché de Paris puis la Conférence des Évêques de France ont émis des recommandations afin d’adapter les gestes barrières à la liturgie [9, 10]. Malgré ces mesures, les communautés religieuses non cloîtrées ont beaucoup été touchées par la pandémie, avec souvent la contamination d’une plus ou moins grande partie de la communauté [11, 12] associée à un ou plusieurs décès [12, 13] parmi leurs membres les plus âgés. En revanche, dans les monastères cloîtrés où de nombreux religieux âgés vivent en communauté, seulement deux monastères semblent avoir été touchés : le premier de 28 moines, où les deux tiers ont été contaminés et trois sont décédés [14], le deuxième où au moins un moine est décédé [15].

5 La population monacale est un groupe sociologique cloîtré, composé de moines ou de moniales qui vivent volontairement dans des monastères. Tous les membres ont en commun le désir de consacrer leur vie à la recherche du même Absolu qui passe par une certaine austérité et une régularité de vie. Les monastères sont bâtis loin des villes, à l’écart de la société, de façon à permettre le plus possible une vie en autarcie, de plus en plus difficile aujourd’hui [16].

6 Le moine (ou la moniale) cloîtré peut entrer au monastère à partir de 18 ans pour y rester jusqu’à sa mort et y sera enterré. Après quelques années où il est entièrement immergé dans la vie monastique, le jeune moine (ou la moniale) prononce, en plus des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, des vœux de stabilité où il s’engage à rester toute sa vie dans le même monastère et à suivre le mode de vie qui y est proposé [17].

7 La vie du moine (ou moniale) repose sur les grands temps de méditations rythmant sa journée, le travail manuel et la pratique de la gratitude et de l’altruisme [18]. Ces dimensions essentielles de la vie du moine se font dans un respect strict du silence, afin de permettre à chacun de poursuivre sa méditation tout au long de la journée.

8 Les différents ordres monastiques catholiques peuvent avoir des particularités au niveau du mode de vie (alimentation, intensité des travaux physiques, temps de méditation), mais sont structurés autour de la Règle de Saint Benoît (VIe siècle) qui propose un mode de vie simple et répétitif [19]. Cette règle décrit en détail l’organisation concrète de la vie des moines et moniales, en application des vertus monastiques que sont l’obéissance et l’humilité [18].

9 Le rythme de vie est soutenu et régulier. Voici, en exemple, le déroulé de la journée d’un moine [20] : 4 h 45 lever ; 5 h prière en communauté (Matines) ; 6 h 10 prière en communauté (Laudes) ; 6 h 40 messe, puis prière personnelle ; 8 h 15 prière en communauté (Prime) ; 8 h 45 petit-déjeuner, puis prière personnelle ; 10 h 00 prière en communauté (Tierce), puis messe ; 11 h 15 travail manuel/étude/enseignements ; 12 h 50 prière en communauté (Sexte) ; 13 h 05 déjeuner ; 14 h récréation ; 14 h 35 prière en communauté (None), puis travail jusqu’à 17 h 45 ; 18 h prière en communauté (Vêpres) ; 18 h 30 prière personnelle ou travail (cuisine) ; 19 h 25 dîner ; 20 h prière personnelle ; 20 h 25 prière en communauté (Complies), puis prière personnelle ; 21 h coucher.

10 De plus, les écrans sont proscrits à titre individuel, ainsi que téléphones portables et télévision [18]. Le tabac n’est pas admis et l’alcool doit être consommé avec modération [18]. Des temps de détentes en communauté, où les conversations peuvent être autorisées, sont proposés une fois par jour [18]. Ce mode de vie en silence dans un univers cloîtré, très réglé et répétitif, où chaque moine ou moniale a des responsabilités bien définies, a pour but de se dégager autant que possible des inquiétudes matérielles, afin que chaque moine ou moniale puisse s’attacher à l’essentiel de leur vie [20].

11 D’ailleurs, il est intéressant de noter que, pendant le premier confinement, de nombreux articles ont présenté la vie monacale des communautés cloîtrées comme un modèle de confinement [17, 21–23].

12 À ce jour, il n’y a aucune publication sur l’impact de la pandémie dans des monastères cloîtrés. Il est possible que les mesures de prévention aient été appliquées dans les monastères cloîtrés de la même façon, voire mieux, que dans la population générale, et que le fait d’être cloîtré ait diminué le risque de contamination.

13 Le but de cette étude était d’évaluer l’impact de la pandémie et des mesures de prévention mises en place pendant le premier confinement dans les monastères cloîtrés en France.

Méthode

14 Il s’agissait d’une étude par questionnaire qui a été réalisée du 25 juillet au 25 août 2020 et dont toutes les réponses ont été anonymisées.

15 L’objectif principal était d’évaluer le nombre de moines et moniales ayant eu la COVID-19 dans des monastères cloîtrés, pendant le premier confinement en France.

16 Les objectifs secondaires étaient de caractériser : 1/ Les mesures prises dans la vie communautaire ; 2/ Les modalités de prévention pour les moines ou moniales sortant et revenant dans le monastère ; 3/ Les mesures prises dans le monastère en ce qui concerne l’accueil des personnes extérieures.

17 Le choix a été fait d’inclure, parmi les monastères cloîtrés, les huit Ordres religieux les plus connus de moines et de moniales, à savoir : bénédictins/bénédictines, cisterciens/cisterciennes, carmélites, chartreux, visitandines, clarisses, annonciades et moniales de Bethléem.

18 Afin d’avoir une meilleure représentativité, les monastères cloîtrés de trois grandes régions ont été sollicités (Nouvelle-Aquitaine, Centre et Auvergne-Rhône-Alpes), parce que tous les ordres sus-cités y étaient représentés et que ces régions représentaient 35 % de la superficie du territoire métropolitain français (tableau I).

Tableau I

Répartition par région et par Ordre monastique de l’ensemble des monastères existants et sollicités (n = 61)

Nouvelle-AquitaineCentreAuvergne-Rhône-Alpes
Bénédictins/bénédictines4 / 52 / 13 / 3
Cisterciens/ cisterciennes– / 2– / –4 / –
Carmélites637
Chartreux2
Visitandines5
Clarisses216
Annonciades1
Moniales de Bethléem4

Répartition par région et par Ordre monastique de l’ensemble des monastères existants et sollicités (n = 61)

Légende : – signifie absence de communauté dans l’ordre indiqué et la région choisie.

19 Une demande de participation à l’étude a été envoyée au supérieur de chacun des 61 monastères répertoriés : 13 d’entre eux n’ont pas souhaité participer à la recherche, 12 n’ont pas donné de réponse et 36 ont accepté de participer à cette enquête par questionnaire. Les questionnaires ont ensuite été envoyés par mail.

20 Le questionnaire se présentait sous forme d’une page A4 recto et comprenait quatre parties : 1/ Nombre de moines et moniales contaminés et décédés ; 2/ Mesures de prévention prises dans la vie communautaire ; 3/ Mesures de prévention prises pour la ou les moines et moniales allant à l’extérieur puis revenant au monastère ; 4/ Mesures de prévention prises pour l’accueil des personnes extérieures au monastère.

21 Il comportait 26 questions fermées (oui/non) avec un espace pour des commentaires libres. Il a été relu par un moine médecin vivant dans un monastère cloîtré pour juger de sa faisabilité. Puis, il a été envoyé par mail au responsable de chacun des 36 monastères ayant accepté de participer à l’étude, en demandant une réponse dans le mois, par mail ou par courrier. Il devait être rempli par une seule personne du monastère, le supérieur ou l’infirmier. En cas de non obtention du questionnaire à la date prévue, un rappel par mail a été réalisé. Tout questionnaire partiellement rempli était considéré comme exclu de l’analyse.

22 Les variables quantitatives ont été analysées en utilisant les moyennes et écarts-types et les variables qualitatives par le biais des nombres absolus et pourcentages. Le test de Kruskall Wallis a été utilisé pour la comparaison des distributions. Un test de chi 2 a été utilisé pour comparer les taux de mortalité. Une valeur de p < 0,05 a été retenue comme significative.

Résultats

23 Sur les 36 monastères acceptant cette recherche par questionnaire sur un sujet d’actualité, 35 questionnaires ont été récupérés (taux de réponse = 35/36, soit 97,22 %), mais un questionnaire était mal rempli et inutilisable (taux d’exploitation = 34/35, soit 97,14 %).

24 Des monastères de huit Ordres religieux ont été inclus dans l’étude. Le tableau II représente la répartition par région et par Ordre monastique de l’ensemble des 34 monastères ayant participé à l’étude. Dix d’entre eux recevaient des moines et 24 des moniales, ce qui représentait un total de 724 religieux cloîtrés (313 moines et 411 moniales). Le test de Kruskall Wallis a montré qu’il n’y avait pas de différence de distribution des différents Ordres monastiques entre ceux existant dans les trois régions choisies et ceux ayant répondu au questionnaire (p = 0,23).

Tableau II

Répartition par région et par Ordre des monastères ayant été inclus dans l’étude (n = 34)

Nouvelle-AquitaineCentreAuvergne-Rhône-Alpes
Bénédictins/bénédictines3 (55) / 5 (117)2 (82) / 1 (13)2 (40) / 2 (49)
Cisterciens/ cisterciennes0 / 1 (12)4 (136) / 0
Carmélites3 (42)1 (4)2 (17)
Chartreux0
Visitandines001 (16)
Clarisses01 (4)2 (17)
Annonciades1 (7)
Moniales de Bethléem4 (113)

Répartition par région et par Ordre des monastères ayant été inclus dans l’étude (n = 34)

Légende : En gras figure le nombre de monastères inclus dans l’étude, décliné par ordre (lignes) avec pour certains moines/moniales, puis par région (colonnes). 0 signifie refus de participation à l’étude. Entre parenthèses figure le nombre de religieux vivant dans les monastères.

25 Cette étude a montré que sur le total des 724 religieux, 25 moines et moniales ont été atteints par la COVID-19 pendant le premier confinement (soit 3,4 %) (tableau III). Ces personnes se répartissaient dans deux monastères de la même région (22 dans le premier dont 3 sont décédées et 3 dans l’autre). Ce taux de décès représentait donc 0,4 % de la population étudiée (tableau III).

Tableau III

Comparaison des contaminations par SARS-CoV-2 et des décès dans trois régions françaises au 30/07/2020, dans la population générale (6,36–38) et dans les monastères cloîtrés (présente étude)

Population généraleMonastères cloîtrés de l’étude (n=35)
Nouvelle AquitaineN = 5 999 982
Contaminés : 5 586
Décédés : 425
N = 226
Contaminés : 0
Décédés : 0
Centre Val-de-LoireN = 2 559 073
Contaminés : 1 275
Décédés : 559
N = 110
Contaminés : 25
Décédés : 3
Auvergne – Rhône – AlpesN = 8 032 377
Contaminés : 3 887
Décédés : 439
N = 388
Contaminés : 0
Décédés : 0
TOTAUXN = 16 591 432
Contaminés : 10 748 (0,06 %)
Décédés : 1 423 (0,009 %)
N = 724
Contaminés : 25 (3,45 %)
Décédés : 3 (0,4 %)

Comparaison des contaminations par SARS-CoV-2 et des décès dans trois régions françaises au 30/07/2020, dans la population générale (6,36–38) et dans les monastères cloîtrés (présente étude)

Légende : les totaux des taux de contamination au SARS-CoV-2 et de décès dans la population des 3 régions sont exprimés en pourcentage.

26 Lors de la réalisation de l’étude (au 30 juillet 2020), on comptait en France, dans la population générale (N = 66 524 000) (20), 0,3 % de cas confirmés et 0,05 % de décès [6].

27 Malgré un mode de vie déjà confiné, de nombreuses mesures de prévention ont été prises à l’intérieur des communautés pendant le premier confinement. La moitié des monastères cloîtrés français a ressenti la nécessité de se confiner davantage. Aussi, tous ont mis en place des gestes barrières et des mesures de distanciation, à l’intérieur de leur monastère, de la façon suivante, comme cela a pu être précisé par les réponses aux questions ouvertes et les commentaires libres (figure 1) :

  • Deux tiers des monastères ont utilisé du GHA à l’entrée du lieu de prière et au cours des offices (avant et après la communion), avant et après les repas, les réunions, le passage aux toilettes. Certains l’ont également utilisé au niveau des surfaces (poignées, rampes d’escalier, toilettes). La plupart des supérieurs ont régulièrement encouragé leur communauté à se laver plus souvent les mains et à utiliser le GHA.
  • Un quart des monastères ont porté un masque, à l’intérieur du monastère, lors de situations précises : prière en communauté, messe, à l’infirmerie, en présence des personnes âgées, d’un moine ou moniale symptomatique ou des ouvriers.
  • Deux tiers des monastères ont mis en place des mesures de distanciation en espaçant les sièges (lieux de prière, salle à manger, salles de réunions) ou en choisissant une salle plus grande pour se réunir. De plus, l’accolade liturgique et les poignées de mains ont été supprimées.
  • Un tiers des monastères a mis en place ou renforcé des mesures de prévention avec les personnes âgées et à haut risque de complications : suspension de l’aide-soignante externe, interdiction ou limitation des visites de l’infirmerie, port du masque en leur présence, suppression des contacts avec les moines et moniales symptomatiques. Les autres ont estimé que les mesures en place étaient déjà suffisantes.

Figure 1

Mesures prises dans la communauté par les monastères étudiés (n = 34)

Figure 1

Mesures prises dans la communauté par les monastères étudiés (n = 34)

Légende : Les chiffres en abscisse représentent le nombre de monastères ; NR = non répondu.

28 Les commentaires libres des questionnaires ont permis de savoir que d’autres mesures ont parfois été prises telles que : désinfection du lieu de prière, de la cuisine, des sanitaires, vaisselle passée à la machine afin d’être lavée à haute température, ouverture des poignées avec les coudes, suppression de l’eau bénite à l’entrée du lieu de prière, mesures prises pour la communion, mais aussi, arrêts des réunions ou bien réunions en petits groupes en respectant les mesures de distanciation, fermeture du magasin, isolement des moines et moniales symptomatiques. Certaines habitudes ont été changées lors des repas : suppression du ramassage puis de la distribution des restes de pain, mise à disposition de couverts pour se servir de certains mets secs.

29 Cette étude a également montré que, pendant le confinement, les moines et moniales amenés à sortir du monastère (pour aller faire les courses, par exemple…) respectaient de façon stricte des mesures de prévention, que ce soit à l’extérieur ou lors du retour dans la communauté (figure 2) :

  • Plus des deux tiers des monastères ont continué à avoir des contacts avec l’extérieur mais moins fréquemment que d’ordinaire. Un ou plusieurs moines et moniales étai(en)t responsable(s) de ces contacts avec l’extérieur et presque tous ont été amenés à se déplacer à l’extérieur de leur monastère pendant le confinement.
  • Tous respectaient des gestes de prévention lors des contacts avec l’extérieur ou des sorties (masque, GHA, distanciation).
  • Lors du retour du moine (ou de la moniale) dans leur communauté, des gestes de prévention étaient strictement appliqués dans tous les monastères : lavage des mains / GHA et port d’un masque. De plus, dans un tiers des monastères, il y avait un changement complet de tenue. Dans cinq monastères, il y avait un éloignement du reste de la communauté et une application des gestes barrières stricts, en leur présence, par le reste de la communauté.

Figure 2

Mesures prises pour le(s) religieux sortant et entrant dans le monastère, présentes dans les monastères étudiés (n = 34)

Figure 2

Mesures prises pour le(s) religieux sortant et entrant dans le monastère, présentes dans les monastères étudiés (n = 34)

Légende : Les chiffres en abscisse représentent le nombre de monastères ; NR = non répondu.

30 Pendant le confinement, certains monastères ont continué à accueillir des personnes extérieures en mettant en place des mesures de prévention strictes. Il s’agissait alors de personnes indispensables au bon fonctionnement de la communauté, comme des médecins ou paramédicaux, livreurs, ouvriers, employés, jardiniers ou cuisiniers. Ces personnes devaient utiliser le GHA et garder une distanciation suffisante entre elles. Les contacts avec les moines et moniales étaient évités et s’ils étaient nécessaires, un religieux en était chargé. Un tiers seulement des monastères ont continué à accueillir des fidèles dans leur église. Dans ce cas, les consignes étaient très strictes : distanciation et gestes barrières, mais aussi suppression des carnets de chant et désinfection du lieu et des poignées de porte.

Discussion

31 Cette étude par questionnaire auprès de 34 monastères cloîtrés de trois grandes régions françaises a montré que peu de moines et moniales ont été atteints par la COVID-19 pendant le premier confinement (3,45 %), appartenant à seulement deux monastères, avec trois décès dans un monastère (0,4 %).

32 Un confinement encore plus strict a été mis en place par la plupart des communautés et les mesures de prévention ont été bien acceptées et appliquées dans la totalité des monastères, que ce soit dans la vie communautaire, pour les moines et moniales qui allaient à l’extérieur ou lors de l’accueil de personnes venant de l’extérieur. À notre connaissance, ces résultats n’ont jamais été rapportés.

33 Cette étude avait néanmoins plusieurs limites. Outre le fait qu’il s’agisse d’une étude par questionnaire, donc déclarative, seulement 36 des 61 monastères sollicités ont souhaité participer à cette étude et, pour deux monastères, les questionnaires étaient perdus ou inexploitables.

34 Dans la présente étude, l’infection par SARS-CoV-2 ne concernait que deux monastères de la région Auvergne-Rhône-Alpes, particulièrement touchée par la COVID-19, alors qu’il n’y a eu aucun cas rapporté dans les 17 autres monastères de cette région ayant répondu à l’enquête, concernant 423 moines et moniales.

35 Une étude menée en région Occitanie a montré que 87 % des décès concernait les plus de 70 ans [24]. De ce fait, « une des priorités, au cours de cette crise, a été de limiter la transmission du virus au sein des institutions où résidaient les personnes les plus à risques de formes graves (âge avancé, maladies chroniques) comme les EHPAD » [25]. Il en a été de même dans les monastères cloîtrés en France où la moyenne d’âge est élevée. La CORREF (Conférence des Religieux et Religieuses en France) rapportait, en 2018, que 69 % des religieux et 86 % des religieuses en France avaient plus de 60 ans (incluant les religieux et religieuses cloîtrés et non cloîtrés), avec un âge médian à 67,26 ans [26].

36 Bien que les résidents vivant en EPHAD et les moines et moniales en monastères cloîtrés aient deux caractéristiques essentielles – une vie communautaire et un âge avancé –, ils diffèrent singulièrement sur leur mode de vie, confinement choisi dans les monastères cloîtrés [26] et isolement subi dans les EHPAD.

37 Cette étude a cherché à comprendre comment le confinement dans le confinement avait été appliqué dans les monastères cloîtrés.

38 Les mesures prises pour les personnes vivant dans les monastères cloîtrés ont toutes été appliquées rigoureusement suivant les recommandations des autorités civiles et religieuses, alors que cela a parfois fait défaut dans la population générale. De fait, lors du passage en stade 2 du plan de prévention et de gestion de la pandémie, des consignes de prévention ont été données à la population générale [8] : port du masque, lavage des mains fréquent au savon et/ou GHA, tousser et éternuer dans son coude, se moucher dans un mouchoir en papier, ne pas s’embrasser ni se serrer la main, garder une distance de un mètre avec une autre personne. Lors de l’entrée en confinement, s’est ajoutée la consigne de sortir de chez soi le moins possible. Mais, malgré ces multiples consignes, de nombreux articles de journaux ont évoqué « l’indiscipline des français » tout au long du confinement, comme le constatait début avril le Dr Caël, urgentiste à Nice, face à l’augmentation des urgences traumatologiques liées à des activités extérieures [27]. De plus, une enquête (ATACOVID, IPSOS, 7-14 avril) a montré que très peu de français se lavaient les mains plusieurs fois par jour (68 %) et éternuaient dans leur coude ou dans leur mouchoir (55 %) [28].

39 Dans les EHPAD, ont été mises en place des mesures de prévention souvent strictes (Recommandations du Conseil Scientifique [29]), qui furent rapidement appliquées : visites interdites dès le 14 mars et confinement des résidents dès le 21 mars, avec repas servis en chambre [30]. Les fortes contaminations observées dans la population des EPHAD peuvent s’expliquer à la fois par le nombre très important d’employés entrant et sortant chaque jour des EHPAD [25], le manque de masque jusque fin mars [31] et par la difficulté de faire appliquer les gestes barrières à ces personnes très âgées ayant souvent des troubles cognitifs.

40 Du côté des monastères cloîtrés, les moines et moniales étaient déjà confinés avant l’annonce officielle du confinement, et ils le sont restés de façon stricte tout au long de cette période. En témoigne le fait que plus de la moitié des monastères n’a pas eu le sentiment de se cloîtrer davantage lors du confinement (figure 1). Pour les autres monastères, le sentiment de se cloîtrer davantage pouvait s’expliquer plus par l’arrêt de toute relation avec l’extérieur que par une diminution des sorties qui restent exceptionnelles [32]. La présente étude a montré que, lors de la vie communautaire, les mesures barrières ont été très appliquées.

41 Dans les monastères cloîtrés, certains moines et moniales étaient amenés à sortir à l’extérieur pour le ravitaillement de la communauté ou pour les différents rendez-vous médicaux. Tous ont mis en place des mesures de prévention lors de ces sorties et lors du retour dans la communauté suivant les recommandations destinées à la population générale. Ces dernières étaient, lors des sorties à l’extérieur pour faire ses courses ou aller chez le médecin, de se passer les mains au GHA à l’entrée, de respecter les mesures de distanciation, de prendre ses propres sacs, de ne pas toucher les articles non achetés. Il n’était pas recommandé de porter un masque en début de confinement. Lors du retour à la maison, certaines précautions étaient recommandées : changer de chaussures et entièrement de tenue, se laver les mains, poser les articles au sol et enlever tous les emballages possibles, laver les autres articles ou les laisser en attente pendant trois heures, laver les poignées et éventuellement le sol [33, 34]. Pour les livraisons, les consignes étaient : dépôt de l’article devant la porte et se tenir à un mètre, suspension des signatures, lavage des mains après avoir récupéré l’article [35].

42 Dans les monastères, ces consignes ont été plutôt bien respectées par les moines et moniales désignés pour les sorties à l’extérieur du monastère, puis lors du retour dans leur communauté. Les mesures étaient moins appliquées lorsque les moines et moniales estimaient qu’il n’était pas nécessaire de multiplier les mesures de précautions du fait des nombreuses précautions déjà prises en amont et du très faible taux de contamination dans leur région. Cela explique pourquoi très peu de monastères ont décidé de se tenir éloignés des moines et moniales revenant de l’extérieur.

43 Peu de monastère ont continué à accueillir des personnes extérieures. Mais quand ils le faisaient, l’accueil était uniquement possible dans l’église, car les autres lieux d’accueil (chambres d’accueil, magasins, parloirs) avaient tous été fermés suivant les consignes du gouvernement, et les mesures de précautions étaient strictement appliquées.

44 Pour la population générale, des consignes ont été données concernant l’accueil du grand public dans des lieux clos, comme chez le commerçant [34] ou chez le médecin [36] : autorisation d’un nombre limité de personnes dans les lieux clos et aération régulière, marquage au sol des distanciations à respecter, GHA à l’entrée, éviter de toucher les surfaces et nettoyage très fréquent de celles les plus exposées (chariots, sièges, lits d’examen, sols…), faire ses courses en moins d’une heure. Certains supermarchés ont mis en place des créneaux le matin tôt pour les plus de 70 ans, d’autres ont proposé de leurs livrer les courses gratuitement [37].

45 Les résultats de la présente étude semblent transposables à d’autres monastères cloîtrés du territoire français, car un grand nombre de monastères a été inclus (34, 724 moines et moniales), provenant de trois grandes régions françaises, couvrant 35 % du territoire métropolitain. D’autre part, les huit Ordres les plus fréquemment rencontrés dans les monastères cloîtrés étaient représentés.

46 À la suite de ces résultats, plusieurs perspectives semblent intéressantes. Il serait possible de renouveler cette enquête à distance, afin de voir si l’on retrouve les mêmes conclusions. Par ailleurs, afin d’avoir des pistes de compréhension du faible impact sanitaire, il serait intéressant de savoir si le comportement particulier des moines et moniales cloîtrés [17] est en lien avec le faible taux de COVID-19. En effet, certaines études ont montré que le mode de vie pouvait impacter les marqueurs de l’inflammation [38]. Y aurait-il des conditions particulières de la vie monacale qui pourraient protéger les moines et les moniales d’une infection virale comme celle de la COVID ?

Conclusion

47 Cette étude par questionnaire auprès de 34 monastères cloîtrés de trois grandes régions françaises a montré que pendant le premier confinement, d’une part, les monastères cloîtrés ont été peu contaminés et, d’autre part, que les mesures de distanciation et les gestes barrières ont été appliqués de façon stricte. Cela a permis de limiter la propagation de l’infection à l’intérieur des communautés de personnes souvent âgées. Ainsi, l’incidence de la maladie a été diminuée, avec une faible mortalité. Il serait intéressant de renouveler cette enquête à distance et de chercher à comprendre si le comportement particulier de la vie monacale est un bénéfice pour la santé.

48 Aucun conflit d’intérêts déclaré

Références


Mots-clés éditeurs : abbayes cloîtrées, communautés religieuses, COVID-19, confinement, pandémie, gestion des risques

Date de mise en ligne : 18/07/2022

https://doi.org/10.3917/spub.221.0051

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