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Article de revue

Le foncier agricole, variable d’ajustement ou déterminant de la compensation écologique ?

Pages 60 à 63

Notes

  • [1]
    La séquence ERC fait l’objet d’une doctrine produite par le ministère chargé de l’environnement : doctrine relative à la séquence « Éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel » – 6 mars 2012 : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/doctrineERC-vpost-COPIL6mars2012vdef-2.pdf ; CGDD : lignes directrices nationales sur la séquence « Éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel » – Références – octobre 2013 : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Ref_ -_Lignes_directrices-2.pdf.
  • [2]
    L'additionalité ou principe d'addition repose sur le fait qu'une meilleure qualité environnementale devrait être plus coûteuse que le laisser-faire (Glossaire développement durable, Agora21, version du 20 avril 2001).

1 La compensation écologique se définit comme un ensemble d'actions en faveur de l'environnement permettant de corriger les dommages causés par la réalisation d'un projet qui n'ont pu être évités ou limités. Les mesures de compensation écologique constituent, une obligation pour tout maître d’ouvrage qui mène une opération d’aménagement susceptible de causer des dommages environnementaux. Le fondement du mécanisme de compensation réside dans la non-perte globale de biodiversité, voire dans un gain net de biodiversité. Cela signifie que toute perte de biodiversité liée à un aménagement dans un endroit donné doit être compensée au moins de manière équivalente, voire avec une amélioration nette de valeur écologique, sur un autre site (Union internationale pour la conservation de la nature, UICN, 2011).

2 La compensation s’inscrit dans la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC)  [1]. Elle n’est donc envisagée qu’en dernier recours, une fois que les mesures d’évitement et de réduction des impacts dommageables ont été examinées. Selon cette doctrine, tout projet d’aménagement portant atteinte à la biodiversité doit par ordre de priorité viser à : 1) éviter les impacts ; 2) réduire les impacts, et s’il subsiste des impacts résiduels, ensuite et seulement, 3) compenser le dommage résiduel identifié. La spécificité de la compensation est donc d’intervenir lorsque les impacts n’ont pas pu être évités par la conception d’un projet alternatif, ou suffisamment réduits par des mesures appropriées (Quétier et al., 2012). Les mesures de compensation porteront aussi bien sur des milieux remarquables, dégradés ou menacés, que sur des espaces de nature dite ordinaire.

3 Les mesures de compensation écologique sont de la responsabilité du maître d’ouvrage. Il lui appartient, dans le cadre de la conduite de son projet d’aménagement, de les concevoir, de les dimensionner et de les mettre en œuvre. Il doit définir les mesures de compensation en veillant à leur efficacité, à leur suivi, à leur pérennisation, ainsi qu’à leur « additionnalité », (Chevassus-au-Louis et al., 2009).

4 À l’heure où une meilleure protection de l’environnement est recherchée, le mécanisme de la compensation semble de prime abord intéressant, puisqu’il permet théoriquement d’annihiler les incidences négatives des projets d’aménagement et de lutter contre la perte de biodiversité. La compensation écologique apparaît comme un outil permettant de tendre vers une neutralité écologique des aménagements. Cependant les problématiques foncières ne doivent pas être sous-estimées, tant sur le plan de l’anticipation nécessaire à la mise en place de ces mesures lors de phases de négociation/concertation, que dans le cadre de leur localisation, qui par définition nécessite une offre foncière disponible. Aussi, il apparaît pertinent de s’interroger sur l’impact de la compensation écologique sur les surfaces agricoles et sur les modalités d’utilisation du foncier : ce dernier est-il considéré comme un déterminant de la compensation écologique ou comme une variable d’ajustement ?

Les mesures de compensation écologique ne sont pas toujours faciles à appliquer, car elles dépendent de la disponibilité du foncier agricole ou périurbain.

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Les mesures de compensation écologique ne sont pas toujours faciles à appliquer, car elles dépendent de la disponibilité du foncier agricole ou périurbain.

5 Dans une première partie, nous nous intéressons au support de la compensation écologique, c’est-à-dire aux problèmes de la disponibilité et de la maîtrise du foncier agricole et périurbain, au travers plus particulièrement des stratégies et instruments fonciers utilisables. Puis, dans une seconde partie, nous insistons sur la recherche d’un mode de gouvernance adapté à la compensation écologique, c’est-à-dire aux mécanismes de gestion territoriale des mesures de compensation et aux nouveaux outils envisageables, telles que les servitudes environnementales et la compensation par l’offre.

La maîtrise foncière : stratégies et instruments au service de la compensation

6La compensation écologique s’adosse à plusieurs textes juridiques ; la procédure la plus connue est celle de l’étude d’impact qui a été instaurée en France avec la loi sur la protection de la nature de 1976. Depuis longtemps, le droit français prévoit donc de compenser les impacts d’une infrastructure ou d’un aménagement sur l’environnement lorsqu’ils ne peuvent être évités ou réduits. La mise en œuvre de mesures compensatoires est aussi prévue par les lois sur l’eau de 1992 et 2006. Il s’agit dans ce cas d’études d’incidence. À côté de ces réglementations, d’autres textes concernent plus spécifiquement certains milieux selon leur niveau de sensibilité et de menaces : sites Natura 2000, boisements faisant l’objet de défrichement et espèces protégées.

7 Si la compensation écologique est apparue il y a presque quarante ans et si elle est aujourd’hui prévue par de nombreux textes, elle est encore trop souvent jugée contraignante, difficile à appliquer et inefficace pour protéger la biodiversité. Pour comprendre les difficultés d’application de cette politique, il semble utile de rappeler qu’elle est dépendante de la disponibilité du foncier agricole ou périurbain (photo 1). Or, par essence, cette disponibilité du foncier est extrêmement variable au sein même d’un département ou d’une petite région agricole.

8 Lorsque la compensation écologique est exigée, l’aménageur a besoin à la fois d’une surface pour son projet et d’une surface destinée à recevoir les mesures de compensation. Il lui faut de plus s’assurer de la proximité territoriale entre ces deux espaces, puisque les mesures de compensation envisagées doivent être réalisées en priorité sur le site endommagé par le projet ou bien à proximité immédiate. Certains dénoncent à cet égard un risque de double peine pour l’agriculture : le foncier agricole serait pénalisé une première fois en raison du besoin d’espace nécessaire au projet d’aménagement et une seconde fois quand il faut ajouter la surface destinée à la compensation. Ce calcul apparaît cependant un peu trop rapide car il ne prend pas en compte le fait que les terres qui feront l’objet d’une compensation ne sont pas toujours des terres qui ont une vocation agricole première. Dans l’absolu, il serait plus rationnel de s’intéresser aux terres peu rentables d’un point de vue agronomique, mais qui possèdent une valeur environnementale intéressante à développer.

9 Au-delà du problème de la localisation des surfaces à même de recevoir les mesures de compensation, se pose également la question de leur maîtrise foncière. L’aménageur qui met en œuvre des mesures de compensation écologique doit en effet être en mesure d’en garantir la fonctionnalité de manière pérenne. La maîtrise foncière est donc nécessaire à la fois pour mettre en place les mesures techniques et pour assurer la pérennité de celles-ci. Mais le premier obstacle à franchir sera celui du choix d’un instrument juridique adapté à la durée nécessaire à la compensation.

10 Pour maîtriser le foncier et assurer la pérennité des mesures compensatoires, l’aménageur dispose principalement de deux instruments juridiques : l’acquisition des parcelles à destination agricole ou environnementale et le conventionnement (baux ruraux et environnementaux) avec des propriétaires possédant de telles parcelles. Le conventionnement souffre toutefois d’un manque de sécurité juridique évident : les contrats passés avec les propriétaires de parcelles agricoles ne permettent pas de constituer un droit réel sur les parcelles. L’acquisition des parcelles nécessaires aux mesures de compensation est plus à même d’assurer la pérennisation de celles-ci.

11 Reste néanmoins posées la question des diverses formes d’acceptabilité des mesures de compensation par les propriétaires de terres et celle de la valeur du foncier une fois les mesures de compensation instaurées. Si l’aménageur a pris le parti de l’acquisition des terres agricoles destinées à la compensation, il pourra conclure un bail rural incluant des clauses environnementales avec un agriculteur pour l’exploitation de ces terres ou un bail environnemental, mais le problème de la durée du bail demeure  [2].

12À défaut de parvenir à l’une des transactions classiques de droit privé, d’autres instruments de maîtrise foncière peuvent présenter un intérêt en matière de compensation écologique, sous réserve d’anticipation suffisante : il s’agit du droit de préemption et de l’expropriation. Le droit de préemption confère à une personne privée ou publique la faculté d’acquérir, de préférence à toute autre personne, un bien que son propriétaire souhaite vendre. Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) disposent en particulier d’un droit de préemption lors des ventes des terrains agricoles, à des fins notamment de préservation de l’environnement. L’expropriation est, quant à elle, une opération qui tend à priver de sa propriété un propriétaire foncier contre son gré. Pour réaliser les opérations d’aménagement, le recours à l’expropriation pour cause d’utilité publique est assez fréquent. Sur le plan administratif, cette expropriation suppose une enquête publique, puis une déclaration d’utilité publique (DUP).

13Une fois les parcelles destinées à la compensation écologique obtenues par l’aménageur et quel que soit le mode d’acquisition, il est important de s’assurer que ces parcelles soient préservées sur le long terme, a minima le temps qui sera nécessaire à la compensation. Le meilleur moyen de garantir la préservation des parcelles ayant reçu les mesures compensatoires consiste généralement à les rétrocéder à une structure plus à même de gérer ces espaces sensibles que l’aménageur (rétrocession au bénéfice des conseils généraux dans le cadre de leur politique des espaces naturels sensibles, des conservatoires des espaces naturels, du conservatoire du littoral, etc.).

14De cette première partie, il ressort qu’il est difficile d’obtenir la maîtrise foncière sur les surfaces nécessaires pour accueillir les mesures de compensation. Quoi qu’il en soit, l’action compensatrice doit rechercher la cohérence et une proximité territoriale entre les dommages présents sur les surfaces des sites dégradés et le potentiel environnemental des surfaces. Se pose aussi la question du système de gouvernance en matière de compensation écologique, c’est-à-dire la question des mécanismes de gestion territoriale des mesures de compensation réalisées, et celle des pistes d’amélioration possibles grâce aux nouveaux outils que sont les servitudes environnementales, et le mécanisme de la compensation par l’offre.

La gouvernance des mesures de compensation : efficience et pistes envisageables

15À une échelle territoriale, une bonne gouvernance se concrétise par un processus de coordination des acteurs : de manière idéale, il faudrait que la mise en œuvre de la compensation écologique soit parfaitement concomitante avec le démarrage du projet afin que soit possible un transfert naturel de la faune et de la flore sur le site de compensation. Plus précisément, l’idée est de concevoir des partenariats autour du concept de mise en œuvre des mesures compensatoires qui aboutiront à mettre en relation des aménageurs et des acteurs privés (propriétaires, propriétaires exploitants) ou publics (collectivités territoriales, établissements publics, etc.).

16 Dans la pratique, et malgré un nombre conséquent d’outils potentiels de gestion des mesures de compensation écologique, il s’avère qu’il y a peu ou pas de vision territoriale, de gestion collective ou de planification en matière d’aménagement de l’espace lié à la compensation écologique (Regnery et Quétier, 2013), et que la question de la disponibilité foncière et de sa gestion se pose souvent avec acuité à l’occasion des aménagements nécessitant des mesures compensatoires. Pour améliorer l’efficacité, la transparence et l’acceptabilité du principe de compensation, il serait par exemple souhaitable d’intégrer le volet foncier de la compensation dans les divers outils de gestion du foncier (schéma de cohérence territoriale et plans locaux d’urbanisme notamment). L’intérêt de cette approche serait de profiter de ces zonages pour prévoir les zones d’emprise et les zones de compensation en amont des projets. L’intégration du volet foncier de la compensation écologique dans des procédures d’urbanisme banales permettrait la prise en compte de la biodiversité ordinaire dans chaque territoire. Allant dans ce sens et d’un point de vue agricole, il existe dans chaque département un projet agricole départemental, il faudrait y inclure la possibilité de constitution de réserves parcellaires pour satisfaire aux obligations de compensation.

17 Si l’on considère maintenant une approche plus politique de la gouvernance, il faut commencer par rappeler que l’agriculture joue un rôle essentiel dans le développement des territoires et qu’on ne peut débattre des politiques publiques territorialisées et de leur gouvernance en ignorant le poids majeur de l’agriculture dans l’économie régionale. Pour autant, il faut comprendre que les terres agricoles de faible valeur agronomique peuvent être considérées comme des espaces en attente de nouveaux usages. Dès lors, la recherche de terres pour la compensation d’emprises participe à une nouvelle logique de coopération foncière territoriale.

18Pour les espaces à haute valeur environnementale, l’inefficacité du pouvoir réglementaire a conduit les pouvoirs publics ou privés à acquérir ces espaces en propriété (cf. le conservatoire du littoral créé en 1975). À l’inverse, pour les espaces qui relèvent d’une biodiversité plus ordinaire, il convient d’envisager les possibilités de servitudes du droit privé. L’intérêt de positionner la servitude à vocation environnementale comme outil potentiel de la mise en œuvre de la compensation écologique est lié au fait qu’elle permet une gestion du parcellaire sur le long terme, ce qui a pour avantage principal d’éviter les modifications incessantes (du statut de la parcelle et de son devenir) qui existent dans un système de planification. Il s’agit là d’une piste explorée par le législateur (cf. projet de loi relatif à la biodiversité) car aujourd’hui la servitude réglementaire, si elle peut interdire, ne peut obliger le propriétaire à gérer les espaces à protéger. En matière de servitudes à vocation environnementale comme outils de la compensation écologique, il faut insister sur la durée de telles servitudes et sur la nécessité d’intervention du propriétaire pour en assurer la gestion. Dans ce dernier cas, une indemnisation des propriétaires est souhaitable en raison de leur intervention dans la gestion des parcelles, voire en raison de la réalisation de l’emprise qui va générer une plus-value locale.

19 Outre les modifications du système de gouvernance et la constitution de servitudes environnementales, le système de compensation par l’offre peut être envisagé comme une piste alternative intéressante. À côté du système de compensation par la demande, par lequel le maître d’ouvrage gère lui-même la mise en œuvre des mesures compensatoires nécessaires à son projet, se développe en effet le système de compensation écologique par l’offre. Elle consiste pour un opérateur à anticiper la demande potentielle de compensation sur un territoire. L’opérateur sécurise des terrains, au moyen d’acquisitions ou de conventionnements durables, et les restaure par des actions écologiques. Ces actions sont menées par l’opérateur dans la perspective de les valoriser ultérieurement grâce à la vente d’unités de compensation auprès des aménageurs dont les projets nécessitent la mise en œuvre de mesures compensatoires. La vente d’unité passe par la conclusion de contrats entre l’opérateur et les maîtres d’ouvrage. Le système de la compensation par l’offre est déjà développé dans plusieurs pays : États-Unis, Australie, Allemagne, etc. (Commissariat général au développement durable, CGDD, 2012). En France, le ministère chargé de l’écologie expérimente le mécanisme de la compensation par l’offre depuis 2008 (UICN, 2011). En France, le ministère chargé de l’écologie expérimente le mécanisme de la compensation par l’offre depuis 2008 (UICN, 2011). L’expérimentation a été initiée par une opération de la CDC Biodiversité sur le site de Cossure dans les Bouches-du-Rhône. Elle a abouti à la création de la première réserve d’actifs naturels. Les projets de compensation par l’offre ne viennent pas en substitution des politiques de préservation et de restauration des espèces et des habitats mis en œuvre par l’État. Ils sont uniquement dédiés à la compensation des impacts résiduels de projets, dans le cadre des procédures habituelles d’autorisation. Néanmoins, ils peuvent conduire au développement de programmes de restauration ambitieux.

Conclusion

20 Aujourd’hui, la compensation écologique apparaît comme un mécanisme intéressant et bien connu dans les milieux de l’aménagement et de l’environnement, même si ses lignes de contours restent encore assez floues. Le monde agricole n’a en revanche peut-être pas pris toute la mesure des incidences de cette politique dans la dynamique de l’économie d’un territoire. À certains égards, la profession agricole apparaît parfois absente du processus de mise en place des mesures de compensation. Il serait pourtant opportun qu’elle intègre très en amont la phase de concertation pour demander de réelles mesures d’évitement et de réduction avant d’en arriver aux mesures de compensation. Elle pourrait aussi (par exemple, grâce aux SAFER) se positionner pour regrouper une offre de compensation écologique sur des espaces en déprise ou en attente qu’elle restaurerait pour rétrocéder ce stock ultérieurement aux aménageurs.


Date de mise en ligne : 29/08/2016

https://doi.org/10.3917/set.019.0060

Notes

  • [1]
    La séquence ERC fait l’objet d’une doctrine produite par le ministère chargé de l’environnement : doctrine relative à la séquence « Éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel » – 6 mars 2012 : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/doctrineERC-vpost-COPIL6mars2012vdef-2.pdf ; CGDD : lignes directrices nationales sur la séquence « Éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel » – Références – octobre 2013 : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Ref_ -_Lignes_directrices-2.pdf.
  • [2]
    L'additionalité ou principe d'addition repose sur le fait qu'une meilleure qualité environnementale devrait être plus coûteuse que le laisser-faire (Glossaire développement durable, Agora21, version du 20 avril 2001).

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