Notes
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Cet article est issu de la recherche SENOVIE – « Mobilités thérapeutiques et cancers du sein : parcours de femmes africaines » qui a obtenu un avis favorable du comité d’éthique de l’Institut National de Santé Publique (INSP) du Mali le 26 octobre 2021 (Décision N° 17/2021/CE-INSP).
Introduction
1 En 2020, plus de 19 millions nouveaux cancers ont été diagnostiqués dans le monde, et près de 10 millions de personnes sont mortes des suites d’un cancer [1]. Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent au monde et le cancer de la langue est le cancer le plus mortel. En Afrique de l’Ouest, seuls 100 948 nouveaux cas de cancers ont été enregistrés en 2020, mais le continent africain fait face à un défi important concernant l’enregistrement de ces décès, puisque que moins de 10 % des cancers sont consignés dans des registres de « bonne qualité » [2]. Alors qu’il a longtemps été pensé que les cancers affectaient essentiellement les pays du Nord et que les pays du Sud étaient majoritairement touchés par des maladies infectieuses [3], on constate aujourd’hui que les taux d’incidence de cancers ne cessent d’augmenter dans cette région du monde [1]. Le manque de moyens et les stades tardifs auxquels sont diagnostiqués les cancers en Afrique subsaharienne amènent certains chercheurs à formuler l’hypothèse d’une inversion des taux de mortalité dus aux cancers entre les pays du Nord et les pays du Sud dans les prochaines années.
L’oncologie : une discipline récente au Mali
2 La cancérologie (ou oncologie) est une discipline relativement récente dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, et notamment au Mali. Le premier oncologue médical malien exerce à Bamako depuis 2012. Aujourd’hui, on compte cinq oncologues dans la capitale ; ils ont tous été formés à l’étranger puisque la Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie du Mali ne propose pas de spécialité d’oncologie. L’offre thérapeutique est concentrée dans la capitale, où quatre hôpitaux de référence (CHU Point G, CHU Gabriel Touré, Hôpital Mère-Enfant du Luxembourg et Hôpital du Mali) prennent en charge des patients atteints de cancers. Un registre du cancer a été créé en 1986, qui est situé dans le département d’Anatomie et Cytologie Pathologiques du CHU du Point G. Il couvre la population de la ville de Bamako et de ses environs. 1 545 cas de cancers ont été enregistrés en 2019, dont 1 017 chez des femmes (65,8 %). Le cancer du sein était le plus fréquent avec 294 cas (19 %) [4].
3 Le Mali a élaboré un plan stratégique national chiffré de lutte contre les maladies non transmissibles (MNT) pour 2019-2023 (Plan MNT). Ce plan national traite de la prise en charge du cancer, et couvre des domaines variés tels que l’enregistrement, le diagnostic, la prévention, le traitement et la formation des professionnels de santé [5]. Le budget alloué à la lutte contre les cancers fait ainsi partie d’un budget global pour la lutte contre les MNT et sert principalement à subventionner les services de radiothérapie et de chimiothérapie [5]. Depuis 2009, il existe au Mali un décret rendant gratuits les actes de chimiothérapie dans le pays [6].
4 Le pays compte quatre radiothérapeutes (tous à Bamako), mais un seul appareil de radiothérapie. Cet appareil fait face à de nombreuses pannes qui sont régulièrement relayées par les médias nationaux. Les associations de patientes se mobilisent pour dénoncer les dysfonctionnements et les mois d’attente avant de pouvoir accéder à ce traitement.
5 Dans le cadre du projet de recherche SENOVIE et de la collaboration entre l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l’Hôpital du Mali, nous nous sommes intéressés à l’appareil de radiothérapie du Mali, afin de retracer son historique et son fonctionnement. Pour cela, nous avons mené des entretiens avec des associations de patientes [2] et avec des professionnels de santé impliqués en cancérologie [10]. Ces entretiens ont été complétés d’une collecte de données sur registres médicaux et de données issues de rapports institutionnels.
L’appareil de radiothérapie au croisement de multiples coopérations bilatérales
6 À la fin des années 2000, le président Amadou Toumani Touré a souhaité impulser une dynamique dans le domaine de la cancérologie au Mali et renforcer le plateau technique national à travers la construction d’un Centre National d’Oncologie. C’est dans ce contexte que la coopération autrichienne a offert, en 2012, un appareil de radiothérapie au Mali. L’inauguration de ce premier appareil de radiothérapie au Mali a eu lieu, avec le président Amadou Toumani Touré, le 29 février 2012, et devait constituer la pierre angulaire du Centre National d’Oncologie. Mais à la suite d’événements politiques survenus en mars 2012, le projet de Centre National d’Oncologie est resté en suspens. Il a alors été décidé que le centre de radiothérapie soit rattaché à l’Hôpital du Mali, hôpital récemment construit par la coopération chinoise et inauguré en septembre 2010.
7 Lors de l’arrivée de l’appareil en 2012, les techniciens de radiothérapie du Mali étaient en cours de formation à l’Institut National d’Oncologie (INO) de Rabat au Maroc. Cette formation a été financée par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). L’appareil ne pouvait donc pas être fonctionnel au moment de sa livraison. Dans le cadre de sa coopération avec le Mali, la Chine a mis alors à la disposition de l’Hôpital du Mali un technicien de radiothérapie et un physicien médical chinois afin de démarrer l’activité de radiothérapie au Mali. Les premiers patients ont été traités en avril 2014. Dans les mois et années qui suivent, le gouvernement malien a envoyé cinq autres techniciens à l’INO, au Maroc, afin de se former à la manipulation en radiothérapie.
8 Les actes de radiothérapie sont subventionnés par l’État pour les citoyens maliens ; seules les consultations sont payantes (1 500 FCFA). À l’Hôpital du Mali, le nombre de patients traités annuellement par radiothérapie varie entre 250 et 300 avant l’année 2020 et le début de la pandémie de Covid-19. Les cancers gynécologiques sont les plus fréquemment traités par radiothérapie. Ils représentaient 60 % des cancers pris en charge dans le service en 2019 (avec 68 femmes traitées pour un cancer du col et 51 femmes pour un cancer du sein) [7]. Cette même année, 285 patients avaient été vus en consultation pour débuter leur traitement par radiothérapie, mais seulement 210 d’entre eux ont pu en bénéficier pour des raisons de panne de l’appareil et autres complications.
9 L’hôpital du Mali est un des trois hôpitaux nationaux de référence pour la prise en charge des patientes malades de la Covid-19 [8], ce qui a eu des conséquences sur le traitement des malades de cancers au Mali, comme dans de nombreux pays du monde [9]. Très concrètement, la pandémie a entrainé une diminution de la fréquentation des patients et une restriction de voyage des ingénieurs étrangers (voir ci-après) en mesure de venir réparer l’appareil lorsque celui-ci est en panne.
Des pannes à répétition de l’unique appareil de radiothérapie
10 Les patients et les soignants déplorent les pannes à répétition qui interrompent les traitements et contribuent aux délais importants d’obtention de rendez-vous. Le rapport annuel de l’Hôpital du Mali, en 2019, mentionnait un délai d’attente de trois à six mois pour la radiothérapie [7]. Ces pannes représentent un obstacle supplémentaire dans le parcours de soins des malades de cancers au Mali, dans un contexte national où la coordination des soins est difficile à mettre en place avec une multiplicité d’intervenants et de nombreux patients perdus de vue [10]. La maintenance de l’appareil est un réel défi : des pièces sont fréquemment manquantes, les ingénieurs au Mali ne sont pas formés pour la maintenance de l’appareil, l’instabilité du courant et les problèmes liés au groupe électrogène dérèglent fréquemment la machine. Lors de pannes techniques importantes, des ingénieurs viennent d’Égypte et d’Iran pour réparer l’appareil. Avec l’aide du technicien de radiothérapie et à partir de registres médicaux, nous avons dénombré 198 pannes entre le 3 avril 2014 et le 24 septembre 2021. Par ailleurs, à partir du registre des patients traités, nous avons cumulé les jours de pannes et calculé que l’appareil avait été en arrêt pendant 269 jours ouvrés, ce qui correspond à 54 semaines (sur une période de sept ans).
Un deuxième accélérateur linéaire au Mali : un impératif pour une prise en charge globale du cancer
11 Depuis quelques années, le Mali s’est investi dans la reconnaissance et la prise en charge des cancers. D’autres acteurs se sont impliqués dans cette lutte, par exemple la fondation Orange Mali qui soutient le ministère de la Santé dans la mise en œuvre, depuis 2016, de campagnes de dépistage nommées « Weekend 70 », ayant pour objectif le dépistage des cancers du col et du sein. L’ONG Médecins sans Frontières (MSF) intervient également au Mali, depuis 2018, en ciblant notamment les soins palliatifs et les cancers féminins. Récemment, le gouvernement s’est engagé à doter le pays d’un deuxième appareil de radiothérapie afin d’optimiser l’offre thérapeutique dans le pays. La prise en charge des cancers au Mali est ainsi au cœur des enjeux et acteurs de la santé mondiale [11]. Le gouvernement est appuyé par des coopérations bilatérales, des ONG et des fondations pour améliorer la prise en charge des cancers.
Conclusion
12 Les cancers et les maladies non-transmissibles en Afrique occupent une place de plus en plus importante dans l’agenda de la santé mondiale [12, 13]. La radiothérapie est un élément crucial de la prise en charge des cancers, et le manque d’accès à ce traitement aggrave le pronostic vital des malades. Le personnel du service de radiothérapie est motivé et déplore des conditions de travail difficiles et l’absence d’ingénieur qualifié. De nombreux espoirs de traitement se fondent sur la mise en place d’un deuxième accélérateur qui permettrait de remédier aux pannes du premier et d’augmenter le nombre de patients et de patientes traités. Alors que le gouvernement s’est engagé dans des réformes de couverture santé universelle, le renforcement des infrastructures de traitement des cancers doit également être considéré comme une priorité de santé publique pour le Mali.
13 Aucun conflit d’intérêts déclaré
Remerciements
Nous remercions le directeur de l’Hôpital du Mali, Monsieur Ousmane Attaher Dicko pour son intérêt pour le projet. Merci aussi à Monsieur Sékolo Dao, surveillant du service de radiothérapie pour son aide concernant l’accès aux registres de panne. Nous remercions également le service de Santé Publique de l’Hôpital du Mali pour l’accès aux données. Merci au Professeur Cheick B. Traoré d’avoir partagé avec nous les données du registre national. Merci à Abdourahmane Coulibaly, Kadiatou Faye et Julie Robin pour leur participation à cette recherche au Mali et, de façon plus générale, à l’ensemble des chercheures et chercheurs du projet SENOVIE. Le groupe de recherche SENOVIE associe Clémence Schantz (responsable scientifique), Moufalilou Aboubakar, Myriam Baron, Emmanuel Bonnet, Fanny Chabrol, Abdourahmane Coulibaly, Annabel Desgrées du Loû, Gaëtan Des Guetz, Kadiatou Faye, Anne Gosselin, Joseph Larmarange, Hamidou Niangaly, Dolorès Pourette, Léa Prost, Valéry Ridde, Julie Robin, Priscille Sauvegrain, Luis Teixeira, Alassane Traoré, et Bakary Abou Traoré.Financement
Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’Institut Convergences MIGRATIONS porté par le CNRS, portant la référence ANR-17-CONV-0001 et de la Cité du Genre, IdEx Université de Paris, ANR-18-IDEX-0001. Le GIS Institut du Genre et la MSH Paris Nord ont également soutenus financièrement cette recherche.
Références
- 1Globocan. All cancers [Internet]. 2020. Disponible sur: https://gco.iarc.fr/today/fact-sheets-cancers.
- 2IARC. Planning and Developing Population-Based Cancer Registration in Low- and Middle-Income Settings. Lyon, France: International Agency for Research on Cancer; 2015 p. 51. Report No.: 43.
- 3Frieden MC, Graber N, M’Zoughi M. Introduction. Les maladies chroniques dans les Suds. Expériences, savoirs et politiques aux marges de la santé globale. Emulations - Revue de sciences sociales. 2018;(27):10.
- 4Ministère de la santé. Rapport d’analyse des données du registre des cancers (année 2019). Bamako, Mali: République du Mali; 2020 p. 13.
- 5IAEA, OMS, CIRC. Rapport d’évaluation des moyens et des besoins en matière de lutte contre le cancer. 2020 p. 83. (imPACT Review Report).
- 6Ly M, Ly A, Rodrigues M, Loriot Y, Deberne M, Boudou-Rouquette P, et al. Le cancer en Afrique, un nouveau défi sanitaire. Exemples du Mali et de l’association OncoMal. Bulletin du Cancer Société française du cancer. 2010;97(8):965‑8.
- 7Hôpital du Mali. Rapport annuel des activités médicotechniques et financières du 01 janvier au 31 décembre 2019. 2020 p. 43.
- 8Coulibaly A, Touré L, Zinszer K et Ridde V. La résilience de l’hôpital du Mali face à la Covid-19 dans un contexte de pénuries. Santé Publique. Prépublication. 2022(0):935‑45. https://doi.org/10.3917/spub.pr1.0935.
- 9Glasbey J, Ademuyiwa A, Adisa A, AlAmeer E, Arnaud AP, Ayasra F, et al. Effect of COVID-19 pandemic lockdowns on planned cancer surgery for 15 tumour types in 61 countries: an international, prospective, cohort study. The Lancet Oncology [Internet]. 5 oct 2021 [cité 18 oct 2021];0(0). Disponible sur: https://www.thelancet.com/journals/lanonc/article/PIIS1470-2045(21)00493-9/fulltext.
- 10Grosse Frie K, Samoura H, Diop S, Kamate B, Traore CB, Malle B, et al. Why do women with breast cancer get diagnosed and treated late in Sub-Saharan Africa Perspectives from women and patients in Bamako, Mali. BRC. 2018;13(1):39‑43.
- 11Koplan JP, Bond TC, Merson MH, Reddy KS, Rodriguez MH, Sewankambo NK, et al. Towards a common definition of global health. The Lancet. 6 juin 2009;373(9679):1993‑5.
- 12Gibbs N, Kwon J, Balen J, Dodd PJ. Operational research to support equitable non-communicable disease policy in low-income and middle-income countries in the sustainable development era: a scoping review. BMJ Global Health. 1 juin 2020;5(6):e002259.
- 13Ginsburg O, Badwe R, Boyle P, Derricks G, Dare A, Evans T, et al. Changing global policy to deliver safe, equitable, and affordable care for women’s cancers. The Lancet. févr 2017;389 (10071):871‑80.
Mots-clés éditeurs : radiothérapie, santé mondiale, cancers, Mali
Date de mise en ligne : 27/12/2022
https://doi.org/10.3917/spub.223.0425Notes
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Cet article est issu de la recherche SENOVIE – « Mobilités thérapeutiques et cancers du sein : parcours de femmes africaines » qui a obtenu un avis favorable du comité d’éthique de l’Institut National de Santé Publique (INSP) du Mali le 26 octobre 2021 (Décision N° 17/2021/CE-INSP).