Couverture de SPUB_225

Article de revue

La santé pour tous : soins somatiques et troubles psychiatriques

Pages 609 à 611

English version
Versión en español

1 Lorsque Galien affirma, contre Hippocrate, qu’il fallait chercher le siège des pathologies dans les organes et non dans un déséquilibre entre les quatre éléments (eau, air, terre, feu), les qualités physiques (chaud, froid, sec, humide) et les quatre humeurs (sang, bile, pituite, atrabile), il fit faire à la médecine un pas considérable dans la localisation des pathologies. Sous l’influence des théories péripatéticiennes, il attribua les phénomènes physiologiques à des forces occultes appelées « pneuma » dont le siège était les organes. Les « pneumas » naturels se formaient dans le foie et assumaient la fonction nutritionnelle. Les « pneumas » vitaux, au sein du cœur, assumaient tant les passions humaines que les pulsations, tandis que les « pneumas » animaux, formés dans le cerveau, étaient responsables de l’intelligence et des sensations. Mais en même temps, Galien introduisit un corollaire pernicieux amenant à cliver les maladies et les fonctions physiologiques l’une de l’autre en fonction des organes incriminés. Pathologies mentales et pathologies physiques devenaient ainsi indépendantes, amenant à considérer qu’il n’y avait aucune raison de suspecter, plus que dans une population normale, des troubles somatiques chez les patients psychiatriques.

2 Sur le plan de la littérature internationale, il faut mentionner que les premières études épidémiologiques sur la santé physique des personnes atteintes de pathologies psychiatriques sont peu nombreuses et difficilement comparables. Les travaux les plus marquants de Hall RC et al [1] portent sur une étude prospective de 100 patients atteints de troubles et hospitalisés en psychiatrie : 90 % présentent des anomalies physiques, et pour 80 % d’entre eux, il est nécessaire de mettre en place un traitement thérapeutique somatique. Notons que pour 46 % d’entre eux la maladie n’était pas connue auparavant. Depuis, de nombreux travaux ont pu mettre en évidence des troubles somatiques associés à la pathologie mentale [2].

3 La santé physique des patients atteints de pathologie mentale a été longtemps ignorée et a pénalisé les patients psychiatriques en matière d’accès aux soins. Le nombre important de travaux réalisés ces dernières années (études cliniques, études épidémiologiques) sur l’association entre pathologies somatiques et troubles mentaux a permis de mieux prendre en compte cette réalité. Cette comorbidité n’est pas sans implications : elle aggrave le pronostic pour ces deux types de pathologies, rend plus complexe la prise en charge et retentit sur le pronostic vital.

4 Il existe une surmortalité importante chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques. Leur espérance de vie est écourtée de 25 ans en moyenne par rapport à la population générale [3]. Cette surmortalité, connue depuis les années 1930, s’élève de manière continue, alors que l’espérance de vie de la population générale augmente. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y aurait 8 millions de morts prématurées dans le monde, liées aux troubles psychiatriques. Parmi les causes de décès, on retrouve une surreprésentation des maladies cardiovasculaires, infectieuses, respiratoires, du diabète mais aussi de cancers. Les maladies cardiovasculaires proviennent le plus souvent de facteurs de risque primaires et modifiables, tels que la surcharge pondérale, le tabagisme, le diabète, l’hypertension artérielle, les anomalies lipidiques. Parmi les facteurs de risque, on observe aussi : le mode de vie, la mauvaise hygiène alimentaire, le manque d’activité physique, la sédentarité. À ceux-ci s’ajoutent des facteurs de risque non modifiables, tels que l’âge, le sexe, les antécédents familiaux et personnels. S’agissant des traitements médicamenteux, ils sont à prendre en compte également dans ces comorbidités, en raison de leurs effets secondaires importants, notamment sur le plan neurologique : neuroleptiques classiques et antipsychotiques de seconde génération avec la survenue des anomalies métaboliques [4-5].

5 Compte tenu de toutes ces données, l’amélioration du diagnostic et des soins des patients atteints de pathologie mentale devient une nécessité. Aujourd’hui, des recommandations françaises [6] et internationales [7], pour la prise en charge somatique de ces patients, soulignent l’importance de dépister et d’évaluer les patients à risque et d’assurer leur suivi. En effet, l’évaluation globale du risque métabolique, cardiovasculaire et des phénomènes douloureux constitue un volet primordial. Un examen clinique doit être complété par un volet de prévention et d’éducation à la santé avec la mise en place de recommandations sur le mode de vie : mesures diététiques, activité physique. Selon les recommandations, à l’initiation du traitement, le patient doit bénéficier d’un suivi rapproché. Les recommandations portent sur le soin, l’accompagnement et l’entraide [7-8].

6 Dans ces contextes, la santé publique [9] n’est pas seulement, pour les domaines de la psychiatrie et de la santé mentale, une vision globale qui tient à des facteurs de risques, à une organisation des soins et à la prévention. Elle est généralement définie par ses actions et ses politiques. Elle vise à connaitre les fonctionnements des systèmes d’organisation des soins, mais aussi les connaissances, les attitudes et les pratiques individuelles en matière de santé. Elle contribue à la promotion des interventions et actions favorables comme à la réduction des facteurs de risques. La santé publique a pour objectif de protéger la santé somatique et mentale de tous les publics, sans hégémonie. Elle doit identifier les groupes ou les personnes vulnérables dont la santé est menacée compte tenu de l’organisation sociale. Les personnes atteintes de handicaps psychiques ou de pathologies psychiatriques sont encore stigmatisées. La santé publique assure l’égalité des droits, la qualité des soins et du système de santé. Elle doit prendre des mesures urgentes dans l’esprit des programmes de l’OMS « la santé pour tous » pour établir des relations privilégiées entre l’OMS, les responsables des politiques de santé et tous acteurs pour mettre en route, accélérer et faciliter l’application des diverses recommandations. En matière de psychiatrie et de santé mentale, aujourd’hui les stratégies s’orientent vers une prise en charge globale. Elles associent notamment la prévention, le développement de l’autonomisation du patient, son information et celle de ses proches, la promotion de recommandations. À cela, s’ajoutent de nouvelles formes d’organisation des soins et de l’accompagnement, construites sur des stratégies de travail en réseau d’acteurs : communautés professionnelles territoriales de santé articulées aux conseils locaux de santé mentale (CLSM), place primordiale des médecins somaticiens, généralistes et spécialistes, premières portes d’entrée des personnes atteintes de handicaps psychiques vers les médecins psychiatres et vice versa

7 La prise en charge somatique des personnes souffrant de troubles mentaux, de plus en plus impliqués comme acteurs de soins, doit intégrer la dimension de la prévention et du dépistage des comorbidités somatiques pour l’égalité/l’équité de traitement et la considération des patients, quel que soit leur profil. Cette dimension est opérationnelle seulement si elle prend en compte la part de vulnérabilité des personnes ayant une pathologie psychiatrique, au risque d’être des injonctions rhétoriques, porteuses de violence à l’encontre de ces personnes.

8 L’importance des pathologies organiques, associées et non diagnostiquées, souligne la nécessité d’améliorer la prise en charge globale des personnes atteintes de troubles psychiatriques. L’amélioration doit porter sur un travail de collaboration psychiatres/somaticiens, indispensable et qui ne peut être que bénéfique pour la santé des patients. Comment ne pas citer le Professeur André Féline, du CHU de Bicêtre, qui écrivait « toute vie psychique, dans ses composantes affectives et cognitives, prend origine dans la vie biologique, elle-même soumise aux lois premières de la génétique et secondes de l’environnement. Si le patient attend de son médecin une compétence opérationnelle intégrant les données actuelles de la science, la médecine et sa filiale psychiatrique ont tout intérêt à poursuivre l’étude des liens qui les unissent ». C’est dire que, contrairement à une opinion répandue, il y a lieu de systématiquement se préoccuper de l’état somatique des patients atteints de pathologie mentale et, contrairement à Galien, avoir en ce domaine un point de vue nourri de toutes les connaissances acquises, depuis Hippocrate, sur la physiologie humaine et sur les liens entre santé physique, mentale et contexte de vie.

Références

  • 1
    Hall RCW, Gardner ER, Popkin Mk et al. Unrecognized physical illness prompting psychiatric admission: a prospective study. Am.J.Psychiatry. 1981;138:629-635.
  • 2
    De Hert M, Cohen D, Bobes J, et al. Maladie physique chez les patients atteints de troubles mentaux graves. II. Obstacles aux lignes directrices en matière de soins, de surveillance et de traitement, ainsi que des recommandations au niveau du système et de l’individu. Psychiatrie mondiale. 2011;10(2):138-151.
  • 3
    Saravane D, Fevre B, Frances Y et al. Élaboration des recommandations pour le suivi somatique des patients souffrant de pathologie mentale sévère. L’Encéphale. 2009;38,19-22.
  • 4
    Hardy P. Épidémiologie des associations entre troubles mentaux et affections organiques. Paris : Ed Presses Universitaires de France. 1993.
  • 5
    World Health Organization (WHO). Management of physical health conditions of patients with severe mental disorders. Genève (Suisse): WHO. 2018.
  • 6
    HAS, FFP-CNPP, Recommandations de bonne pratique en psychiatrie : comment améliorer la prise en charge somatique des patients ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique. HAS. FFP-CNPP. 2015.
  • 7
    World Health Organization (WHO). Plan d’actions européen pour la santé mentale 2013-2020. OMS Europe 2015. www.who.int.
  • 8
    Psycom, Soins somatiques et psychiatrie, 2019. Soins-somatiques-en-psychatrie-2019.pdf (psycom.org).
  • 9
    Bourdillon F, Brûcker G, Tabuteau D, (dir). Traité de Santé Publique. Ed Medecine-Sciences Flamarion. 2016. 3e édition.

Date de mise en ligne : 28/12/2022

https://doi.org/10.3917/spub.225.0609

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions