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Article de revue

La lutte contre les poisons industriels et l'élaboration de la loi sur les maladies professionnelles

Pages 65 à 93

Notes

  • [*]
    Jean-Claude Devinck, historien, EHESS, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France ; Jean-Claude.Devinck@ehess.fr
  • [1]
    « Les historiens n’ont pas eu grand mal à démontrer la relative indifférence manifestée par le syndicalisme à l’égard des problèmes de santé jusqu’au début du xxe siècle » (Rebérioux, 1989 : 7).
  • [2]
    Cette revue créée par Parent-Duchâtelet, Esquirol, Marc, Orfila et Villermé va constituer, jusqu’en 1880, le principal lieu où vont s’exprimer les hygiénistes intéressés à poursuivre l’œuvre de Ramazzini.
  • [3]
    Quelques exemples : le saturnisme (Grisolle 1835 ; Chevalier 1836 ; Tanquerel des Planches 1839 ; Brachet 1850 et Perseval 1855), le phosphore (Strohl 1845 ; Chevalier 1847 et 1855 ; Tardieu 1856 et Trélat 1857), l’arsenic (Blanchet 1841 ; Chevalier 1847 et Beaugrand 1859), le cuivre (Chevalier 1843 ; Blanchet et Tanquerel des Planches 1845 ; Pécholier 1864) ou les maladies liées aux poussières (Chevalier 1836 ; Morin 1847 ; Beltz 1862 et Porcher 1866).
  • [4]
    « On n’ignore pas que les doctrines sociales sont répandues et se répandent chaque jour davantage dans nos rangs ; lorsque les ouvriers vont prêter une attention soutenue aux enseignements des professeurs (du CNAM), ce n’est certes point pour entendre des paroles vaines ; en allant écouter, après la fatigue du jour, cet enseignement quelque peu officiel, ils espèrent y trouver des intentions du pouvoir ; ils veulent savoir si l’anathème que le gouvernement jette sur les théories socialistes est inspiré par un amour sincère de la justice et du bien de la société, et s’il a lui-même un système de réformation et d’amélioration assez radical pour calmer tous les désirs sensés et toutes les inquiétudes, pour faire face à ces besoins urgents, à ces difficultés qui s’amoncèlent autour de nous et qui seront infailliblement la source de révolutions nouvelles, si l’on persiste à répondre aux demandes de réformes qui partent de tous les points de l’horizon, par ce mot d’une signification désespérante : rien ! ».
    (Cours du Conservatoire des arts et métiers, L’Atelier, 8 année, n°4, janvier 1848)
  • [5]
    Son premier comité de rédaction est composé d’E. Vallin, rédacteur en chef, J. Bergeron, H. Bouley, A. Proust, tous trois membres de l’Académie de médecine, A. Duran-Claye, A. Fauvet, H. Napias et C.A. Wurtz.
  • [6]
    Le délégué des tourneurs robinetiers décrit dans son rapport les dangers du cuivre dans son métier. « Nous avons un état excessivement malsain par suite de l’emploi des matières que nous manipulons, et il n’est pas rare de voir les hommes sortir du travail avec la peau et les vêtements saturés, pour ainsi dire, de poussière d’oxyde de cuivre. Au bout d’un certain nombre d’années, les mains, le visage, la tête toute entière, prennent une coloration particulière qui dénonce les ravages causés dans l’économie par les molécules minérales qui pénètrent dans les poumons et dans l’organisme tout entier. Les plus grands soins de propreté sont impuissants pour éviter les effets de cet empoisonnement journalier. Notre métier est donc des plus malsains et des plus dangereux pour la santé, et la preuve, c’est que peu d’ouvriers qui le professent arrivent à la vieillesse. »
  • [7]
    Son ouvrage est un cri d’alarme : « Il paraît en effet que la concurrence a rendu les profits du raffinage du camphre si minimes, pour qui n’a que cette corde à son arc, que dans bien des endroits, on a associé l’exploitation de ce produit avec la fabrication des sels si délétères de mercure et d’arsenic, sels qui sont devenus des articles de grand débit, depuis que la teinture a trouvé le secret d’en obtenir de brillants effets et des couleurs éclatantes. »
  • [8]
    « Les ouvriers de papiers couleurs et de fantaisie espèrent arriver un jour à fixer l’attention des autorités sur les dangers d’utilisation de cet arsenic de cuivre. Ils sont persuadés que leurs “patrons seraient très satisfaits de ne plus en vendre” et sont “certains par expérience du métier, qu’il ne s’écoulerait pas seulement six mois avant qu’on en ait trouvé une autre qui la remplacerait avec avantage” ».
    (Rapport des délégués des ouvriers parisiens à l’Exposition de Londres en 1862)
  • [9]
    « Les ouvriers fondeurs ont eu de tout temps la faculté de sortir librement de l’atelier pendant le temps de travail, ainsi que le constatent les nombreuses attestations des maîtres fondeurs, qui ont été lues à l’audience du tribunal correctionnel ; ces attestations disent qu’il est nécessaire pour la santé de l’ouvrier qu’il puisse changer d’air et se rafraîchir de temps en temps, à cause des travaux pénibles et insalubres auxquels il se livre, dans les ateliers dont l’atmosphère est chargée de poussière et de gaz délétère qu’il respire continuellement, et parce que la chaleur des étuves et des fourneaux, dont on élève la température à un très haut degré, est excessive ».
    (Dumoulin A., Mémoire justificatif de la conduite des ouvriers fondeurs, publié à l’occasion d’un procès de coalition intenté à treize d’entre eux, Paris, 1833 ; reproduit in Les révolutions du xixe siècle, 1830-1834, t. 4, Paris, 1974, EDHIS)
  • [10]
    En 1900, les manufactures des tabacs et allumettes comptent 91 % de femmes, soit 15 692 sur un effectif total de 17 140 personnes. Ce pourcentage unique de femmes dans les manufactures se retrouve parmi les syndiqués : ainsi, au premier congrès de la Fédération du tabac en 1891, sur 7 791 syndiqués, on trouve 6 964 femmes.
  • [11]
    Entre 1894 et 1898, une étude montre que, en moyenne annuelle, 314 ouvriers sont hospitalisés pour saturnisme, celui-ci provoquant 17 décès (Capel, 1902).
  • [12]
    Voir Hatton, Rapport de la Chambre syndicale des produits chimiques sur la proposition de loi de J.L. Breton relative à l’assimilation des maladies d’origine professionnelle aux accidents du travail visés par la loi du 9 avril 1898, approuvé dans la séance du 19 mars 1902.
  • [13]
    Le 30 juin 1903, après « deux mille réunions, autant sinon plus d’articles de journaux, plusieurs brochures et un nombre incalculable de démarches auprès des ministres, députés, sénateurs, médecins, chimistes, journalistes, la Chambre des députés vote le projet de loi interdisant l’emploi dans la peinture des composés de plomb ». (Léon Robert, secrétaire de la Fédération des peintres, La Voix du Peuple, 211, du 30/10 au 6/11/1904).
  • [14]
    Ce sera fait le 3 juillet 1903.
  • [15]
    Le 16 mai 1905 et repris à la législature suivante le 11 juin 1906.
  • [16]
    Annexe n° 325, Proposition de loi ayant pour objet l’extension aux maladies d’origine professionnelles de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, 2e séance du 13 juillet 1906.
  • [17]
    Sur la petite centaine de signataires, on retrouve l’ensemble des ténors socialistes : Jaurès, Millerand, Viviani, Sembat, Vaillant, Allemane, Guesde, Brousse…
  • [18]
    L. et M. Bonneff, le premier né en 1882 et le second en 1884, trouveront tous deux la mort au cours de la guerre de 1914-1918. Ils collaborent à la presse de gauche et d’extrême gauche, L’Humanité, La Vie Ouvrière, La Guerre Sociale, La Bataille Syndicaliste… Ils publient, en 1905, Les métiers qui tuent et, en 1908, La vie tragique des travailleurs. Voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, les Éditions Ouvrières, tome X, troisième partie, 1871-1914 ; voir également Dauzat (1989).
  • [19]
    Amiens, du 8 au 14 octobre 1906.
  • [20]
    La Commission a été constituée le 11 octobre. Elle est composée de Craissac, de la Fédération des peintres, Lefèvre, des Chauffeurs-mécaniciens, Roberjat, des Chemins de fer, Soulageon, des Platriers-peintres de Saint-Étienne, Beauregard, des Mineurs et Pataud, des Industries électriques (rapporteur).
  • [21]
    Ainsi, l’usine de filature et de tissage d’amiante de Condé-sur-Noireau a fait une cinquantaine de morts en cinq ans (Auribault, 1906).
  • [22]
    Suite à une délégation reçue par Viviani, qui promettait d’envoyer des inspecteurs pour vérifier l’état des galeries, le syndicat des égoutiers demande aux frères Bonneff de « suppléer les fonctionnaires un peu lents ». Les enquêteurs établissent un état des lieux et appuient les revendications des égoutiers (Bonneff et Bonneff, 1909).
  • [23]
    Le Comité confédéral de la CGT demandera l’appui de la classe ouvrière pour obtenir la suppression de la céruse en lançant un appel à manifester le 23 juin 1907 (La Voix du Peuple, septième année, n° 347, du 2 au 9 juin 1907).
  • [24]
    Pouget E., Le sabotage, Paris, Marcel Rivière, s.d. Les industriels du Nord ont fondé une assurance contre les risques du sabotage, la « Mutuelle du commerce et de l’industrie », Temps, 13 août 1905.
  • [25]
    La première réglementation datait de 1904. Les abus dans le fonctionnement des bureaux privés, qui exerçaient un monopole et prélevaient des droits de placement élevés au détriment des travailleurs, amenèrent le vote d’une loi. Cette loi favorisait largement les bureaux gratuits, gérés par les syndicats, les bourses du travail, les sociétés de secours mutuels, etc., et soumettait l’existence des bureaux privés à diverses autorisations.
  • [26]
    « Les syndicalistes ont commencé par refuser toute efficacité à l’action parlementaire […] avec le temps, sous l’influence des faits, les théoriciens, ceux qui étaient mêlés à la vie ouvrière, finirent par reconnaître une certaine efficacité à la loi ».
    (Leroy, 1913 : 605)
  • [27]
    La Bataille Syndicaliste, 10 novembre 1911.
  • [28]
    C’est la Chambre syndicale des ouvriers peintres d’Angers qui soumet ce point à l’ordre du jour du 3e Congrès national du bâtiment, qui se tient à Orléans du 27 au 31 mars 1910 (Daguin A., secrétaire de la Chambre syndicale des ouvriers peintres d’Angers, L’assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail, Le Travailleur du Bâtiment, 4e année, 40, 15 mars 1910).
  • [29]
    Du 29 mai au 4 juin 1905 s’est tenu à Liège un congrès international de médecins pour discuter des accidents du travail. Niel, qui représentait la Bourse du travail de Montpellier, s’y trouvait accompagné du docteur Imbert, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier et auteur de travaux sur la fatigue professionnelle, ainsi que du créateur et secrétaire de la Bourse du travail de Sète, Jannot.
  • [30]
    Ce volumineux rapport remis aux députés en janvier 1911 n’est discuté en séance de l’Assemblée nationale que le 12 juin 1913.
  • [31]
    Chambre de commerce de Paris, Extension aux maladies professionnelles de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, Rapport présenté au nom de la Commission de législation commerciale et industrielle par M. Pascalis le 25 octobre 1913.
  • [32]
    Tous les rapports sont classés AN 94 AP 144.
  • [33]
    Archives A. Thomas, AN 94 AP 144, Rapport sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, par E. Martin et M. Frois, 15 février 1917, 19 pages et Rapport sur l’organisation médicale dans les usines privées travaillant pour l’artillerie et les munitions, 7 pages, sans date. Voir aussi le Rapport du ministère de la Reconstruction industrielle, protection de la main-d’œuvre, comité du travail féminin, Protection et utilisation de la main-d’œuvre féminine dans les usines de guerre, Paris, Imprimerie nationale, 1919.
  • [34]
    AN F/ 22/ 532, Usines de guerre, organisation médicale, 1915-1918, Note du sous-secrétariat d’État à la santé du 16 août 1917.
  • [35]
    A. Thomas « ne veut rien faire contre ni même sans le mouvement syndical ; à chaque moment il consulte Jouhaux et ses amis ; ils agissent sur lui ; mais il agit au moins autant sur eux. Au cours de ces conversations, peu à peu, sans qu’on y prenne garde à la CGT, une autre technique d’action syndicale s’ébauche » (Lefranc, 1967 : 203).
  • [36]
    À la fin de l’année 1915, Jouhaux adresse aux organisations ouvrières un rapport consacré à la législation internationale du travail. Il reprend notamment une proposition de l’American Federation of Labor (AFL) réclamant la tenue d’un congrès international ouvrier dès la paix revenue.
  • [37]
    Jouhaux rappelle que « l’idée d’une entente internationale pour la protection légale des travailleurs n’est pas nouvelle ». Il souligne que « la CGT a déjà participé en 1901 à la création de l’Association internationale pour la protection des travailleurs ».
  • [38]
    Rapports des Comités et des Commissions pour l’exercice 1914-1918, présentés au XIIIe congrès de la CGT (op. cit. : 65-66).
  • [39]
    Le 6 février 1919, les délégués de huit cents syndicats patronaux de la Seine réunis à la Chambre de Commerce de Paris émettent le vœu que le problème de la réglementation du travail ne soit abordé ni par la Conférence de paix, ni par le Parlement. L’Union des industries métallurgiques et minières abandonne le secteur économique aux sociétés adhérentes pour se limiter aux questions sociales, ouvrières et fiscales : elle entame des discussions avec la Fédération CGT des métaux sur la diminution du temps de travail (Fraboulet, 2007).
  • [40]
    Le rapporteur de la loi au Sénat, M. Boucher, fait rayer de la liste des maladies causées par le plomb l’anémie progressive et l’encéphalopathie. Il ramène également le nombre des travaux concernés par le plomb de 36 à 22 et les pathologies provoquées par le mercure de 10 à 8.
  • [41]
    Délai maximal entre la constatation de l’affection et la date à laquelle le travailleur a cessé d’être exposé au risque.
  • [42]
    Insistons sur ce point qui montre la spécificité du drame contemporain de l’amiante : près de soixante-dix ans après la loi de 1919, ce matériau sera le premier à faire de nouveau l’objet d’une interdiction en France.

1Alors qu’il existe une abondante historiographie sur la genèse de la loi sur les accidents du travail dont la thèse de François Ewald reste la référence (1986), les historiens se sont montrés, semble-t-il, assez discrets sur l’origine de la loi du 25 octobre 1919, assimilant les maladies professionnelles aux accidents du travail. À l’absence d’historiographie sur le sujet est venu s’ajouter un discours retirant d’emblée toute initiative d’importance au mouvement ouvrier en faveur de la santé au travail et de l’hygiène industrielle [1]. Un travail en cours met à mal cette hypothèse (Devinck, 2010).

2L’histoire de la lutte en faveur de la santé ouvrière ne saurait se résumer à une histoire médicale qui serait celle de la progressive prise de conscience des risques sanitaires engendrés par les activités professionnelles. Elle a été structurée par une série de modèles de perception du monde et d’action sur le monde qui ont opéré selon des temporalités différentes et ont tendu, selon les cas, à se superposer ou à s’opposer. Le premier d’entre eux, du moins par l’importance, est celui proposé par le médecin italien Bernardino Ramazzini à l’orée du xviiie siècle (1990 [1700]). Durablement mobilisé dans les deux siècles qui vont suivre, ce modèle pose les « maladies professionnelles » comme problème médical certes, mais aussi comme produits de l’organisation de la production et du travail au sein des ateliers. Dans une large mesure on peut considérer que l’effort des hygiénistes du xixe siècle consiste à mobiliser et à remobiliser le modèle ramazzinien, tant sur le plan de l’opération classificatoire que de la méthode d’observation quasi ethnographique du travail, tout en le réactualisant au vu des pathologies nouvelles engendrées ou aggravées par la mécanisation. Ce n’est qu’avec l’arrivée du mouvement ouvrier organisé que le problème change de nature. Dès la fin du Second Empire, le terrain de la santé ouvrière n’est plus l’apanage des médecins hygiénistes, les ouvriers s’en emparent à leur tour, mais avec une approche radicalement différente. Objet d’étude pour les uns, conditions de vie pour les autres, l’enjeu à l’évidence n’est pas du même ordre. L’hygiène du travail devient rapidement, pour les ouvriers, un sujet de discussion et de revendication, le support d’une lutte contre le patronat et, enfin, l’objet d’un savoir propre sinon opposable, du moins complémentaire à celui des professionnels de la santé ouvrière.

3Mais, au-delà des effets des nouveaux modes d’organisation industrielle et des innovations techniques, le savoir médical, à la fin du xixe siècle, est directement ou indirectement soumis aux retombées des tensions croissantes entre mouvement ouvrier et employeurs. Médiatisés par les tribunaux puis, pour le cas des accidents du travail à partir de 1898, par la loi, ces conflits reformulent la question de la responsabilité en matière de sécurité industrielle. Si la loi de 1898, comme il a été fréquemment remarqué, marque de ce point de vue un tournant, il serait faux de considérer qu’elle constituait inexorablement la matrice juridique destinée à être ensuite transposée aux maladies professionnelles. Nous montrerons en effet que, dans un premier temps du moins, jusqu’à la fin du xixe siècle, le mouvement ouvrier proposera d’autres pistes pour réagir à la mise en évidence des risques sanitaires au travail. Ce n’est qu’au début du xxe siècle qu’après les deux principaux acteurs que sont les hygiénistes et les ouvriers, les parlementaires se pencheront sur le problème et, comme pour la loi sur les accidents du travail, il leur faudra vingt ans pour aboutir à un compromis qui ne satisfera personne.

L’apport des hygiénistes : l’étude des maladies professionnelles

4C’est sous la Monarchie de Juillet que l’on voit apparaître les premières études sérieuses concernant les maladies professionnelles. À cette époque, l’ouvrage de Ramazzini continue de faire autorité et la classification qu’il a établie il y a plus d’un siècle reste le cadre obligé de toutes les recherches médicales sur le sujet. Mais, dès cette époque, beaucoup de médecins français considèrent que l’œuvre de Ramazzini a vieilli : on accuse le médecin italien d’avoir trop souvent noirci le tableau et l’on estime, malgré l’absence d’étude sur le sujet, que les maladies professionnelles ne sont ni aussi nombreuses, ni aussi graves que le laisse entendre son célèbre traité.

5C’est pour pallier les dangers que font courir les nouvelles industries que le docteur U. Trélat propose, le 14 octobre 1828, au ministre du Commerce d’organiser au sein du Conservatoire des arts et métiers « des leçons d’hygiène, [destinées aux ouvriers] dans lesquelles on expliquerait aux uns le dangereux contact de certaines matières, aux autres l’action de ces vapeurs malfaisantes auxquelles ils s’exposent » ; mais le ministre de Charles X refuse cette suggestion, il n’entend pas « faire d’une branche de la science médicale l’objet d’un enseignement public au milieu de l’enseignement des arts industriels » (Valentin, 1978 : 266).

6À défaut d’obtenir un enseignement d’hygiène industrielle certains hygiénistes, placés par la création des Conseils de salubrité à partir de 1807 en position d’experts, fondent en 1829 Les Annales d’Hygiène Publique et de Médecine Légale[2]. Un certain nombre d’écrits publiés dans cette revue traitent des grandes intoxications professionnelles [3]. Au total, plus d’une centaine d’articles sont publiés dans les Annales entre 1829 et 1880 (Moriceau, 2002). La publication, en 1860, par le docteur M. Vernois du premier Traité d’hygiène industrielle confirme l’intérêt des hygiénistes pour le sujet.

7Mettre à profit ces études et les dispenser aux intéressés semblent pour certains une évidence. Vingt ans après Trélat, le Conseil général de la Seine propose de nouveau d’instaurer des cours d’hygiène industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). « Considérant qu’il n’est rien enseigné sur les précautions à prendre pour défendre les ouvriers contre les émanations des produits qu’ils emploient et contre beaucoup de pratiques nuisibles à leur santé », le Conseil, à l’initiative d’Arago demande au ministre de l’Agriculture et du Commerce de prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit donné quelques leçons d’hygiène industrielle au CNAM.

8Mais la crainte que les observations des hygiénistes ne servent d’assises au socialisme montant et n’ouvrent la voie à une critique radicale de la société n’est pas de nature à encourager la direction du Conservatoire dans cette voie [4]. Celle-ci reste persuadée qu’« un cours spécial d’hygiène, traitant en général des circonstances plus ou moins dangereuses qui accompagnent les travaux industriels, présenterait de graves inconvénients en permettant à l’exagération de s’emparer des résultats les plus fâcheux pour égarer l’opinion des ouvriers et répandre de funestes alarmes ». Le polytechnicien Maillard de la Gournerie, ingénieur des Ponts et Chaussées et membre actif du CNAM est encore plus clair. Il affirme, en 1855, qu’un « enseignement [de cette nature] serait dangereux, toujours en lutte avec les nécessités de la fabrication même, l’hygiène aurait souvent à critiquer la disposition des ateliers et la plupart des procédés industriels ; et serait toujours en opposition avec l’enseignement technique des autres chaires ».

9Ainsi, le discours de l’hygiène industrielle apparaît comme décalé au moment où sont par ailleurs loués les merveilles de l’industrie et les prodiges de la mécanisation. Sous le Second Empire, entre 1850 et 1870, la valeur de la production industrielle annuelle double tandis que le nombre des établissements qui emploient des machines à vapeur n’est pas loin de quadrupler. Cela impose, semble-t-il, à certains hygiénistes, une sorte de devoir de modération, des exigences en retrait par rapport aux connaissances acquises. Cette retenue est une caractéristique essentielle de l’hygiène industrielle, qui fait preuve, au cours de ces décennies, d’un scientisme apolitique, sans jamais contester l’organisation économique de la société.

10La publication en 1875 d’un Manuel d’hygiène des professions et des industries par A. Layet, les congrès internationaux d’hygiène qui se succèdent à partir des années 1870 — Bruxelles, 1876 ; Paris, 1878 ; Turin, 1880 ; Genève 1882, etc. — et la parution en 1879 d’une seconde revue d’hygiène, la Revue d’Hygiène et de Police Sanitaire[5], accentuent la réflexion qui s’amorce au début des années 1880 sur la nécessité d’une législation sanitaire applicable à tous les ouvriers et montrent le contraste entre l’intense participation des représentants français et le retard législatif considérable de la France en matière d’hygiène industrielle.

L’arrivée du mouvement ouvrier : la suppression des produits toxiques

11Au début des années 1860, la société française connaît un intense bouillonnement. L’éteignoir de l’empire autoritaire se lève et, avec lui, la censure sur les questions économiques et sociales. L’exposition universelle de Londres en 1862 et surtout celle de Paris en 1867 vont offrir l’opportunité au monde ouvrier de dresser un état de sa condition. On assiste alors aux premières revendications sur l’hygiène des ateliers et les maladies professionnelles. La formule des délégations ouvrières pratiquée en 1862, à l’Exposition de Londres, va être reprise sur une plus large échelle à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1867.

12Cette fois, toute la population ouvrière du pays fut appelée à voter. Cent douze professions nommèrent 316 délégués dont la commission d’encouragement publia les rapports. Au cours des quatre-vingts séances publiques que tint l’assemblée des délégués, l’hygiène du travail et l’hygiène des ateliers furent examinées lors des 17e et 18e réunions (Tarteret, 1869). S’appuyant sur les décrets des 31 décembre 1866 et du 23 janvier 1867 qui dénombrent 88 espèces de professions insalubres, 89 dangereuses et 117 incommodes, certains participants dénoncent, à cette occasion, l’absence de volonté des comités de salubrité : « Toutes les démarches faites pour obtenir des améliorations hygiéniques dans les ateliers restent sans effet », même les réclamations les mieux fondées restent sans réponse. Le représentant des ferblantiers voudrait « des inspecteurs chargés de visiter les ateliers, comme il y en a pour les poids et mesures ». Lors d’une conférence populaire sur l’hygiène, ce même délégué, L. Barbier, déclare que « le cuivre, le plomb, le mercure, la céruse, l’arsenic, donnent, à ceux qui les emploient continuellement, des affections particulières par leur introduction dans les voies respiratoires et par les pores de la peau ». Il souligne que « c’est surtout sur le tube digestif que ces poussières insalubres, qui se dissolvent par l’humidité du mucus et de la sueur, agissent sur nous. Elles donnent des coliques, elles causent la paralysie et les prostrations nerveuses. Les poisons sont de deux ordres, ils agissent soit localement ou par absorption. L’arsenic, par exemple, perfore l’estomac lorsqu’il est absorbé à forte dose ; en petite quantité il passe dans le sang et l’empoisonne ». Il n’hésite pas à décrire au public les manifestations produites par ces poisons. « Les coliques de cuivre sont humides et produisent la diarrhée[6] ; en pressant le ventre, il y a des douleurs parce qu’il y a gonflement. Les coliques de plomb sont sèches ; il y a constipation. Le ventre se resserre et le malade se roule sur le ventre. » L. Barbier conclut son intervention en déclarant « qu’il est indispensable pour les travailleurs d’avoir constamment sous la main un cours d’hygiène élémentaire et pratique, afin de se prémunir contre les désordres organiques que produisent si souvent dans les fabriques et les ateliers, le mauvais état des locaux et l’emploi des matières insalubres ».

13Les entreprises les plus vantées ne sont pas épargnées. Le sculpteur Gauttard ajoute que le phalanstère (familistère de Guise) de M. Godin n’est pas exempt de reproches : « Il y a dans cette vaste usine quatorze hommes occupés au dressage des meules, dont la santé est constamment en danger. On n’a rien organisé pour empêcher la poussière produite par le frottement du fer sur le grès d’empoisonner les ouvriers, et lorsque l’on réclame, pas de réponse ». Il cite aussi « certaines meuneries où l’on fait de la fécule, du chocolat et des sels de mercure dans le même local ». Il rappelle que Raspail (1863) avait fait un rapport contre les dangers de cette double fabrication, aliment et poison [7], mais le Comité d’hygiène n’y a pas donné suite. Or, ce problème d’hygiène industrielle est aussi largement présent dans les rapports des délégations ouvrières qui récusent l’idée dominante que la misère ouvrière est autant le produit de sa dégradation morale que la conséquence de l’industrialisation : « Que l’on cesse un moment de nous arrêter sur l’intempérance, sur la débauche et sur la paresse qui dégradent toute la classe ouvrière ; nous pourrions fournir sur ce sujet bien des considérations que d’autres seraient bien embarrassés de trouver ; mais qu’on nous donne une bonne loi qui fasse de l’atelier un endroit digne de la majesté du travail, et l’on aura fait d’un seul coup plus de progrès pour la morale et l’humanité que n’en feront jamais faire ni les discours ni toute l’éloquence de nos moralistes » (Exposition universelle de 1867 à Paris, Rapport des délégations ouvrières, Rapport de la délégation des ouvriers de papiers de couleurs et de fantaisie : 10).

14Que mentionnent ces rapports ? Ils exposent, dans leur grande majorité, les conditions morale et physique de la classe ouvrière, dénonçant la concurrence dévastatrice, les dysfonctionnements économiques, l’absence de droits reconnus aux ouvriers pour se défendre contre les risques et le chômage. Ils montrent également la parfaite connaissance des risques que certaines catégories d’ouvriers encourent : « Instruits par l’expérience mais ne voulant laisser subsister aucun doute » (Exposition universelle de 1867 à Paris, Rapport des délégations ouvrières, Rapport de la délégation des ouvriers de papiers de couleurs et de fantaisie : 10), ils n’hésitent pas à s’appuyer sur des ouvrages de références élaborés par les hygiénistes, pour justifier leurs propos.

15Les ouvriers des papiers de couleurs et fantaisie décrivent leurs conditions de travail, qui n’ont guère évolué depuis l’Exposition de Londres : « étouffés de chaleur ou trempés d’humidité, suffoqués par les odeurs enivrantes des vernis, des essences, ou de la benzine aspirant continuellement un air chargé des vapeurs de tous les acides, de tous les mélanges des produits chimiques et des eaux de lavage qui séjournent autour de nous dans un état plus ou moins avancé de décomposition ». Quant à la question de l’emploi des substances vénéneuses dans la composition des couleurs, les ouvriers rappellent « qu’elle a été traitée sous toutes les faces et que la nécessité de les supprimer est reconnue par tout le monde ». Ils expliquent qu’« une grande quantité de couleurs n’existent pas dans la nature, elles ne sont que des produits artificiels obtenus par la combinaison des sels et des acides, qui en sont pour ainsi dire la base. Dans ceux qui jouent les principaux rôles, on peut citer les acides sulfurique, muriatique, nitrique et prussique ; dans les sels, le mercure, l’argent, le plomb, le zinc et l’arsenic : tous autant de poisons corrosifs et désorganisateurs contre lesquels on ne prend jamais assez de précaution ».

16Mais, pour ces ouvriers, seuls deux produits sont capables de présenter de véritable danger : le plomb et l’arsenic. Le plomb qui fait le blanc de céruse, le minium et tous les jaunes de chrome, « frappe d’abord le système nerveux et jette ensuite le trouble dans les fonctions intestinales. Un travail plus ou moins prolongé sur ces matières peut donner lieu à une affection qui s’annonce par un tremblement continuel ; une teinte jaunâtre envahit le globe de l’œil, et vient s’étendre jusqu’aux ongles des mains et des pieds » pour finir par des coliques de plomb. Mais, si, pour ces ouvriers, l’utilisation du plomb a tendance à diminuer dans la profession, il n’en est pas de même de l’arsenic : « Plus le métier s’étend, plus on semble prendre plaisir à répandre cette substance redoutable » qui se prête à toutes les combinaisons possibles. Ces sels fournissent une nuance superbe, connue sous les noms de vert de montagne, vert de Brunswick, vert de Schweinfurth et, vulgairement, vert fin, qui sont tous autant d’arsenics traités de différentes manières, déjà dénoncés lors de l’Exposition universelle de Londres [8]. Les ouvriers sont persuadés du manque de volonté des pouvoirs publics : « L’expérience que nous avons acquise sur les essais que nous avons vus et touchés, comme imitation de vert arsenical, obtenus par des procédés inoffensifs, nous confirment dans l’idée que l’on en serait débarrassé depuis longtemps si on l’avait voulu ». Ils soulignent que « les conseils de salubrité, voyant un véritable danger public dans l’emploi de ces couleurs, en ont interdit l’usage dans plusieurs industries » sans toucher à la leur. Pourtant, ils ont « usé de tous les moyens pour arriver à fixer l’attention des autorités sur ce point » mais sans résultat apparent. « Pétitions, constatations médicales, rapports, rien n’y a manqué. » La justice a d’ailleurs tendance à donner raison aux ouvriers victimes d’intoxication par le vert de Schweinfurth. Ainsi, un fabricant de fleurs artificielles est « condamné [à des dommages et intérêts et à de la prison] pour avoir imposé à un ouvrier dans son travail l’emploi du vert arsenical » (Chevalier, 1861 : 167).

17Les peintres en bâtiment, confrontés aux mêmes problèmes, considèrent que toutes les étapes de leur travail sont dangereuses pour la santé. Contraints de rester « souvent cinq et six heures de suite à respirer une atmosphère composée d’émanations délétères, une poussière (au moment du ponçage) saturée de particules métalliques que le papier de verre détache des boiseries ; quand cet air impur a passé et repassé des milliers de fois par le larynx et les poumons, il doit laisser sur eux, et dans le sang la quantité de métaux qu’il possédait ; de là peut-être l’origine de la phtisie pulmonaire qui nous décime tant ». L’enduit, composé de blanc de plomb, et de litharge (oxyde de plomb), de blanc de Meudon et d’huile d’essence, comporte lui aussi des risques car cette huile « pénètre facilement à travers les pores de la peau, et y entraîne une certaine quantité de plomb qui occasionne dans le corps des ravages désastreux et attaque le système nerveux ; les membres se tordent sur eux-mêmes, et souvent, malheureusement la guérison est impossible ». Quant aux couleurs, comme les ouvriers de papiers de couleurs et de fantaisie, ils signalent qu’elles sont toutes obtenues par des combinaisons de métaux et d’acides. On y trouve en abondance le plomb, le zinc, le cuivre, le cobalt, l’antimoine et d’autres qui sont traités par des oxydes d’arsenic et de sulfure de mercure. Les peintres sont souvent sujets à des coliques. Qu’elles soient provoquées par « les couleurs dans lesquelles il entre des composés arsénieux, tels les verts et les jaunes », le cuivre, ou le plomb, elles donnent les mêmes symptômes : « Douleurs abdominales très aiguës, dureté et rétractation du ventre, vomissements bilieux, crampes, pouls rare et face décolorée ». Les effets dus au chromate de plomb peuvent même entraîner « des hémorragies, des convulsions, l’inflammation de l’estomac et des intestins, l’érosion et la gangrène » affirment les ouvriers peintres.

18Mais le plomb touche bien d’autres professions. La Commission ouvrière rend public un rapport de la Société de biologie daté de janvier 1861, sur les ravages de l’intoxication saturnine chez les femmes qui travaillent à la fonderie des caractères d’imprimerie. « Sur 141 grossesses recensées, on y dénombre 82 avortements et 14 enfants seulement sont encore vivants, quatre ans après leur naissance » (Commission ouvrière de 1867, Recueil de procès verbaux, Paris, 1868 : 292). Les fondeurs en cuivre, dont les revendications sont anciennes [9], abordent les problèmes d’hygiène et de salubrité dans leurs ateliers. « Enfermés, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, dans des ateliers quatre fois trop étroits, au point que la poussière de notre travail nous asphyxie littéralement ; figurez-vous qu’à trois mètres de distance nous ne pouvons distinguer nos camarades, tant l’atmosphère est chargée de miasmes ; aussi à quarante-cinq ans un ouvrier fondeur a fini sa carrière ; s’il n’est pas mort, il est incapable de travailler. Il y en a parmi nous qui, à vingt-cinq ans, sont asthmatiques et traînent une vieillesse prématurée. Et bien, nous avons demandé, il y a quatre ans, aux maîtres fondeurs, qu’ils veuillent bien nous accorder deux heures de travail de moins par jour, pour pouvoir respirer l’air pur, quelques maîtres avaient accepté — les petits — mais les gros, les rois de l’industrie, ont été inexorables » (L’Atelier, sixième année, n°9, juin 1846).

19Vingt ans plus tard, le rapport des fondeurs en cuivre rappelle que « cette question d’hygiène et de salubrité dans les ateliers de fonderie a agité le monde officiel, scientifique et industriel, il y a quelques années (1854-1855) avec assez d’intensité pour qu’à cette époque on ait pu croire qu’elle était résolue » définitivement. Le docteur Tardieu (1854) proposait, dans son étude, de remplacer le poussier de charbon nécessaire à la confection des moules par de la fécule de pomme de terre. Le rapport de la commission présidée par Tardieu préconisait également « la séparation de la fonderie où s’opère le flambage des moules de l’atelier de moulage proprement dit, la construction de hottes et de cheminées d’appel disposées au-dessus du fourneau de manière à ce que la fumée des métaux pendant la fusion et pendant la coulée ne puisse pas se disperser dans l’atelier ; l’établissement d’une ventilation efficace, enfin une surveillance spéciale dans le but de réduire la consommation du poussier et d’en mieux régler l’emploi ».

20Or, non seulement les mesures de salubrité préconisées n’ont toujours pas été prises, mais certains patrons « ont eu l’idée de substituer à la fécule de pomme de terre, les uns de la fécule bise de très mauvaise qualité, les autres des substances à bases siliceuses ou anthracifères dont la ténuité est aussi grande que celle du poussier de charbon employé autrefois ». Les ouvriers fondeurs ont « l’espoir que l’administration, pénétrée de cette vérité qu’il ne s’agit ici d’aucune réglementation ayant pour conséquence de nuire aux intérêts des patrons afin d’être favorable à ceux des ouvriers, mais bien d’une question de santé longtemps débattue, voudra procéder à toutes les modifications qui lui ont été signalées avec tant de précision depuis 1855 » (Rapport des fondeurs en cuivre, Exposition universelle de Paris, 1867).

21Toutes ces revendications en matière d’hygiène industrielle poussent les pouvoirs publics à enquêter sur le sujet. Le 21 juillet 1869, le Comité consultatif des arts et manufactures confie à l’ingénieur des mines, C. de Freycinet, le soin de résumer dans un traité l’essentiel de ces recherches sur l’hygiène urbaine et industrielle. L’homme qui depuis 1862 a reçu du gouvernement impérial la mission de se livrer à des enquêtes en Angleterre, en Belgique, en Prusse rhénane reconnaît que « les législations étrangères ont stipulé beaucoup plus que la nôtre en faveur de la salubrité et la surveillance des établissements industriels », et d’ajouter que « en France, où la loi est très précise, minutieuse même en ce qui concerne la rédaction des arrêtés, elle est à peu près muette sur les moyens de les faire exécuter, ou du moins elle en abandonne le soin à des agents dépourvus de la compétence nécessaire » (Freycinet, 1870 : 473). Pour ce savant, l’intervention de l’autorité en ce qui concerne la santé des classes ouvrières a dû être assez mesurée. Cette inertie s’explique largement par des considérations déjà anciennes : « C’est quelque chose de grave de pénétrer au sein d’un établissement qui, après tout, fait partie du domicile privé, et cela pour y saisir des faits qui n’atteignent, peut-on dire, que ceux qui s’exposent volontairement. On est jusqu’à un certain point fondé à soutenir l’opinion que le législateur n’a pas à s’interposer entre un patron et des ouvriers qui contractent librement » (Freycinet, 1870 : 3-4). Ce n’est bien évidemment pas le point de vue des salariés. À la fin du Second empire, un mouvement revendicatif parti des fonderies mulhousiennes s’étend à toute l’Alsace. Des dizaines de milliers de grévistes de la métallurgie, du textile, du bâtiment adoptent un texte d’une douzaine d’articles, parmi lesquels l’article 11 demande que la responsabilité des employeurs soit totale en matière d’accident du travail (L’huillier, 1957).

22Après la répression qui suit la Commune de Paris, puis une courte période de renaissance corporative, le mouvement syndical entre dans une phase politique. Au début des années 1880, les chambres syndicales commencent à faire de nouveau entendre leurs revendications à propos des maladies professionnelles. Les ouvriers demandent « l’interdiction de certains genres d’industries et de certains modes de fabrication préjudiciables à la santé des travailleurs ». Cette radicalité fait sourire les hygiénistes, qui considèrent que « supprimer les dangers d’une industrie en supprimant l’industrie elle-même est un procédé économique un peu sommaire, voire un peu enfantin » (Napias, 1890 : 675). Mais, pour le mouvement ouvrier, cette revendication est la seule réaliste et lors du second congrès socialiste, consacré aux questions d’hygiène ouvrière, ils récidivent. Organisé par la Bourse du travail de Lyon en 1894, ce congrès réunit plus de soixante chambres syndicales et voit les ouvriers réclamer une nouvelle fois « l’interdiction de l’emploi de tout procédé industriel reconnu irrémédiablement nuisible à la santé des travailleurs ». Les congressistes demandent également que soit reconnue la « responsabilité civile et pénale des employeurs en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles ».

23Mais, c’est surtout les premières grèves menées par les allumettiers français contre la nécrose phosphorée de la mâchoire et leurs succès, qui lancent, en France, véritablement la lutte contre les produits toxiques (Bonnie, 1993). La fabrication des allumettes a commencé dans les années 1830 et, dès les années 1850, les médecins connaissent la nécrose bien qu’ils divergent quant au pourcentage d’ouvriers atteints. En 1872, le gouvernement français rachète les manufactures privées et nationalise l’industrie de l’allumette afin d’accroître ses revenus. Il maintient l’argument économique contre l’interdiction du phosphore blanc. En 1890, le ministère des Finances entreprend de gérer directement l’industrie française de l’allumette. Dès cette reprise en main par l’État, les ouvriers (ou plutôt les ouvrières) [10] fondent la Fédération nationale des ouvriers et ouvrières des manufactures d’allumettes de l’État. Au cours de leur congrès fondateur, les délégués exigent du gouvernement l’interdiction du phosphore blanc dans les sept mois. En l’espace de quatre années, les ouvriers des manufactures vont entreprendre trois grèves successives sans obtenir satisfaction. La seule concession du ministre des Finances est le paiement des jours d’absence pour maladie professionnelle. Devant l’intransigeance de l’État, les allumettiers de Pantin-Aubervilliers décident d’utiliser comme moyen de pression les congés maladies, que le ministre des Finances vient de leur accorder. En octobre 1896, le tiers de la main-d’œuvre est en congé maladie ce qui provoque une crise affectant les finances et la production de la Régie. Les indemnités pour maladie professionnelle centuplent, elles passent d’un peu plus de 3 000 francs en 1892 à près de 400 000 en 1896. Devant cette action, qui risque de se reproduire, le gouvernement cède et sollicite des chimistes un produit de substitution. Dès le printemps 1897, une commission examine des formules de remplacement et l’année suivante, la substitution du phosphore blanc est résolue grâce à l’emploi du sequisulfure de phosphore. Aucun travailleur ne fut cependant indemnisé puisque, comme le rappellera le directeur général des Manufactures de l’État en juin 1899, la loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des travailleurs en cas d’accident du travail ne s’applique pas à « l’évolution lente d’une maladie ou à l’infirmité dont la cause pourrait être attribuée aux occupations professionnelles ».

24Cette première victoire ne peut qu’inciter à la lutte les corporations confrontées au problème des intoxications professionnelles. En 1897, la vingtaine de syndicats de peinture existant à Paris et dans sa banlieue fondent la Fédération des peintres du département de la Seine. Face aux ravages occasionnés par l’emploi des couleurs à base de plomb [11], la Fédération réclame des pouvoirs publics la suppression absolue de l’emploi du blanc de céruse, du minium et des dérivés du plomb. Quelques articles dans des journaux bienveillants, la plupart du temps sous la rubrique « communication » et dépourvus de tout commentaire, n’aboutissent pas au résultat escompté. En 1900, se constitue la Fédération nationale des peintres. À son congrès d’octobre, elle lance une campagne énergique pour la suppression de l’emploi des poisons professionnels et, pour ne pas se retrouver dans le même cas de figure que les allumettiers, elle demande en attendant l’interdiction de la céruse, « l’assimilation des coliques de plomb aux accidents du travail ». Les pouvoirs publics connaissent parfaitement la toxicité du carbonate de plomb, qu’un rapport de l’Office du travail sur les poisons industriels (ministère du Commerce, 1901) confirme de manière accablante.

L’entrée des parlementaires : la loi sur les maladies professionnelles

25S’appuyant sur cette étude et soucieux d’apporter sa contribution aux revendications ouvrières, J.L. Breton dépose, le 5 décembre 1901, un projet de loi ayant pour objet l’assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail. Face à cette menace, le patronat réagit. Pour la Chambre syndicale des produits chimiques, « les maladies professionnelles dérivent de la nature de la profession exercée par les ouvriers qui en sont victimes » et seule la suppression de l’industrie concernée permettrait d’enrayer ces maladies. Persuadée que « la proposition de loi soumise au Parlement ne tend à rien de moins qu’à rendre illicite — à l’image de la céruse — l’exercice d’une industrie actuellement licite », la Chambre syndicale prévient que « la suppression des produits chimiques incriminés entraînera ipso facto la suppression de l’industrie concernée et par voie de conséquence le licenciement des travailleurs » [12].

26La campagne de la CGT contre le blanc de céruse est faite de réunions, de délégations auprès du gouvernement et des parlementaires, de recherches d’aides auprès du corps médical, de nombreux articles dans la presse à commencer par La Voix du Peuple. La centrale maintient toujours que l’interdiction du produit est la seule mesure efficace pour lutter contre le saturnisme. Le 16 juillet 1902, le ministre dépose un projet de loi prévoyant, dans un délai d’un an à compter de sa promulgation, l’interdiction de l’emploi de la céruse [13]. À l’occasion de son troisième congrès (Bourges, 31 août-4 septembre 1902), la Fédération des peintres invite Breton à venir s’expliquer sur son projet de loi assimilant les maladies professionnelles aux accidents du travail. Le député du Cher leur fait part de ses inquiétudes, il craint de ne pas rencontrer un appui suffisant au sein de la Commission d’hygiène industrielle à qui l’on a confié le dossier, car elle « est composée en majorité de médecins hostiles au projet de loi ». Breton assure les militants qu’« il fera tous ses efforts pour que la Chambre ordonne le renvoi à une grande commission, où l’on aura beaucoup plus de chances d’avoir gain de cause ». Les militants votent alors à l’unanimité la résolution suivante : « Le congrès appuie de toutes ses forces le projet Breton, assimilant les maladies professionnelles aux accidents du travail, déposé à la fin de la législature ; donne mandat à ce député de le déposer à nouveau[14] et d’en obtenir à très bref délai la discussion et l’adoption, après toutefois entente avec la Fédération des syndicats de peinture et parties assimilées. »

27Le projet de loi déposé par Breton ne se limite pas au plomb, il comprend également dans la liste des produits dangereux, le mercure, l’arsenic, le sulfure de carbone, les hydrocarbures, les pneumoconioses, la maladie des caissons, l’ankylostomiase, la septicémie professionnelle et vingt-et-une maladies contagieuses, y est ajouté « tout empoisonnement, maladie ou dermatose, lorsque l’origine professionnelle de l’affection pourra être établie ». Le gouvernement dépose à son tour un projet de loi [15], élaboré par le Comité consultatif des assurances contre les accidents du travail, qui, à l’inverse de celui du député du Cher, n’assimile pas les maladies professionnelles aux accidents du travail. Il constitue une amorce de l’assurance maladie telle qu’elle fonctionne déjà en Allemagne et n’emprunte à la loi de 1898 que son mode de fixation du montant des indemnités. Il se propose de prendre en charge toute les maladies, qu’elles soient professionnelles ou non, leur prise en charge variant selon qu’elles entraînent une incapacité de travail inférieure ou supérieure à trente jours. Les premières, pour lesquelles les ouvriers auraient recours à une société de secours mutuels, amèneraient réparation, que l’origine soit professionnelle ou non. Les secondes, considérées comme maladies professionnelles, verraient leur réparation financée par un versement à la caisse de la société de secours mutuels, versement plus ou moins important suivant le degré de toxicité des maladies propres à chacune des industries visées.

28Face à cette dérive, et persuadé qu’un projet de cette nature ne sera jamais voté par le Sénat, Breton réitère pour la troisième fois sa proposition de loi [16]. Soutenu désormais par l’ensemble des députés socialistes [17], il bénéficie également de l’intense pression de la CGT qui a inscrit la question de la « suppression des poisons professionnels » (4e Commission, Suppression des poisons industriels : 199-203) à l’ordre du jour de son XVe congrès. Ce concours de forces exprime toute la complexité de la dynamique en œuvre : il mêle une nouvelle fois volonté de lutter contre les produits dangereux et désir de reconnaissance des maladies professionnelles. C’est la modalité de la conjonction entre ces deux objectifs qui est alors en train de se jouer.

29La CGT, soucieuse de son autonomie, confie aux frères Bonneff [18] le soin d’entreprendre une enquête sur les maladies professionnelles afin de recenser les poisons industriels et les corporations atteintes par ces intoxications. Menée auprès des syndicats ouvriers, cette enquête « doit entraîner l’opinion publique à exercer une pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils provoquent le vote d’un projet de loi assimilant les maladies professionnelles aux accidents du travail », elle va servir de base de travail à la CGT pour son neuvième congrès [19].

30Reprenant l’historique de la lutte contre la céruse menée par la Fédération des peintres, la Commission des maladies professionnelles de la CGT [20] dénonce l’attitude du Sénat qui, sous l’influence des lobbys, bloque depuis trois ans la loi sur l’interdiction de la céruse, loi qu’elle trouve d’ailleurs trop réductrice, car elle ne vise que le plomb et ses composés alors que bien d’autres poisons dangereux sont employés dans l’industrie (Congrès d’Amiens 1906, Rapport de la 4e commission sur la suppression des poisons professionnels : 201). Elle a à l’esprit le mercure et ses composés, qui intoxiquent les fabricants de baromètres et de thermomètres, les coupeurs de poils ou les ouvriers chapeliers ; l’arsenic et ses composés, dont les victimes sont les ouvriers fabricant les verts arsenicaux, les fleuristes, les ouvriers en papiers peints, les mégissiers, les tanneurs et les naturalistes taxidermistes ; le sulfure de carbone, les carbures d’hydrogène, de goudron, de benzine, mais aussi les poussières de toutes sortes, qui occasionnent des affections pulmonaires chez les batteurs de tapis, les cardeurs de matelas, les meuliers, les porcelainiers, les faïenciers, les potiers, les briquetiers, les verriers, les brossiers, les trieurs et emballeurs de chiffons, les ouvriers de l’industrie textile, etc. [21]. Suivent les gaz délétères et l’humidité des égouts [22], les bacilles contenus dans le linge sale respiré par les ouvriers blanchisseurs et teinturiers dégraisseurs, les gaz des mines qui engendrent la terrible ankylostomiase des mineurs ; enfin, l’acide carbonique et les poussières de charbon dont sont victimes les ouvriers travaillant dans les salles de chauffe.

31La fréquence des empoisonnements dans l’industrie amène la Commission des maladies professionnelles à soumettre au Congrès les résolutions suivantes : « Que la CGT fasse l’action nécessaire pour que tous ces produits nocifs et toxiques soient visés dans la loi et que, dans tous les cas, l’usage du blanc de céruse soit absolument proscrit pour tous les travaux de peinture. Elle fait appel au concours de toutes les corporations[23] et propose d’avoir recours à l’action directe et même au sabotage[24] si l’impuissance de l’intervention légale est constatée ». La Commission ne demande pas seulement la suppression des poisons industriels, mais « donne aussi mandat au Comité confédéral de faire campagne pour l’obtention d’une loi sur les maladies professionnelles ». Récusant à l’avance les critiques qui tenteraient de pointer les contradictions entre les positions révolutionnaires qu’elle adopte au cours de ce congrès (abolition du salariat, de l’État et du patronat) et la revendication réformiste en faveur d’une loi sur les maladies professionnelles, la CGT rappelle « que des campagnes semblables furent organisées pour la loi sur les bureaux de placement[25], pour celle sur l’appel des jugements des Conseils de prud’hommes, etc. » [26]. Pour le Comité des Bourses, « les syndicats adhérents à la CGT ont la faculté de porter eux-mêmes l’étude des maladies professionnelles ou la discussion d’une telle question à leur comité fédéral ou au congrès corporatif » (Rapport moral de la section des bourses du travail, Conférence des Bourses du travail, Amiens du 8 au 16 octobre 1906 : 49).

32Depuis 1908, le syndicat des cimentiers de la Seine mène une campagne pour faire reconnaître la gale du ciment comme maladie professionnelle ; en 1909, les militants recouvrent Paris et sa banlieue d’affiches réclamant que leur dermatose soit assimilée aux accidents du travail [27]. L’année suivante, la Fédération nationale des travailleurs du bâtiment inscrit à l’ordre du jour de son congrès l’assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail [28]. Niel, l’ancien et éphémère secrétaire général de la CGT, déclare que cette question intéresse tout le prolétariat et « pose un problème capital d’économie sociale ». Il estime que « le jour où toutes les corporations seront décidées à agir ensemble, c’est-à-dire le jour où la Confédération générale du travail passionnera tout le prolétariat et le pays pour cette réforme immédiatement possible, la résistance patronale cédera comme elle a déjà cédé pour d’autres réformes » (Niel, 1910). Il propose à ses camarades du bâtiment d’adopter la définition qu’il a soumise au congrès de Liège sur les accidents du travail [29] : « Toute perturbation de l’organisme produite par le travail ou à l’occasion du travail qui, en affaiblissant les facultés physiques ou physiologiques de l’ouvrier, entraîne une perte partielle ou totale, temporaire ou permanente, de la qualité productive, est un accident du travail ». Rapporteur de la commission des accidents du travail lors de la IVe conférence des Bourses du travail, les 10 et 11 octobre 1910, il soumet de nouveau aux syndicalistes réunis la même définition (La Voix du Peuple, 10e année, 256 du 23 au 30 octobre 1910).

33Trois mois plus tard, la Commission d’assurance et de prévoyance sociales de la Chambre rend son rapport sur les différents projets de loi ayant pour objet l’extension aux maladies d’origine professionnelle de la loi sur les accidents du travail [30]. Elle se prononce en faveur du système préconisé par Breton. Voté à l’unanimité le 3 juillet 1913, le texte final est le résultat d’un compromis entre partisans et adversaires de la loi, soutenu par le ministre du Travail qui, voulant par-dessus tout aboutir et amorcer la réforme, a fait amender de façon très appréciable le texte de la Commission. C’est à ces modifications qu’est due la capitulation des adversaires du projet, qui ont cru devoir, en échange des concessions obtenues, admettre le principe de l’extension de la loi des accidents du travail aux maladies professionnelles [31]. Évitant de définir ce qu’est la maladie professionnelle, la loi utilise le système de double liste pour chacune des maladies indemnisables ; dans l’une, elle délimite les cadres cliniques précis des infections, dans l’autre, elle énumère les opérations industrielles susceptibles de les provoquer.

L’inspection médicale des usines de guerre

34L’entrée en guerre va ajourner la législation sur les établissements insalubres et dangereux, des dérogations permettent à des entreprises de faire travailler leur personnel en toute impunité dans des conditions prohibées en temps de paix. La taylorisation du travail dans les usines d’armement, l’arrivée massive d’une main-d’œuvre inexpérimentée et l’emploi inédit des femmes dans des branches comme la métallurgie et le secteur de la chimie (poudrerie), où le travail était physiquement pénible, insalubre et dangereux, semblaient difficilement admissibles aux yeux des pouvoirs publics. Le 28 janvier 1916, le service médical des usines de guerre de la région parisienne est réorganisé. Les 13 et 15 février, A. Thomas, sous-secrétaire d’État à l’Artillerie et aux Munitions, réclame au sous-secrétariat à la Santé un médecin compétent pour créer au ministère de l’Armement un service d’inspection médicale des usines de guerre. En mars se constitue l’Inspection médicale des usines d’armement. Tous les arsenaux, toutes les poudreries et tous les grands établissements travaillant pour la guerre sont inspectés [32]. Cette enquête sur les conditions d’hygiène et de sécurité dans les établissements de l’État travaillant pour la Défense nationale [33] dresse un constat accablant : les ouvriers et ouvrières, non sélectionnés, manipulent les substances toxiques à pleines mains. Mais de tous les produits utilisés dans les poudreries d’État, les enquêteurs reconnaissent que le « dinitrophénol est celui qui a causé le plus de victimes — une trentaine de morts ». Dès cet instant, officiellement, tous les établissements industriels dépendant directement de l’autorité militaire, c’est-à-dire les poudreries et les arsenaux, sont dotés d’un service médical avec des médecins à demeure. Chaque établissement a droit à deux médecins pour 3 000 hommes et à un médecin pour 2 000 hommes supplémentaires. Le 12 mai 1917, une instruction rappelle que la surveillance purement médicale est exercée dans les établissements de l’État, de l’artillerie et des poudres par l’un des médecins attachés à l’établissement, lequel doit, en dehors des consultations proprement dites, effectuer une visite périodique des ateliers accompagné d’un officier désigné par le directeur. Dans les usines privées, le médecin militaire du secteur effectuera sa visite avec le contrôleur de la main-d’œuvre.

35Le but de ces inspections est clairement décrit : se rendre compte de l’état sanitaire du personnel, rechercher, s’il y a lieu, l’origine des maladies professionnelles, indiquer les moyens propres à en éviter l’éclosion ou à en enrayer le développement, dépister les maladies contagieuses et prescrire toutes mesures pour lutter contre leur propagation. Les résultats de ces inspections doivent être consignés par le médecin dans un rapport rédigé en double exemplaire, dont l’un adressé au directeur de la Santé de la région et l’autre au ministère de l’Armement. Le 1er juillet 1917, une circulaire du ministère de l’Armement confirme la nécessaire présence du médecin dans les ateliers. A. Thomas souhaite renforcer le service médical des usines de guerre, il estime nécessaire de disposer d’un médecin pour 1 000 ouvriers. Il harcèle son collègue de la Santé qui souligne que « la pénurie actuelle de médecins ne permet pas d’affecter aux usines de guerre un pourcentage aussi élevé » [34]. De plus, « si on compare ce dernier chiffre à ce qui existe en temps de paix (chiffre de médecins et chiffre de population militaire d’une part, et chiffre de médecins des manufactures d’État ou privées), on arrive à cette conclusion que six médecins pour 14 000 ouvriers et ouvrières apparaissent comme suffisants ». Si le retour à la paix marque l’abandon provisoire de cette initiative, il va provoquer les mutations du mouvement ouvrier.

Les mutations du mouvement ouvrier

36La Première Guerre mondiale modifie en profondeur la logique des relations sociales en France. Cette mutation entraîne des conséquences directes sur la protection sanitaire au travail. Du côté ouvrier, la guerre a d’emblée amené un syndicat révolutionnaire, comme la CGT, à collaborer avec les pouvoirs publics : c’est dès le mois d’août 1914 que Jouhaux avait été appelé à siéger à la Commission du travail créée et présidée par le ministre socialiste des Travaux publics, M. Sembat. Si l’expérience est éphémère, l’entrée au gouvernement de Thomas, particulièrement soucieux d’associer activement la CGT, lui donne une autre ampleur [35]. Le syndicat participe aux différentes commissions mises en place, qu’elles soient paritaires, d’arbitrage ou de délégués d’atelier : autant d’institutions nouvelles qui caractérisent un climat et des perspectives syndicales bien différentes de celles de l’avant guerre.

37Non seulement l’« État bourgeois » ne s’est pas effondré durant le terrible conflit mais il a considérablement étendu son domaine d’intervention. Cette toute-puissance ne va pas sans rejaillir sur la CGT qui lui a apporté son écot. Les adhésions récoltées durant la guerre ne sont pas la conséquence d’une attitude révolutionnaire mais d’un besoin de sécurité que l’on juge mieux garanti par une organisation quasi officielle. En glissant de la « lutte des classes » à la « solidarité nationale », les syndicats apparaissent, suivant l’expression sarcastique de Monatte, « comme des sociétés protectrices de la classe ouvrière » (Collinet, 1951 : 50).

38Il est vrai que l’État, jusque-là considéré comme systématiquement hostile, a fait montre d’une indéniable attention envers les travailleurs. Son intervention dans la vie économique, par souci d’éviter des perturbations sociales, est parvenue à peser sur le patronat et à l’incliner aux concessions. Le dossier de la santé ouvrière en est un bon exemple : jusqu’à sa démission en septembre 1917 à l’issue d’une crise ministérielle, Thomas se sera efforcé de ne pas sacrifier les intérêts ouvriers aux exigences d’une production intensive. Il lui aura suffi de deux années à peine pour instaurer un encadrement sanitaire complet du personnel incluant l’inspection médicale du travail, les visites médicales d’entreprise et le dépistage des maladies professionnelles.

39Ce changement est en phase avec celui qui s’opère au niveau international. Dès les lendemains de la Conférence de Londres, Jouhaux attire l’attention de ses militants sur la place qu’occuperont les clauses ouvrières et les conditions économiques dans les traités de paix : il suit ensuite attentivement l’avancée du dossier durant le conflit [36]. En juillet 1916, la Conférence de Leeds pose les bases de ce que deviendra quelques années plus tard l’Organisation internationale du travail — en incluant notamment l’étude de tout ce qui a trait à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs : elle appelle les États à développer et unifier les législations en ce domaine pour chaque branche d’industrie en prévoyant « une entente permanente pour la lutte commune contre les poisons industriels et les maladies professionnelles » [37], lesquelles devraient être assimilées aux accidents du travail [38].

40L’ensemble de ces évolutions fournit à Jouhaux de nombreux arguments pour convaincre ses militants et couvrir les voix dissonantes. La réorientation n’est en effet pas bénigne. Dès le lendemain de la guerre, les opposants internes emmenés par Monatte feront de la Conférence de Leeds le symbole du « millerandisme » dans lequel aurait sombré la direction confédérale en reprenant les thèmes de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs. Là encore, la question de la santé ouvrière fait partie des dimensions mises en avant par Jouhaux pour justifier sa ligne : « Cette Association a inscrit dans son programme la lutte contre les poisons industriels, la lutte pour que les maladies professionnelles soient assimilées aux accidents du travail et nous nous sommes rencontrés sur ces points sans faire sien le programme de cette association ».

La loi de 1919 sur les maladies professionnelles et l’abandon de la lutte contre les poisons industriels

41Cette évolution des positions de la CGT contribue à un tournant majeur dans l’histoire de la lutte contre les maladies professionnelles. Les militants réformistes ont compris qu’obtenir l’interdiction d’un produit nécessitait la combinaison de trois facteurs : une forte mobilisation syndicale, une étiologie « indiscutable » et l’existence de produits de substitution. Dès lors, s’impose l’idée de réparer les maladies professionnelles, par contraste avec la volonté de les éradiquer par l’interdiction des matériaux dangereux. C’est dans ce cadre que la CGT se résout à abandonner la lutte pour la suppression des poisons industriels, au profit du principe de leur réparation. Le Comité confédéral national, qui se réunit le 15 décembre 1918 pour « imposer des droits nouveaux », en entérinera le principe et la lutte contre les poisons industriels disparaît définitivement du programme de la CGT.

42Les importantes modifications du Code du travail qui se préparent ont sans aucun doute influé sur cette décision. En effet, un projet de loi voté à la Chambre le 5 février 1918 pose le principe de la présomption d’origine pour toutes les maladies contractées, non seulement par le militaire au front ou en caserne (art. 2), mais aussi par le mobilisé de l’usine ou de la mine (art. 30) et de la terre (art. 31). Quant aux articles 51 et suivants, ils disposent que les accidents et maladies contractés ou aggravés dans les usines de guerre seront considérés comme blessures ou maladies de guerre. Le 5 octobre 1919, le Sénat se saisit enfin du dossier. Le patronat, qui lui aussi a dû mettre à jour son organisation [39], continue à s’opposer à la réforme et obtient du rapporteur de la loi, le retrait d’un certain nombre de travaux et de pathologies [40]. Après vingt ans de débats, la loi est adoptée le 18 octobre 1919, en deuxième lecture, par l’Assemblée nationale.

43La Conférence internationale du travail de 1919 et les premières assises du Bureau international du travail vont mettre en évidence le retard considérable de la France par rapport aux pays voisins. La Suisse, par exemple, reconnaît, dès le début du siècle, 34 maladies professionnelles, l’Angleterre 32, dont la silicose pulmonaire. Quant à l’Allemagne, elle reconnaissait les maladies professionnelles occasionnées par le plomb, le phosphore, le mercure, l’arsenic, le benzol, l’azote, l’amidon, le soufre et leurs composés, les affections cutanées provoquées par la suie, la paraffine, la térébenthine, l’anthracite, la poix et les matières semblables, la cataracte des verriers, les maladies causées par les rayons X et toute autre énergie radioactive, l’helminthiase et la tuberculose des mineurs.

44Le désir de combler ce retard à tout prix va définitivement conduire les syndicats français à lutter prioritairement en faveur de la réparation des maladies professionnelles, plutôt que vers leur éradication. Pour y arriver, il leur faudra se mettre d’accord avec le patronat non seulement sur les signes cliniques de la maladie pour qu’elle soit attestée sur le plan médical, mais également sur le délai de prise en charge [41] et sur une liste limitative ou indicative des travaux susceptibles de provoquer ces ma - ladies. Il faudra attendre près de soixante-dix ans et le scandale de l’amiante pour voir de nouveau l’interdiction d’un produit en France [42]. Entre temps, les maladies professionnelles auront fait, à l’image de la silicose, des dizaines de milliers de victimes (Rosental et Devinck, 2007).

45Conflit d’intérêts : aucun.

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : poisons industriels, loi, mouvement ouvrier, maladies professionnelles

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.1684/sss.2010.0204

Notes

  • [*]
    Jean-Claude Devinck, historien, EHESS, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France ; Jean-Claude.Devinck@ehess.fr
  • [1]
    « Les historiens n’ont pas eu grand mal à démontrer la relative indifférence manifestée par le syndicalisme à l’égard des problèmes de santé jusqu’au début du xxe siècle » (Rebérioux, 1989 : 7).
  • [2]
    Cette revue créée par Parent-Duchâtelet, Esquirol, Marc, Orfila et Villermé va constituer, jusqu’en 1880, le principal lieu où vont s’exprimer les hygiénistes intéressés à poursuivre l’œuvre de Ramazzini.
  • [3]
    Quelques exemples : le saturnisme (Grisolle 1835 ; Chevalier 1836 ; Tanquerel des Planches 1839 ; Brachet 1850 et Perseval 1855), le phosphore (Strohl 1845 ; Chevalier 1847 et 1855 ; Tardieu 1856 et Trélat 1857), l’arsenic (Blanchet 1841 ; Chevalier 1847 et Beaugrand 1859), le cuivre (Chevalier 1843 ; Blanchet et Tanquerel des Planches 1845 ; Pécholier 1864) ou les maladies liées aux poussières (Chevalier 1836 ; Morin 1847 ; Beltz 1862 et Porcher 1866).
  • [4]
    « On n’ignore pas que les doctrines sociales sont répandues et se répandent chaque jour davantage dans nos rangs ; lorsque les ouvriers vont prêter une attention soutenue aux enseignements des professeurs (du CNAM), ce n’est certes point pour entendre des paroles vaines ; en allant écouter, après la fatigue du jour, cet enseignement quelque peu officiel, ils espèrent y trouver des intentions du pouvoir ; ils veulent savoir si l’anathème que le gouvernement jette sur les théories socialistes est inspiré par un amour sincère de la justice et du bien de la société, et s’il a lui-même un système de réformation et d’amélioration assez radical pour calmer tous les désirs sensés et toutes les inquiétudes, pour faire face à ces besoins urgents, à ces difficultés qui s’amoncèlent autour de nous et qui seront infailliblement la source de révolutions nouvelles, si l’on persiste à répondre aux demandes de réformes qui partent de tous les points de l’horizon, par ce mot d’une signification désespérante : rien ! ».
    (Cours du Conservatoire des arts et métiers, L’Atelier, 8 année, n°4, janvier 1848)
  • [5]
    Son premier comité de rédaction est composé d’E. Vallin, rédacteur en chef, J. Bergeron, H. Bouley, A. Proust, tous trois membres de l’Académie de médecine, A. Duran-Claye, A. Fauvet, H. Napias et C.A. Wurtz.
  • [6]
    Le délégué des tourneurs robinetiers décrit dans son rapport les dangers du cuivre dans son métier. « Nous avons un état excessivement malsain par suite de l’emploi des matières que nous manipulons, et il n’est pas rare de voir les hommes sortir du travail avec la peau et les vêtements saturés, pour ainsi dire, de poussière d’oxyde de cuivre. Au bout d’un certain nombre d’années, les mains, le visage, la tête toute entière, prennent une coloration particulière qui dénonce les ravages causés dans l’économie par les molécules minérales qui pénètrent dans les poumons et dans l’organisme tout entier. Les plus grands soins de propreté sont impuissants pour éviter les effets de cet empoisonnement journalier. Notre métier est donc des plus malsains et des plus dangereux pour la santé, et la preuve, c’est que peu d’ouvriers qui le professent arrivent à la vieillesse. »
  • [7]
    Son ouvrage est un cri d’alarme : « Il paraît en effet que la concurrence a rendu les profits du raffinage du camphre si minimes, pour qui n’a que cette corde à son arc, que dans bien des endroits, on a associé l’exploitation de ce produit avec la fabrication des sels si délétères de mercure et d’arsenic, sels qui sont devenus des articles de grand débit, depuis que la teinture a trouvé le secret d’en obtenir de brillants effets et des couleurs éclatantes. »
  • [8]
    « Les ouvriers de papiers couleurs et de fantaisie espèrent arriver un jour à fixer l’attention des autorités sur les dangers d’utilisation de cet arsenic de cuivre. Ils sont persuadés que leurs “patrons seraient très satisfaits de ne plus en vendre” et sont “certains par expérience du métier, qu’il ne s’écoulerait pas seulement six mois avant qu’on en ait trouvé une autre qui la remplacerait avec avantage” ».
    (Rapport des délégués des ouvriers parisiens à l’Exposition de Londres en 1862)
  • [9]
    « Les ouvriers fondeurs ont eu de tout temps la faculté de sortir librement de l’atelier pendant le temps de travail, ainsi que le constatent les nombreuses attestations des maîtres fondeurs, qui ont été lues à l’audience du tribunal correctionnel ; ces attestations disent qu’il est nécessaire pour la santé de l’ouvrier qu’il puisse changer d’air et se rafraîchir de temps en temps, à cause des travaux pénibles et insalubres auxquels il se livre, dans les ateliers dont l’atmosphère est chargée de poussière et de gaz délétère qu’il respire continuellement, et parce que la chaleur des étuves et des fourneaux, dont on élève la température à un très haut degré, est excessive ».
    (Dumoulin A., Mémoire justificatif de la conduite des ouvriers fondeurs, publié à l’occasion d’un procès de coalition intenté à treize d’entre eux, Paris, 1833 ; reproduit in Les révolutions du xixe siècle, 1830-1834, t. 4, Paris, 1974, EDHIS)
  • [10]
    En 1900, les manufactures des tabacs et allumettes comptent 91 % de femmes, soit 15 692 sur un effectif total de 17 140 personnes. Ce pourcentage unique de femmes dans les manufactures se retrouve parmi les syndiqués : ainsi, au premier congrès de la Fédération du tabac en 1891, sur 7 791 syndiqués, on trouve 6 964 femmes.
  • [11]
    Entre 1894 et 1898, une étude montre que, en moyenne annuelle, 314 ouvriers sont hospitalisés pour saturnisme, celui-ci provoquant 17 décès (Capel, 1902).
  • [12]
    Voir Hatton, Rapport de la Chambre syndicale des produits chimiques sur la proposition de loi de J.L. Breton relative à l’assimilation des maladies d’origine professionnelle aux accidents du travail visés par la loi du 9 avril 1898, approuvé dans la séance du 19 mars 1902.
  • [13]
    Le 30 juin 1903, après « deux mille réunions, autant sinon plus d’articles de journaux, plusieurs brochures et un nombre incalculable de démarches auprès des ministres, députés, sénateurs, médecins, chimistes, journalistes, la Chambre des députés vote le projet de loi interdisant l’emploi dans la peinture des composés de plomb ». (Léon Robert, secrétaire de la Fédération des peintres, La Voix du Peuple, 211, du 30/10 au 6/11/1904).
  • [14]
    Ce sera fait le 3 juillet 1903.
  • [15]
    Le 16 mai 1905 et repris à la législature suivante le 11 juin 1906.
  • [16]
    Annexe n° 325, Proposition de loi ayant pour objet l’extension aux maladies d’origine professionnelles de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, 2e séance du 13 juillet 1906.
  • [17]
    Sur la petite centaine de signataires, on retrouve l’ensemble des ténors socialistes : Jaurès, Millerand, Viviani, Sembat, Vaillant, Allemane, Guesde, Brousse…
  • [18]
    L. et M. Bonneff, le premier né en 1882 et le second en 1884, trouveront tous deux la mort au cours de la guerre de 1914-1918. Ils collaborent à la presse de gauche et d’extrême gauche, L’Humanité, La Vie Ouvrière, La Guerre Sociale, La Bataille Syndicaliste… Ils publient, en 1905, Les métiers qui tuent et, en 1908, La vie tragique des travailleurs. Voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, les Éditions Ouvrières, tome X, troisième partie, 1871-1914 ; voir également Dauzat (1989).
  • [19]
    Amiens, du 8 au 14 octobre 1906.
  • [20]
    La Commission a été constituée le 11 octobre. Elle est composée de Craissac, de la Fédération des peintres, Lefèvre, des Chauffeurs-mécaniciens, Roberjat, des Chemins de fer, Soulageon, des Platriers-peintres de Saint-Étienne, Beauregard, des Mineurs et Pataud, des Industries électriques (rapporteur).
  • [21]
    Ainsi, l’usine de filature et de tissage d’amiante de Condé-sur-Noireau a fait une cinquantaine de morts en cinq ans (Auribault, 1906).
  • [22]
    Suite à une délégation reçue par Viviani, qui promettait d’envoyer des inspecteurs pour vérifier l’état des galeries, le syndicat des égoutiers demande aux frères Bonneff de « suppléer les fonctionnaires un peu lents ». Les enquêteurs établissent un état des lieux et appuient les revendications des égoutiers (Bonneff et Bonneff, 1909).
  • [23]
    Le Comité confédéral de la CGT demandera l’appui de la classe ouvrière pour obtenir la suppression de la céruse en lançant un appel à manifester le 23 juin 1907 (La Voix du Peuple, septième année, n° 347, du 2 au 9 juin 1907).
  • [24]
    Pouget E., Le sabotage, Paris, Marcel Rivière, s.d. Les industriels du Nord ont fondé une assurance contre les risques du sabotage, la « Mutuelle du commerce et de l’industrie », Temps, 13 août 1905.
  • [25]
    La première réglementation datait de 1904. Les abus dans le fonctionnement des bureaux privés, qui exerçaient un monopole et prélevaient des droits de placement élevés au détriment des travailleurs, amenèrent le vote d’une loi. Cette loi favorisait largement les bureaux gratuits, gérés par les syndicats, les bourses du travail, les sociétés de secours mutuels, etc., et soumettait l’existence des bureaux privés à diverses autorisations.
  • [26]
    « Les syndicalistes ont commencé par refuser toute efficacité à l’action parlementaire […] avec le temps, sous l’influence des faits, les théoriciens, ceux qui étaient mêlés à la vie ouvrière, finirent par reconnaître une certaine efficacité à la loi ».
    (Leroy, 1913 : 605)
  • [27]
    La Bataille Syndicaliste, 10 novembre 1911.
  • [28]
    C’est la Chambre syndicale des ouvriers peintres d’Angers qui soumet ce point à l’ordre du jour du 3e Congrès national du bâtiment, qui se tient à Orléans du 27 au 31 mars 1910 (Daguin A., secrétaire de la Chambre syndicale des ouvriers peintres d’Angers, L’assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail, Le Travailleur du Bâtiment, 4e année, 40, 15 mars 1910).
  • [29]
    Du 29 mai au 4 juin 1905 s’est tenu à Liège un congrès international de médecins pour discuter des accidents du travail. Niel, qui représentait la Bourse du travail de Montpellier, s’y trouvait accompagné du docteur Imbert, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier et auteur de travaux sur la fatigue professionnelle, ainsi que du créateur et secrétaire de la Bourse du travail de Sète, Jannot.
  • [30]
    Ce volumineux rapport remis aux députés en janvier 1911 n’est discuté en séance de l’Assemblée nationale que le 12 juin 1913.
  • [31]
    Chambre de commerce de Paris, Extension aux maladies professionnelles de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, Rapport présenté au nom de la Commission de législation commerciale et industrielle par M. Pascalis le 25 octobre 1913.
  • [32]
    Tous les rapports sont classés AN 94 AP 144.
  • [33]
    Archives A. Thomas, AN 94 AP 144, Rapport sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs, par E. Martin et M. Frois, 15 février 1917, 19 pages et Rapport sur l’organisation médicale dans les usines privées travaillant pour l’artillerie et les munitions, 7 pages, sans date. Voir aussi le Rapport du ministère de la Reconstruction industrielle, protection de la main-d’œuvre, comité du travail féminin, Protection et utilisation de la main-d’œuvre féminine dans les usines de guerre, Paris, Imprimerie nationale, 1919.
  • [34]
    AN F/ 22/ 532, Usines de guerre, organisation médicale, 1915-1918, Note du sous-secrétariat d’État à la santé du 16 août 1917.
  • [35]
    A. Thomas « ne veut rien faire contre ni même sans le mouvement syndical ; à chaque moment il consulte Jouhaux et ses amis ; ils agissent sur lui ; mais il agit au moins autant sur eux. Au cours de ces conversations, peu à peu, sans qu’on y prenne garde à la CGT, une autre technique d’action syndicale s’ébauche » (Lefranc, 1967 : 203).
  • [36]
    À la fin de l’année 1915, Jouhaux adresse aux organisations ouvrières un rapport consacré à la législation internationale du travail. Il reprend notamment une proposition de l’American Federation of Labor (AFL) réclamant la tenue d’un congrès international ouvrier dès la paix revenue.
  • [37]
    Jouhaux rappelle que « l’idée d’une entente internationale pour la protection légale des travailleurs n’est pas nouvelle ». Il souligne que « la CGT a déjà participé en 1901 à la création de l’Association internationale pour la protection des travailleurs ».
  • [38]
    Rapports des Comités et des Commissions pour l’exercice 1914-1918, présentés au XIIIe congrès de la CGT (op. cit. : 65-66).
  • [39]
    Le 6 février 1919, les délégués de huit cents syndicats patronaux de la Seine réunis à la Chambre de Commerce de Paris émettent le vœu que le problème de la réglementation du travail ne soit abordé ni par la Conférence de paix, ni par le Parlement. L’Union des industries métallurgiques et minières abandonne le secteur économique aux sociétés adhérentes pour se limiter aux questions sociales, ouvrières et fiscales : elle entame des discussions avec la Fédération CGT des métaux sur la diminution du temps de travail (Fraboulet, 2007).
  • [40]
    Le rapporteur de la loi au Sénat, M. Boucher, fait rayer de la liste des maladies causées par le plomb l’anémie progressive et l’encéphalopathie. Il ramène également le nombre des travaux concernés par le plomb de 36 à 22 et les pathologies provoquées par le mercure de 10 à 8.
  • [41]
    Délai maximal entre la constatation de l’affection et la date à laquelle le travailleur a cessé d’être exposé au risque.
  • [42]
    Insistons sur ce point qui montre la spécificité du drame contemporain de l’amiante : près de soixante-dix ans après la loi de 1919, ce matériau sera le premier à faire de nouveau l’objet d’une interdiction en France.

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