Couverture de SSS_371

Article de revue

Raconter sa déraison. Émotions et crédibilité de la parole de représentantes d’usagers en santé mentale

Pages 43 à 67

Notes

  • [1]
    Cette distinction recoupe celle établie par Barnes (2008) entre les « free spaces » des mouvements citoyens et les « invited spaces » des institutions.
  • [2]
    Ce plan ne précise toutefois aucune cible à atteindre ni aucun mécanisme permettant d’évaluer la réussite des expériences de participation.
  • [3]
    Six des sept personnes rencontrées sont des femmes et, pour refléter cette réalité, nous nous référons à un groupe de « représentantes d’usagers » dans la suite du texte.
  • [4]
    L’organisation communautaire est un mode d’intervention qui vise à soutenir les communautés (notamment les plus désavantagées) par la mise en place d’activités visant à améliorer leur santé et bien-être. Au Québec, ces organisateurs communautaires sont employés dans le secteur public et le milieu associatif.
  • [5]
    Nous avions observé au préalable plusieurs rencontres de préparation des représentants d’usagers aux Comités. Nous avons obtenu le certificat d’éthique pour réaliser les entretiens un an plus tard.
  • [6]
    L’analyse préalable des procès-verbaux des rencontres du Comité a permis de relancer les enquêtés sur les sujets qui avaient fait l’objet de débats.
  • [7]
    Les prénoms ont tous été modifiés.
  • [8]
    Au Québec, l’expression « BS » en référence à « bien-être social » désigne de façon péjorative les personnes qui bénéficient du programme d’aide sociale et qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
  • [9]
    Par contraste avec le langage chiffré des gestionnaires, une militante cherche à savoir ce qu’il en est des services reçus par les personnes : « Ce n’est pas () des normes de développement ou de pourcentage, c’est “Oui, mais là : qu’est-ce que vous faites avec ce monde-là ? Ont-ils des services ?” () On discutait sur des objectifs qui étaient remplis à 50 %. On se disait : “50 %, ça veut dire quoi ? On a la moitié du personnel ? Il est où le 50 % ?” Dans le fond, on discutait () sur des points théoriques dans un sens, mais qui avaient des implications pratiques quand-même. » (Emmanuelle).
  • [10]
    Dans les faits, le livre regorge d’exemples qui suggèrent le contraire, qu’il s’agisse de la détresse qu’il ressent lors de son arrivée à l’hôpital (« Mon cœur balance entre des sentiments divers : la crainte, la panique, la honte, le remords, la solitude. À un rythme effarant, les émotions se succèdent les unes les autres.Au secours ! Au secours ! », p. 10-11) ou de la rage qu’il vit en raison des injustices quotidiennes dont il est témoin ou victime : « La rage au cœur, j’obéis à son ordre () Je n’ai jamais été aussi humilié de ma vie. J’avais des haut-le-cœur, de laver le crachat des autres. Accusé publiquement et injustement, rabaissé aux yeux de tous, je me sentais considéré comme un être ignoble qui n’a aucun savoir-vivre » (p. 83).
  • [11]
    Comme nous l’avons noté à propos de Les fous crient au secours, les professionnels de la santé autant que le grand public peuvent partager l’indignation des personnes avec des problèmes de santé mentale, ce qui souligne que l’on n’a pas à vivre personnellement une situation injuste pour s’en indigner et vouloir la changer.
  • [12]
    Ceci n’est pas sans rappeler l’activisme des militants VIH/sida qui a aussi favorisé leur participation à l’élaboration des politiques de santé, à l’organisation des soins ainsi qu’aux programmes de recherche (Epstein, 1996 ; Barbot, 2002).

1Les problèmes de santé mentale sont parfois définis comme des « types cliniques de comportements et d’émotions associés à un certain degré de détresse, de souffrance ou d’incapacité dans une ou plusieurs sphères de la vie, comme l’école, le travail, les relations sociales et familiales ou la capacité de vivre de façon autonome » (Commission pour la santé mentale du Canada, 2009 : 11). Possibles symptômes ou réactions normales, les émotions des personnes avec un diagnostic psychiatrique sont ainsi scrutées à la loupe, soigneusement examinées par les personnes elles-mêmes, leur entourage ou les professionnels de la santé comme des signes éventuels de la présence ou de la recrudescence de leurs problèmes de santé mentale. L’attribution d’un diagnostic change ainsi le regard porté sur les émotions et la charge affective qu’elles possèdent. Comme le rappelle Brossard (2015), à la suite des travaux de Thoits (1985), le processus d’étiquetage a été conceptualisé en sociologie de la santé mentale comme un processus au cours duquel l’individu cherche à maîtriser une « déviance émotionnelle ». Tout au long de leur parcours de soin, les personnes avec des problèmes de santé mentale ont développé des compétences particulières pour réguler ou éviter des émotions négatives, que ce soit par la consommation d’alcool ou de médicaments ou par des activités sociales et de relaxation, afin d’améliorer leur qualité de vie et pour éviter de projeter une image négative auprès de leurs proches, collègues et intervenants (Berking et Whitley, 2014).

2Ces analyses s’inscrivent dans la lignée des travaux entrepris par le courant interactionniste de la sociologie des émotions. Goffman (1974) et Hochschild (1983 ; 2003 [1979]) ont finement décrit le travail fait par les personnes sur elles-mêmes (ce que Hochschild nomme emotional work) pour contrôler et réguler leurs émotions et l’image qu’elles donnent à voir ou pour se soumettre à des attentes sociales. Par exemple, il peut s’agir de respirer profondément pour retrouver son calme. Ces émotions, réelles ou imputées, jouent également sur la crédibilité qu’on leur accorde lorsqu’elles prennent la parole ou lorsqu’elles réagissent à certaines situations. Ainsi, la colère manifestée par une personne avec un diagnostic serait plus systématiquement interprétée comme la manifestation d’un symptôme des problèmes de santé mentale que celle exprimée par une personne sans diagnostic, et souvent associée à l’imprévisibilité et à la dangerosité (Barnes, 2004 ; Connor et Wilson, 2006). D’autres auteurs ajoutent que la psychiatrisation des émotions et la disqualification des propos en raison de problèmes réels ou supposés de santé mentale semblent toucher particulièrement les minorités racisées (Metzl, 2009) et les femmes (Fricker, 2007 ; Lewis, 2012).

3Ce possible discrédit de la parole des usagers en santé mentale soulève des enjeux particuliers dans le champ de la participation citoyenne et institutionnelle où des représentants d’usagers sont amenés à porter une parole collective sur les soins et services qu’ils ont reçus ou reçoivent actuellement. Par participation citoyenne, nous désignons des espaces organisés par et pour les citoyens, par distinction avec la participation de la population au sein d’espaces créés par des institutions publiques [1]. En ce qui concerne la participation institutionnelle au Québec, le Plan d’action en santé mentale 2005-2010 du ministère de la Santé et des Services sociaux recommande aux institutions (centres de soins, hôpitaux) de « s’assur[er] d’obtenir la participation d’utilisateurs de services en santé mentale, de représentants des familles ou de proches dans les exercices de planification et d’organisation de services qui les concernent. » (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2005 : 16) [2]

4La littérature sur les émotions des usagers impliqués dans des dispositifs participatifs institutionnels en santé mentale est, à notre connaissance, peu fournie, mais ouvre deux champs de réflexion intéressants. Le premier s’inscrit dans la lignée des travaux mentionnés précédemment. Il s’agit d’études qui ne portent pas centralement sur les émotions, mais qui rapportent néanmoins que les sautes d’humeur ainsi que certains comportements et paroles de représentants d’usagers impliqués dans des dispositifs de participation institutionnels sont jugés inappropriés et disqualifiés par des gestionnaires responsables de ces dispositifs (Church, 1996 ; Clément et Bolduc, 2009). Le second champ de recherche souligne le rôle central des émotions comme déclencheur ou moteur de l’engagement d’usagers ou de représentants d’usagers qui souhaitent transformer les institutions (Jasper, 1997 et 1998), notamment dans les domaines de la santé mentale (Duperré, 2008) et du VIH/sida (Gould, 2009).

5Plusieurs questions restent ainsi inexplorées : comment les membres des dispositifs institutionnels de participation qualifient-ils les émotions des représentants d’usagers ? De quelle manière les interactions entre les membres alimentent-elles les émotions des représentants d’usagers et, éventuellement, leur implication dans ces espaces de participation ? L’objectif de cet article est d’analyser le traitement des émotions vécues par des représentants d’usagers présents dans un espace institutionnel de participation en santé mentale et de mettre en perspective cette analyse avec le rôle des émotions au sein des mouvements d’usagers en santé mentale au Québec.

6Les données empiriques proviennent d’une enquête de terrain réalisée sur les activités du Comité aviseur en santé mentale (Comité dans la suite du texte) mis sur pied par un centre de santé et des services sociaux (CSSS) du centre-ville de Montréal dans le cadre de l’implantation de son plan local d’organisation des services. L’analyse portait plus précisément sur la place accordée à la parole et aux savoirs des représentantes d’usagers qui y participaient (Gagné, Clément et al., 2013) [3]. Dans le cadre de cet article, nous réalisons une analyse de ce matériel centrée sur les émotions des représentantes d’usagers et la manière dont elles ont été qualifiées, vécues et traitées dans les interactions du Comité.

7Réunissant une quinzaine de membres en moyenne par rencontre, dont deux représentantes d’usagers des services et des soins de santé mentale, des professionnels et des gestionnaires d’un CSSS et d’un hôpital, ce Comité avait pour mandat d’émettre des recommandations sur l’organisation locale des services de santé mentale. Durant les quatre années de son existence, à raison de six rencontres par an, le Comité a notamment accompagné la création d’un répertoire des ressources des services publics et associatifs en santé mentale, mis sur pied un guichet d’accès aux services et a défini des mandats de l’équipe d’intervention de première ligne en santé mentale.

8Nous avons réalisé 15 entretiens semi-directifs, dont 14 avec des membres du Comité, ce qui représente environ la moitié des personnes qui y ont siégé à un moment ou un autre. Il s’agit, en premier lieu, d’entretiens conduits avec six des sept représentantes d’usagers des services et des soins de santé mentale : une représentante d’une association des familles et proches des personnes avec des problèmes de santé mentale, et cinq représentantes d’usagers d’une association de défense des droits en santé mentale. Ces personnes n’étaient pas rémunérées mais leurs déplacements et repas étaient dédommagés par le CSSS. Elles habitaient le territoire de l’établissement de santé ayant mis sur pied le Comité, avaient ou avaient vécu des problèmes de santé mentale, s’étaient portées volontaires et possédaient, pour l’essentiel, une expérience de plusieurs années en tant que membres du groupe régional de défense des droits qui les soutenait.

9Avec l’aide d’un organisateur communautaire [4] du CSSS, les cinq personnes issues des groupes de défense des droits se réunissaient une semaine avant chaque rencontre du Comité afin de préparer les rencontres et de désigner les deux représentantes qui y assisteraient. Les représentantes d’usagers adossaient également leur prise de parole à huit rencontres publiques rassemblant jusqu’à 25 personnes chacune et organisées, durant les quatre années d’existence du Comité, en collaboration avec des associations montréalaises d’usagers en santé mentale, sur des enjeux tels que l’accessibilité et la qualité des services et des soins.

10En second lieu, des entretiens ont été conduits avec huit autres membres du Comité regroupés dans la catégorie « gestionnaires et intervenants ». Il s’agit de trois personnes rattachées au Département de psychiatrie d’un hôpital et ayant un mandat de coordination des services et des soins (infirmière, travailleuse sociale et psychiatre), de deux gestionnaires des services santé mentale adulte du CSSS, des deux organisateurs communautaires ayant successivement soutenu le groupe de représentantes d’usagers et qui assuraient l’animation du Comité, et d’un directeur général d’une association. Enfin, nous avons également réalisé un entretien avec le coordonnateur du groupe régional de défense des droits dont sont issues les représentantes d’usagers du Comité.

11L’échantillonnage était composé afin de refléter une diversité de points de vue en termes de statuts (professionnels de la santé et des services sociaux ou gestionnaire de programme), d’employeurs (associatif, CSSS ou hôpital) et de durées de présence des membres dans le Comité (de plusieurs mois à quatre ans). Lors des entretiens, qui se sont déroulés un an après la fin des travaux du Comité [5], les répondants étaient amenés à évoquer la dernière rencontre du Comité à laquelle ils avaient participé, puis à remonter le fil des rencontres en s’arrêtant sur les temps forts de la vie du Comité [6].

12La première partie de l’article est consacrée au rôle joué par les émotions des représentantes d’usagers dans le dispositif institutionnel de participation qu’est le Comité, à la manière dont elles gèrent les émotions qu’elles vivent ainsi qu’au regard porté par les gestionnaires et intervenants sur ces émotions. Dans la seconde partie, nous confrontons cette expérience à la place accordée aux émotions au sein du mouvement de défense des droits en santé mentale au Québec et à leur rôle transformateur des soins institutionnels de santé mentale. Pour cela, nous adoptons une perspective historique et nous appuyons sur des témoignages écrits d’usagers ou de représentants d’usagers en santé mentale au Québec.

Les émotions au cœur de la participation en santé mentale

13Il s’agit, dans cette partie, de comprendre ce que l’analyse des émotions peut apporter à la sociologie de la participation dans le domaine de la santé mentale et à la compréhension des rapports de pouvoir en jeu dans un dispositif participatif particulier.

Une décision « dure à comprendre »

14La situation suivante, relatée par plusieurs interviewés, nous place d’emblée au cœur des émotions vécues par les membres du Comité. Parmi ses mandats, celui-ci doit veiller à assurer un continuum entre les établissements de soins généraux et spécialisés de santé mentale. Cette continuité est notamment facilitée par le formulaire de référence des patients, rempli par les intervenants. Lors des discussions entourant sa création, les représentantes d’usagers du Comité ont souhaité que celui-ci soit également signé par la personne référée. Leur intention était de s’assurer que la personne soit informée et consente aux démarches faites en son nom, afin de favoriser un sentiment de contrôle et de « dignité ». Cette préoccupation était directement issue des consultations réalisées par les représentantes d’usagers dans le milieu associatif en santé mentale.

15Les discussions sur le formulaire de référence sont décrites comme houleuses dans un contexte où les intervenants se sentaient « agressés » (Alia, travailleuse sociale [7]), c’est-à-dire injustement soupçonnés de ne pas respecter la confidentialité des dossiers et de ne pas agir comme des professionnels. Un consensus se dessine pourtant, après plusieurs rencontres, entre professionnels, gestionnaires et représentantes d’usagers sur l’importance de la signature du formulaire de référence par les personnes concernées. Une représentante d’usagers se félicite que la mise en commun des points de vue ait permis de questionner les pratiques et de faire avancer la réflexion sur le consentement des patients. Elle dit à ce moment avoir ressenti qu’elle avait eu un « impact », même modeste et que son avis était pris en considération. Alors que le formulaire de référence s’apprête à être adopté par la direction des services de santé mentale du CSSS, un médecin qui n’a pas participé aux discussions juge cette procédure impossible à respecter, ce qui a pour effet de mettre fin au projet. Il remplit les formulaires de référence en fin de journée quand les patients sont absents et juge que les faire revenir pour le signer ralentirait inutilement les démarches. Une infirmière de l’hôpital évoque ce souvenir en ces termes : « L’affaire de la signature du formulaire, ça, c’était assezc’était assez émotif » (Aude). Elle se souvient que cette décision a été « dure à comprendre » pour les représentantes d’usagers, puisque le message qu’elle véhiculait était « qu’on ne trouvait pas important leur opinion ».

16Cet épisode témoigne, à ses yeux, de la rencontre entre deux univers : celui des représentantes d’usagers qui ne seraient pas familières avec ces « processus complexes » et celui des gestionnaires quant à eux « habitués avec les lois du système » et non « impliqués émotivement ». Il témoigne aussi de la difficulté de légitimer et d’étendre une décision prise en petit comité au reste de l’institution, ce qui rejoint une des critiques adressées par Pourtois (2013) aux délibérations en publics restreints. Dans le cas présent, le médecin arrive après-coup avec une décision perçue comme froide et abrupte, qui contraste avec le processus délibératif.

17Constatant leur pouvoir d’influence « très, très mince ou inexistant des fois » (Mélissa), les représentantes d’usagers ont, dans la foulée de cet événement, mis en doute la pertinence de leur présence dans le Comité. Ce moment est qualifié de « grande sortie émotive () un peu, entre guillemets, dans une perte de contrôle » par une gestionnaire du CSSS qui dit avoir dû rentrer dans un mode « intervention » pour les rassurer : « Vous ne pouvez pas vous imaginer jusqu’à quel point ça change tout et que, maintenant, même quand vous n’êtes pas là, moi, quand je suis dans une autre réunion où vous êtes absents, ça ne peut plus jamais être pareil parce que, maintenant, dans ma tête, je me dis : “si un utilisateur de services était là, qu’est-ce qu’il me dirait ?” ou “qu’est-ce qu’il penserait ?” » (Marie).

18Cette idée rejoint le constat d’un de ses collègues pour qui la présence des représentantes d’usagers « discipline » le discours des membres du Comité, qui sont amenés à « beaucoup moins [les] instrumentaliser » (Jean-Pierre, psychiatre) et à mieux prendre en compte leurs réalités. La force des représentantes d’usagers serait de contribuer à sortir certaines situations de l’abstraction en apportant des exemples tirés de leur vécu ou de celui d’autres usagers. Leur discours refléterait des « réalités différentes » et « complémentaires » de celles des soignants (Jean-Pierre), en ce qu’il présente le quotidien des personnes en dehors des situations de soin. Leur présence contribuerait également à favoriser l’empathie des gestionnaires et des intervenants, et à leur faire envisager les conséquences de leurs décisions, quitte à les modifier, le cas échéant.

La gestion des émotions et la crédibilité

19Les représentantes d’usagers recourent à différentes stratégies pour gérer leurs émotions. Certaines reconnaissent que l’expression des émotions peut nuire au bon déroulement des interactions au sein du Comité. Elles ont alors tendance à endosser la responsabilité des tensions dans les échanges, comme le fait l’une d’entre elles : « Je ne suis pas vraiment une intellectuelle. Je parle émotionnellement et, de temps en temps, je sais que ça peut être un empêchement [obstacle] ». La représentante des familles et des proches d’usagers juge que la présence de cette personne, qui devient parfois « un peu agressive avec [s]on point » en référence à son insistance à ramener et faire valoir son point de vue dans les échanges ainsi qu’à son ton de voix, est « contre-productive » (Sylvie).

20Conscientes des possibles effets pervers de leurs réactions spontanées sur la dynamique du Comité, notamment en ce qu’elles risquent de les faire passer pour des personnes sans distance vis-à-vis des sujets abordés, les représentantes d’usagers utilisent les rencontres préparatoires aux réunions pour évacuer entre elles leur trop-plein d’émotions. Il s’agit alors de « ventiler » les émotions suscitées par l’intervention de tel ou tel membre, mais non exprimées. L’une d’entre elles (Erika) nous a également confié avoir écrit un article dans le journal de l’association de défense des droits des usagers dans laquelle elle s’implique afin d’exprimer sa colère à l’égard d’un membre du Comité. Percevant le caractère illégitime de la place des émotions en réunion, les représentantes cherchent d’elles-mêmes à ravaler l’expression de leur indignation ou de leur colère. Emmanuelle en vient ainsi à ne plus démentir des propos qui la choquent et la mettent en colère de peur de paraître trop « émotionnelle » : « Je n’aime pas quand il y a de la chicane ou des débats houleux. J’ai de la misère dans ce temps, ça fait que je m’organise pour ne pas trop les provoquer » (Emmanuelle). Le découragement qui naît de ces situations peut aussi alimenter une forme d’autodérision sur leur présence pouvant, à son tour, être perçue par les autres membres comme de la moquerie ou de la provocation. Le commentaire « Vous ne pouvez pas comprendre ce genre de choses », lâché par une représentante d’usagers en référence à son vécu de femme stigmatisée comme « folle » et « BS[8] » est interprété par Aude, infirmière membre du Comité, comme un comportement de « victime ». Selon elle, les remarques de certaines représentantes d’usagers du type « on sait bien, à l’hôpital… » relèvent de préjugés qui ne sont pas fondés sur des « exemples clairs ». Aux yeux des membres du comité, le discours des militantes reste sur le registre de la plainte et de la critique des institutions alors que leur rôle devrait être de participer non pas « pour la défense des droits, mais () pour la promotion de meilleurs services » (Jean-Pierre, psychiatre membre du Comité).

21Les interactions du Comité auraient nourri un certain « scepticisme » et une défiance des représentantes d’usagers à l’égard des intentions des autres membres. Aux yeux de Jean-Pierre, « il y avait toujours l’inquiétude que leur présence ait une fonction cosmétique, que leur présence soit une espèce de récupération, de dire : “vous êtes d’accord avec nous, n’est-ce pas ?” et donc, [elles] étaient sur la défensive (…) ». De son côté, la représentante des familles et proches d’usagers se distancie des autres représentantes, dont elle qualifie le discours d’« agressif » et de « non stratégique », et les demandes de « pas réalistes » : « L’agressivité était dans la façon de dénoncer, admettons : “vous avez dit que vous nous consulteriez dans telle circonstance, vous ne l’avez pas fait” et la personne qui rapporte ces éléments, elle a une façon de rire de façon narquoise de ceux qui sont en avant. » Elle dit quant à elle situer son travail dans une perspective de collaboration et non de confrontation avec les institutions. Elle se montre néanmoins sensible aux raisons pouvant expliquer le côté affirmatif de certaines prises de position : « C’est peut-être le fruit de tant d’années de réclamations, possiblement () Si c’était ça l’historique, là, je pourrais comprendre. Moi, à un moment donné, j’ai étéJ’avais un ton de revendications parce que dans mon histoire, j’ai été impliquée dans [une association provinciale] depuis 1995 et dans tout notre historique () le lien entre la famille qui prend en charge et l’équipe soignante est réclamé depuis aussi loin que je me souvienne (). Je comprends qu’à un moment donné tu arrives et tu en as assez. » (Sylvie).

22Cette citation met en lumière les différentes stratégies des représentants d’usagers qui peuvent s’allier et se soutenir ou se présenter en concurrence pour gagner la faveur des autorités décisionnelles au sein des institutions.

La proximité et la distance émotionnelles : le défi de la représentation

23Dans le Comité, les représentantes d’usagers rapportent des situations qu’elles ont elles-mêmes vécues. Parmi ces expériences figurent l’hospitalisation d’urgence, le manque d’écoute de la part de certains professionnels ainsi que la stigmatisation et la discrimination dont elles sont parfois victimes dans l’accès aux soins. Ces expériences peuvent les conduire à revendiquer, « parler fort pour se faire entendre » ou encore à dénoncer des pratiques ou comportements au sein du réseau de la santé et des services sociaux, ce qui peut être perçu par d’autres comme de l’agressivité. L’ancrage dans le vif de l’expérience apparaît comme un des éléments centraux apportés par les représentantes d’usagers qui s’impliquent : « C’est à partir de l’expérience, de l’usage, de l’émotion qui a été vécue, c’est à partir de ça qu’ils construisent la représentation deIls ne partent pas de : “Est-ce que c’est un bon service qui ne dure pas trop longtemps et ne coûte pas trop cher ?” » (Organisateur communautaire qui a participé aux travaux du Comité).

24Mais il y a toujours un « risque à se dévoiler » et à parler de soi, d’autant plus que les propos des gestionnaires et des intervenants manquaient parfois de « nuances », selon les termes d’une représentante d’usagers. Par exemple, les propos tenus à propos de la gestion autonome de la médication ont été jugés « blessants » (Erika) : « T’entends dire : “Les paranoïaques, c’est ci, les schizophrènes, c’est ça. Il faut vraiment faire un suivi pour savoir s’ils prennent leurs pilules sinon ils vont se désorganiser” » (Emmanuelle). Ils ont conduit l’une des représentantes d’usagers à moins s’impliquer dans les échanges.

25Ces témoignages font écho à ceux de Claude Finkelstein, ancienne présidente de la Fédération des associations de (ex)-patients des services psychiatriques (FNAPSY), qui a participé à plusieurs dispositifs participatifs français similaires au Comité :

26

« Il m’est arrivé, le moins souvent possible, d’exprimer ma souffrance. Le pire pour moi est de l’exprimer contre ma volonté. Je m’explique : lorsque les discussions deviennent difficiles, lorsque je comprends que la parole de l’usager ne va pas être prise en compte, tellement de personnes savent mieux que nous ce qui est bon pour nous, je n’arrive plus à m’exprimer calmement et là je peux constater les regards et les paroles de “réconfort” des familles ou des professionnels. Cela me repositionne dans la situation de l’usager individuel qu’il faut protéger car il n’a pas toute sa raison. Ce qui, vous le comprenez, démultiplie ma souffrance et mon impossibilité à m’exprimer selon les critères de ce genre de réunion. (…) Raconter ses souffrances, sa déraison, entre pairs est simple, je dirais facile. Le faire devant des étrangers, fussent-ils des thérapeutes, ne l’est pas. »
(Finkelstein, 2009 : 801)

27Cette citation rejoint l’expérience de plusieurs représentantes d’usagers qui ont été, à plusieurs moments et selon l’expression de Finkelstein, « repositionnées » comme malades et non plus comme membres à part entière du Comité, apportant la parole de personnes avec des problèmes de santé mentale. Cette tendance est accentuée lorsque les représentantes sont invitées par les membres du Comité à s’exprimer à propos de leurs propres expériences. Comme le résume l’une d’entre elles, « t’es là en tant que représentante, mais aussi en tant qu’individu [amené à] mettre beaucoup sur la table » (Mélissa) en référence au partage d’expériences particulièrement intimes.

28Pour ne pas s’exposer personnellement et pour montrer que les situations rapportées ne sont pas des cas isolés, l’une des stratégies est alors de rapporter son expérience de manière indirecte : « Je ne disais pas : “Moi, j’ai déjà été suicidaire” [mais] : “Qu’est-ce que vous faites avec eux ?” » (Emmanuelle). Une autre stratégie est de mettre uniquement l’accent sur les situations recueillies lors des consultations collectives et de ne jamais parler de soi : « Voici, on a un monsieur qui vit seul et dont la situation se détériore. Les voisins, la police est appelée, il y a intervention policière, il va à l’urgence, mais il est relâché trois heures après » (Mélissa). En s’impliquant dans des ressources associatives d’entraide entre pairs, les représentantes d’usagers ont pris l’habitude de partager, de mettre en mots leurs expériences et ont progressivement développé une vision collective des enjeux auxquels elles font face. Ce processus de désingularisation permet d’éviter les blessures personnelles dans les échanges et aussi de donner une portée plus générale à leurs propos : « Au début, je parlais juste de mes affaires [de] ce qui m’avait choqué. () Plus tu t’impliques, plus ta vision devient collective » (Erika). Une autre militante souligne l’importance d’aller « au-delà » du vécu, de ne pas « rester pogné [prisonnière] » dans ses expériences négatives (Emmanuelle).

29Au fil de leur engagement, leur vécu intime est « partagé avec d’autres », « mis en commun », validé, enrichi au point de devenir une « cause collective », selon les termes de plusieurs représentantes d’usagers. À l’instar d’auteurs tels que Mead, Hilton et Curtis (2001), Vanthuyne (2003) et Barnes (2008), on peut constater que les représentantes partagent un fond commun d’expériences relativement à la santé mentale qui leur donne une compréhension fine et souvent implicite de ce qui est vécu par leurs pairs. Cette dimension est illustrée par les propos d’une représentante d’usagers qui dit avoir développé, en vertu de son propre parcours, une compréhension empathique de la situation d’une autre représentante absente du comité pendant une longue période : « Je comprends que quelqu’un, pendant trois mois, ne soit pas là. Puis, ce n’est pas : “La personne est paresseuse” » (Mélissa).

30Ces situations et stratégies de gestion des émotions illustrent la tension liée au rôle des représentantes des usagers : sensibiliser les membres du comité en témoignant de réalités qu’elles ont vécues ou qui leur ont été rapportées, tout en montrant qu’elles ont de la distance vis-à-vis de ces expériences, que celles-ci ne sont pas simplement des expériences singulières et qu’elles revêtent donc une portée collective.

Le rôle des émotions dans la transformation des institutions

31L’analyse microsociologique du traitement des émotions de représentantes d’usagers dans un espace de participation institutionnel nous conduit à nous interroger, plus largement, sur le rôle des émotions dans les mouvements d’usagers en santé mentale au Québec. Pour cela, nous nous appuyons sur des témoignages écrits d’usagers ou de représentants d’usagers depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Cette mise en perspective suggère que la colère et l’indignation des usagers et représentants d’usagers jouent un rôle différencié selon les espaces dans lesquels ces émotions s’expriment et sont qualifiées. Avant cela, nous analysons l’effet mobilisateur et démobilisateur des émotions des représentantes d’usagers au prisme des rapports de pouvoir qui existent entre les membres du Comité.

Les émotions dans les rapports de pouvoir

32Les émotions constituent un observatoire des jeux de pouvoir qui s’opèrent au sein du Comité. Il existe, tout d’abord, une asymétrie des statuts entre, d’un côté, les représentantes d’usagers avec un statut de bénévoles, en situation de pauvreté pour la majorité, et dont le pouvoir est avant tout de convaincre les autres membres du Comité et, de l’autre, les intervenants et gestionnaires siégeant dans le Comité dans le cadre de leurs fonctions et disposant du véritable pouvoir décisionnel. Les gestionnaires et intervenants, en surnombre par rapport aux deux représentantes d’usagers déléguées dans les rencontres du Comité, ont le contrôle de l’agenda de travail (ils peuvent, par exemple, décider de ne pas inviter les représentantes d’usagers dans un sous-groupe de travail comme c’est arrivé à une reprise) et leur avis a plus de poids (c’est le cas du médecin dont l’opposition à la signature du formulaire de référence par les patients fait tomber une décision issue d’un long processus collectif). Ensuite, une asymétrie oppose, d’une part, des personnes dont l’identité première est une identité stigmatisée et dévalorisante (celle de « folle », comme le rappelle une représentante) et, d’autre part, des personnes supposément stables psychologiquement et dotées d’une identité professionnelle valorisante. Enfin, une asymétrie existe entre les représentantes d’usagers, invitées à témoigner de réalités intimes concernant leur santé mentale et à porter un point de vue collectif, et les gestionnaires et intervenants qui n’ont pas à témoigner de leurs propres problèmes de santé mentale ou de leur vie privée.

33Les rapports de pouvoir se jouent également dans le contrôle exercé sur les émotions des représentantes d’usagers. Dans le comité, les émotions exprimées par les représentantes d’usagers ont deux fonctions, dont la reconnaissance ou la non-reconnaissance influe sur les rapports de pouvoir. Elles ont, premièrement, une fonction de sensibilisation et d’information. Véhiculées dans un récit individuel ou un ensemble de témoignages rapportés, elles visent à renseigner les membres du comité sur l’existence de situations et, si possible, à les conduire à reconnaître la nécessité de changer telle ou telle intervention qui ne fonctionne pas au profit d’une autre. Il peut s’agir, par exemple, de reconnaître l’importance que les personnes concernées signent le formulaire de référence afin d’améliorer leur sentiment de contrôle et de respecter leur dignité. Cet apport est reconnu par les gestionnaires qui jugent que la présence des représentantes d’usagers et la charge affective de leur propos les sensibilisent et les amènent à mieux prendre en compte leur point de vue dans leurs décisions. Mais cet apport est également parfois nié au profit de la recherche de données jugées plus « représentatives » pour ancrer la prise de décision [9]. Dans ce cas, l’émotion est perçue comme quelque chose d’irréfléchi et d’anecdotique.

34Les émotions ont une seconde fonction éthique et politique, dans le sens où elles seraient « nécessaires aux humains pour qu’ils se révèlent eux-mêmes quelles sont les valeurs auxquelles ils sont réellement attachés » (Livet, 2002 : 178). Témoignage des valeurs de ceux qui les expriment, les émotions constitueraient un jugement sur le tolérable et l’intolérable, l’acceptable et le non-acceptable et engageraient un dialogue sur la justice. C’est le cas lorsque les représentantes d’usagers évoquent la discrimination qu’elles subissent sur le marché du travail et du logement en raison de leur étiquette de personnes avec des problèmes de santé mentale ou qu’elles déplorent les effets négatifs de la pauvreté sur la santé mentale des personnes. Si l’on suit toujours Livet, le fait de partager des émotions (par exemple, la colère) permettrait d’enclencher un processus de révision des décisions à la lumière des valeurs révélées par les émotions.

35Ce processus ne s’opère que rarement au sein du Comité parce que ses membres allèguent que cela ne fait pas partie de leur mandat ou encore parce qu’ils invalident ou qualifient « d’agressivité » certaines réactions des représentantes d’usagers. En l’absence d’entente sur les valeurs au fondement de l’offre de service des institutions de santé et sur leur responsabilité vis-à-vis des conditions de vie des personnes, le dialogue promu par le dispositif semble avoir pour effet d’alimenter le refoulement des émotions des représentantes d’usagers, voire d’attacher des affects négatifs à leur expérience de participation, alors vécue comme une épreuve d’adversité et potentiellement blessante.

Un moteur de la transformation des institutions

36Dans les entretiens, les émotions des représentantes d’usagers renvoient également à ce qui pousse à l’action militante. Certaines se réfèrent ainsi au « sentiment d’indignation » né de situations qu’elles ont vécues ou dont elles ont été témoins, en tant que moteur explicite de leur engagement dans le milieu associatif, puis dans le milieu institutionnel en santé mentale. L’une d’entre elles présente son implication dans le Comité comme un moyen de dire « je n’ai pas vécu ça pour rien » et de transformer son expérience en « quelque chose de positif » (Emmanuelle). L’envie de défendre les droits des personnes marginalisées s’ancre dans les « expériences personnelles, les préjugés et la discrimination » vécus par une autre représentante d’usagers durant son enfance, puis à l’âge adulte (Jeanne).

37S’il n’y a pas, au Québec, de recherches sur le rôle des émotions dans les mouvements d’usagers en santé mentale, une recherche documentaire sur Internet nous a permis de trouver plusieurs témoignages et analyses produits par des usagers impliqués dans la défense des droits et abordant, centralement, les émotions. Ces documents offrent une vue plus large du rôle des émotions dans l’histoire du mouvement de la défense des droits des usagers en santé mentale au Québec depuis les années 1960.

38Les émotions des représentantes d’usagers du Comité font écho aux prémices du mouvement québécois des personnes avec des problèmes de santé mentale. Les témoignages, empreints de colère et d’indignation, de malades dénonçant leurs conditions de vie et l’indignation qu’ils ont soulevée auprès du grand public ont été des moteurs importants de la transformation des institutions publiques. En août 1961 paraît Les fous crient au secours, un récit autobiographique de Jean-Charles Pagé, ex-patient de l’hôpital montréalais Saint-Jean-de-Dieu qui est à l’époque l’un des deux plus importants asiles de la province. Ce témoignage offre un point de vue de l’intérieur sur le quotidien d’un asile et constitue un plaidoyer en faveur d’une amélioration des conditions de vie et des soins des patients.

39

« En levant le voile sur les conditions inhumaines et scandaleuses dans lesquelles on maintient 6000 êtres humains derrière les barreaux de Saint-Jean-de-Dieu () je me rends bien compte que je susciterai des critiques et que je m’expose aux jugements désapprobateurs de ceux qui ne veulent pas que ça change. () Ce n’est pas l’esprit de vengeance qui m’a inspiré, mais l’esprit de justice et j’ai rédigé ce témoignage sans passion. On peut excuser une société de tolérer un scandale dont elle ignore l’existence. Maintenant, on sait »
(Pagé, 1961, p. 141-142)

40On peut comprendre l’expression « sans passion » employée par Pagé comme un moyen d’éviter l’accusation d’émotivité, voire d’irrationalité qui pourrait jeter le discrédit sur son témoignage [10]. L’éditeur de l’ouvrage va également dans ce sens en insistant sur la valeur morale de l’auteur et en faisant de la « pondération » de son témoignage une qualité qui renforce la crédibilité de son message :

41

« Nous avons préféré le témoignage de Jean-Charles Pagé à tout autre à cause de sa pondération et de son évidente bonne foi. () Contrairement à plusieurs ex-malades mentaux que nous avons connus, Jean-Charles Pagé ne manifeste aucune haine à l’endroit de ses anciens geôliers. Par discrétionou par charité !il a donné des noms fictifs à presque tous les personnages pourtant bien réels auxquels il fait allusion. Son but : décrire simplement ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, en admettant que d’autres malades mentaux ont souffert plus que lui et pourraient donner un témoignage plus incroyable encore et qui illustrerait peut-être plus fidèlement le scandale intolérable de nos prétendus hôpitaux psychiatriques »
(Pagé, 1961, Avertissement au lecteur)

42Ce passage est instructif en ce qu’il explique que, certes, des témoignages plus spectaculaires existent. Ils sont légitimes, fondés sur des faits et ne sont pas des affabulations. En illustrant « plus fidèlement le scandale » de leurs conditions de vie, ils serviraient possiblement mieux la cause des personnes avec des problèmes de santé mentale. Mais ils seraient aussi plus « incroyables » aux yeux du grand public qui n’a jamais vécu l’internement et courraient par là même le risque d’être ignorés. Le récit de Pagé vaut, en quelque sorte, en raison de sa normalité et n’est audible que dans la mesure où il peut susciter de l’empathie.

43Fait intéressant, ce livre paraît accompagné d’une postface intitulée « La maladie mentale : un défi à notre conscience collective » rédigée par Camille Laurin, alors directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Comme d’autres professionnels de la santé, ce psychiatre est lui aussi scandalisé par le traitement des patients. Il souhaite humaniser et moderniser les soins psychiatriques en offrant « un système nouveau, qui redonne au malade sa dignité et la chance d’être traité comme il se doit » (p. 156). Son statut donnant toute son autorité au texte de Pagé, il invite le lecteur à « faire le silence et [à] l’écouter, [à] vérifier la vérité de son récit et [à] tirer les conclusions qui s’imposent pour l’avenir » (p. 144).

44Vendu à plus de 40 000 exemplaires, ce livre a joué un rôle important de sensibilisation du public au sort déplorable des malades enfermés dans les asiles (Duprey, 2007). S’ajoutant à d’autres scandales relayés par les médias à propos des conditions de vie dans les asiles, il provoque une onde de choc moral auprès du grand public et l’annonce de la création de la Commission d’études sur les hôpitaux psychiatriques dès septembre 1961. Le rapport Bédard, publié en 1962, annonce une modernisation importante des institutions psychiatriques : c’est le début de la désinstitutionnalisation qui repose, entre autres, sur une volonté de mettre fin aux asiles, de diversifier les soins et de développer le traitement dans la communauté (Wallot, 1998).

45À la fin des années 1970, des personnes avec des problèmes de santé mentale et ayant connu les soins psychiatriques institutionnels créent des associations par et pour les usagers des soins et services psychiatriques, dont Auto-psy (pour Autonomie-Psychiatrisés) qui devient, en 1991, Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal. L’alliance de groupes de personnes ayant un vécu des problèmes de santé mentale et d’associations engagées dans la défense des droits conduit également à la création, en 1983, du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale. Dans ces groupes, la parole des « ex-psychiatrisés » comme ils s’appellent parfois, est ancrée dans la défense des droits, la dénonciation des abus des institutions et la revendication d’une plus grande participation des personnes concernées à l’organisation des services.

46Les groupes de défense des droits visent précisément, selon Doris Provencher, directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec montréalaise, fondée en 1990, à offrir un espace où les personnes peuvent exprimer leur souffrance et leurs émotions, en particulier la colère qu’elles vivent. Évoquant son expérience de travail auprès de femmes diagnostiquées et en situation de pauvreté, elle note « que ces femmes déclaraient qu’on avait tu leur souffrance et leur colère. () Beaucoup de femmes disent qu’elles prennent certains médicaments pour gérer leurs émotions. Mais il n’y a pas d’endroits où ces femmes peuvent échanger ; de plus, on ne reconnaît leur souffrance nulle part ailleurs. » (Provencher, 2004 : 95) Et d’ajouter que le mandat des groupes de défense des droits en santé mentale vise précisément à offrir un espace d’expression des expériences, puis à aider les usagers à transformer leur expérience en colère et à se servir celle-ci en tant que levier d’action. Il s’agit, écrit-elle, de « redonner du pouvoir à ces femmes et de faire en sorte qu’elles se prennent en charge, que cette inertie devienne une colère qui les amènera ailleurs. » (Ibid.)

47Ce travail semble d’autant plus nécessaire auprès des femmes puisque la colère serait la seule émotion dont l’expression est interdite socialement aux femmes dans l’espace public et au sein des institutions de santé, comme le remarque Fernande Ménard, une représentante d’usagers qui a œuvré dans le milieu associatif en santé mentale des années 1960 aux années 2000. Selon elle, les « femmes ont le droit d’exprimer toute la gamme des émotions possiblesce qui serait leur nature - sauf une et j’ai nommé la colère. » (Ménard, 2007 : 22). Les normes sociales conduiraient les femmes à refouler leur colère par crainte d’être jugées et punies, notamment, par la médication ou la mise en isolement dans les institutions psychiatriques.

48La colère et l’indignation feraient partie intégrante de l’habitus affectif des usagers engagés pour améliorer les soins et transformer les institutions psychiatriques, par exemple, en les contraignant à respecter leur engagement de participation des personnes avec des problèmes de santé mentale. L’indignation, en particulier, apparaît sous ce jour comme une colère juste, réfléchie, qui s’appuie sur le parcours d’usagers investis dans la défense des droits d’autres usagers. Son expression serait une façon de dire : cette situation est injuste et il faut qu’elle change [11]. La prise en compte de ces revendications par les institutions a, entre autres, contribué à l’émergence de politiques publiques visant à relégitimer les institutions en favorisant la participation de personnes avec des problèmes de santé mentale à l’organisation des services de santé mentale [12]. De ce point de vue, le mouvement québécois de défense des droits en santé mentale offre depuis les années 1960 un exemple probant de la mise en scène d’émotions mobilisatrices telle qu’étudiée par Jasper (1997) et Traïni et Siméant (2009).

49Dans le cas du Comité, en revanche, le processus de disqualification des émotions des représentantes d’usagers qui se joue dans le cadre des rapports de pouvoir avec les autres membres semble miner le potentiel mobilisateur des émotions et leur rôle de transformation des institutions publiques. Une explication est avancée par Jean-Nicolas Ouellet, coordonnateur d’une association mon-tréalaise par et pour les usagers des services de santé mentale, dans un texte qui analyse le changement de statut de la parole des usagers depuis les années 2000. Tout d’abord, alors que la parole des usagers était traditionnellement destinée à la société civile et aux médias, les usagers s’adresseraient aujourd’hui essentiellement aux institutions publiques. Ensuite, cette parole serait devenue « plurielle » avec l’apparition, aux côtés des représentants d’usagers impliqués dans la défense des droits, de nouveaux acteurs qui « portent des préoccupations différentes de la défense des droits, ne militent pas dans les ressources alternatives, mais se préoccupent tant de la qualité que de l’orientation des services » (Ouellet, 2011 : 29). On comprend que la parole de ces autres militants (auxquels font écho les propos de Sylvie, Aude et Jean-Pierre), qui n’en appellent pas au registre de la colère et de l’indignation et ne s’engagent pas dans la dénonciation de certaines pratiques professionnelles, se trouve davantage en phase avec les institutions.

Conclusion : démobilisation et renforcement des rapports de pouvoir

50Les émotions en jeu dans les interactions entre les représentantes d’usagers investies pour la défense des droits et les gestionnaires et intervenants membres du Comité constituent un angle d’analyse privilégié pour documenter les rapports de pouvoir à l’œuvre dans un espace de participation institutionnel. Peur, colère, inquiétude, anxiété, frustration, découragement : la palette des émotions vécues par les représentantes d’usagers est vaste. Impliquées personnellement dans les sujets abordés, elles peuvent être blessées alors que les gestionnaires et intervenants ne rapportent pas ressentir de telles blessures. En ne vivant pas personnellement les réalités discutées, ces derniers pourraient plus facilement gérer les situations et leurs émotions avec recul, et apparaître comme des interlocuteurs plus crédibles. Les paroles d’une représentante d’usagers qui a constaté qu’un professionnel de la santé influençait les autres membres du comité par son statut et son attitude « calme » qui le font paraître plus « objectif », alimentent cette idée : « L’objectivité, ça n’existe pas. On est tous façonnés par d’où on vient. Puis, moi, j’ai l’impression que c’est une partie de ses propres valeurs qu’il transfère dans son métier » (Erika).

51À cela s’ajoute un ensemble d’émotions provoquées ou nourries par les interactions et évènements qui ponctuent les rencontres de travail. Ces dernières affectent notamment la capacité des représentantes d’usagers à se faire entendre ainsi que leur crédibilité. Il s’agit, par exemple, de la frustration soulevée par des préjugés sur les personnes avec des problèmes de santé mentale et pouvant alimenter un retrait de la part des représentantes d’usagers présentes. Lorsqu’exprimées, ces émotions les desservent puisqu’elles alimentent le stéréotype de l’usager revendicateur. Ce faisant, c’est tout le poids des paroles collectives issues des consultations organisées au sein du milieu associatif qui est mis de côté. Barnes (2008) constate, en se fondant sur l’analyse de Young (2000), que l’accent mis sur le registre argumentatif avec un ton posé et un langage administratif soi-disant neutre dans les espaces de participation tend à mettre à l’écart des formes d’expression telles que la narration et le témoignage qui reposent sur le registre émotif pour le narrateur-témoin autant que pour les auditeurs. Dans le Comité, ce qui semble déranger n’est pas tant l’expression d’émotions, mais plutôt celle d’une « affectivité », d’une « émotivité » ou encore de « grande sortie émotive », c’est-à-dire un type d’émotion qui est vécu comme une « agression » et qui crée un malaise chez les intervenants et gestionnaires. Dès lors, l’espace de participation se transforme en espace de non-écoute des expériences des représentantes d’usagers, au prétexte qu’il s’agit d’émotions non contrôlées qui parasitent les travaux du Comité.

52Certaines émotions comme la colère et l’indignation peuvent cependant jouer un rôle positif en amenant les représentantes d’usagers à s’engager dans la défense des droits et à ne pas se décourager devant les épreuves liées à leur participation au dispositif institutionnel. La perspective historique sur le rôle des émotions dans les espaces de participation non institutionnels en santé mentale souligne l’intérêt de ne pas s’en tenir à un niveau interactionniste d’analyse. Au Québec, plusieurs associations de défense des droits se sont données le mandat d’aider les usagers des services de santé mentale à faire émerger les expériences négatives et les affects liés à ces situations pour les canaliser sous la forme d’un engagement militant.

53Au regard des dernières décennies, il semble que l’on assiste à un déplacement des espaces dans lesquels se jouent les luttes des usagers pour la défense des droits en santé mentale. Auparavant actifs uniquement en dehors des institutions dans des associations d’usagers, les usagers sont sollicités à participer aux espaces institutionnels dont les autorités publiques font la promotion en santé mentale (MSSS, 2005 et 2015). Ce déplacement de la participation dans les institutions semble s’effectuer en discréditant des émotions comme la colère et l’indignation, qui avaient pourtant une place légitime si l’on se fie à l’histoire du mouvement des usagers en santé mentale.

54Si l’on en juge par l’expérience du Comité, l’incorporation dans un espace institutionnel de participation des membres d’un groupe de défense des droits des usagers en santé mentale a pour effet de pacifier leurs revendications (en mettant de côté les prises de parole et les revendications qui sont présentées comme émotives, en leur demandant de formuler leurs demandes dans le langage administratif) ou de les écarter purement et simplement des débats. Cette mise à l’écart facilite le partenariat avec des représentants d’usagers qui se présentent comme des partenaires non conflictuels et dont le mode d’expression n’est pas la revendication.

55Ces constats demeurent largement exploratoires compte tenu des limitations de la présente étude. En ce qui concerne le Comité, les entretiens ont été réalisés avec ses membres un an après la fin des travaux. Même si nous avons été surpris par la vivacité des émotions (notamment la frustration, la colère et l’indignation) revécues par les représentantes d’usagers lors des entretiens, il n’en demeure pas moins que nous aurions gagné à faire les entretiens durant ou suivant immédiatement la fin des travaux pour limiter les biais de mémoire qui s’installent avec le temps. Recourir aux entretiens sans pouvoir les accompagner d’observations des rencontres du Comité a également limité notre capacité à décrire la mobilisation et la qualification des émotions des représentantes d’usagers par les membres du Comité qui ont pu censurer une partie de leurs propos en réponse à nos questions. Pour décentrer le regard des seules émotions des représentantes d’usagers, nous souhaitons à l’avenir élargir la réflexion sur les émotions vécues par les gestionnaires et intervenants dans ce type de dispositif et porter une attention plus grande aux variables de sexe et de genre dans l’analyse. Enfin, l’hypothèse selon laquelle on assiste à l’érosion de la capacité transformatrice des institutions publiques par l’intégration des représentants d’usagers investis pour la défense des droits en santé mentale dans les dispositifs institutionnels repose sur un matériel limité issu d’entretiens qualitatifs et de témoignages écrits. Pour approfondir cette hypothèse, il serait intéressant d’étudier les revendications et les gains des représentants d’usagers qui s’identifient à la défense des droits et à d’autres courants, au Québec et ailleurs, afin de faire émerger la pluralité des acteurs du mouvement des usagers en santé mentale.

56Liens d’intérêt : L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références bibliographiques

  • Barbot J., 2002. Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida. Paris, Balland.
  • Barnes M., 2004. Affect, anecdote and diverse debates : User challenges to scientifc rationality. In Gray A., Harrison S. (eds). Governing medicine : Theory and practice. Maidenhead, McGraw-Hill/Open University Press : 122-132.
  • Barnes M., 2008. Passionate participation : Emotional experiences and expressions in deliberative forums. Critical Social Policy 28 (4) : 461-481.
  • Berking M., Whitley B., 2014. Affect regulation training. New York, Springer.
  • Brossard B., 2015. L’usage des émotions lors des interactions psychiatriques et gériatriques. Terrains/Théories 2. [http://journals.openedition.org/teth/269].
  • Church K., 1996. Beyond bad « manners » : The power relations of « consumer participation » in Ontario’s community mental health system. Canadian Journal of Community Mental Health 15(12) : 27-44.
  • Clément M., Bolduc N., 2009. Au cœur du face à face démocratique : la participation de l’utilisateur des services de santé mentale, l’espace public et la proximité. In Clément M., Gélineau L., McKay A.M. (eds). Proximités : liens, accompagnement et soins. Québec, Presses de l’Université Laval : 67-94.
  • Connor S.L., Wilson R., 2006. It’s Important that they learn from us for mental health to progress. Journal of Mental Health 15(4) : 461-474.
  • Commission pour la santé mentale du Canada, 2009. Vers le rétablissement et le bien-être. Cadre pour une stratégie en matière de santé mentale au Canada. [https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/FNIM_Toward_Recovery_and_Well_Being_-FRE_1.pdf].
  • Duperré M., 2008. La rationalité des émotions dans les processus de mobilisation collective. Service Social 54(1) : 67-81.
  • Duprey C., 2007. La crise de l’enfermement asilaire au Québec à l’orée de la révolution tranquille. Mémoire de maîtrise en histoire, Université du Québec, Montréal, Canada.
  • Epstein S., 1996. Impure science : AIDS, activism and the politics of knowledge. San Diego, University of California Press.
  • Finkelstein C., 2009. La FNAPSY, son histoire, ses actions. L’information psychiatrique 85(9) : 799-802.
  • Fricker M., 2007. Epistemic injustice : Power and the ethics of knowing. Oxford, Oxford University Press.
  • Gagné J., Clément M., Godrie B., Lecomte Y., 2013. La voix et le savoir des personnes avec expérience vécue des problèmes de santé mentale dans le comité aviseur du CSSS Jeanne-Mance. Rapport de recherche. Montréal, CREMIS.
  • Goffman E., 1974. Les rites d’interaction. Paris, Éditions de Minuit.
  • Gould D.B., 2009. Moving politics. Emotions and Act-Up’s fight against AIDS. Chicago, University of Chicago Press.
  • Hochschild A.R., 1983. The managed heart : Commercialization of human feeling. Berkeley : University of California Press.
  • Hochschild A.R., 2003 [1979]. Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale. Travailler (1)9 : 19-49.
  • Jasper J.M., 1997. The art of moral protest. Chicago, University of Chicago Press.
  • Jasper J.M., 1998. The emotion of protest : Affective and reactive emotions in and around social movements. Sociological Forum 13(3) : 397-424.
  • Lewis L., 2012. « It’s people’s whole lives » : Gender, Class and the emotion work of user involvement in mental health services. Gender, Work & Organization 19(3) : 276-305.
  • Livet P., 2002. Émotions et rationalité morale. Paris, Presses Universitaires de France.
  • Mead S., Hilton D., Curtis L., 2001. Peer support : A theoretical perspective. Psychiatric Rehabilitation Journal (25)2 : 134-141.
  • Ménard F., 2007. Au-delà de la psychiatrie : approche féministe et intervention auprès des femmes en détresse psychologique. Colloque La détresse psychologique des femmes : À Laval, c’est l’affaire de tout le monde ! Laval (Qc) : 21-23.
  • Metzl J.M., 2009. The protest psychosis : How schizophrenia became a black disease. Boston, Beacon Press.
  • Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2005. Plan d’action en santé mentale du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. La force des liens 2005-2010. [http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-000786/].
  • Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2015. Plan d’action en santé mentale 2015-2020. Faire ensemble et autrement. [http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2015/15-914-04W.pdf].
  • Ouellet J.N., 2011. De l’oreille sourde au bruit de fond. Le Partenaire 20 (2) : 29.
  • Pagé J.C., 1961. Les fous crient au secours. Montréal : Éditions du jour.
  • Pourtois H., 2013. Mini-publics et démocratie délibérative. Politique et Sociétés 32(1) : 21-41.
  • Provencher D., 2004. De la discussion vers des solutions. Groupe de discussion portant sur l’adoption de stratégies d’actions. In : Collectif de défense des droits de la Montérégie. Femmes, psychiatrie et victimisation secondaire : « vers un changement de culture » : 94-100. [http://cddm.weebly.com/uploads/6/2/3/9/6239965/actesv2module3.pdf].
  • Thoits P.A., 1985. Self-labeling processes in mental illness : The role of emotional deviance. American Journal of Sociology 91 (2) : 221-249.
  • Traïni C., Siméant J., 2009. Pourquoi et comment sensibiliser à la cause ? In : Traïni C., ed. ÉmotionsMobilisation ! Paris, Les Presses de Sciences Po : 11-34.
  • Vanthuyne K., 2003. Searching for the words to say it. The importance of cultural idioms in the articulation of the experience of mental illness. Ethos 31(3) : 412-433.
  • Wallot H.A., 1998. Entre la compassion et l’oubli : la danse autour du fou. Survol de l’histoire organisationnelle de la prise en charge de la folie au Québec depuis les origines jusqu’à nos jours. Tome I. La chorégraphie globale. Beauport (Qc), Éditions MNH.
  • Young I.M., 2000. Inclusion and democracy. Oxford, Oxford University Press.

Mots-clés éditeurs : rapports de pouvoir, santé mentale, émotions

Date de mise en ligne : 12/04/2019

https://doi.org/10.1684/sss.2019.0131

Notes

  • [1]
    Cette distinction recoupe celle établie par Barnes (2008) entre les « free spaces » des mouvements citoyens et les « invited spaces » des institutions.
  • [2]
    Ce plan ne précise toutefois aucune cible à atteindre ni aucun mécanisme permettant d’évaluer la réussite des expériences de participation.
  • [3]
    Six des sept personnes rencontrées sont des femmes et, pour refléter cette réalité, nous nous référons à un groupe de « représentantes d’usagers » dans la suite du texte.
  • [4]
    L’organisation communautaire est un mode d’intervention qui vise à soutenir les communautés (notamment les plus désavantagées) par la mise en place d’activités visant à améliorer leur santé et bien-être. Au Québec, ces organisateurs communautaires sont employés dans le secteur public et le milieu associatif.
  • [5]
    Nous avions observé au préalable plusieurs rencontres de préparation des représentants d’usagers aux Comités. Nous avons obtenu le certificat d’éthique pour réaliser les entretiens un an plus tard.
  • [6]
    L’analyse préalable des procès-verbaux des rencontres du Comité a permis de relancer les enquêtés sur les sujets qui avaient fait l’objet de débats.
  • [7]
    Les prénoms ont tous été modifiés.
  • [8]
    Au Québec, l’expression « BS » en référence à « bien-être social » désigne de façon péjorative les personnes qui bénéficient du programme d’aide sociale et qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
  • [9]
    Par contraste avec le langage chiffré des gestionnaires, une militante cherche à savoir ce qu’il en est des services reçus par les personnes : « Ce n’est pas () des normes de développement ou de pourcentage, c’est “Oui, mais là : qu’est-ce que vous faites avec ce monde-là ? Ont-ils des services ?” () On discutait sur des objectifs qui étaient remplis à 50 %. On se disait : “50 %, ça veut dire quoi ? On a la moitié du personnel ? Il est où le 50 % ?” Dans le fond, on discutait () sur des points théoriques dans un sens, mais qui avaient des implications pratiques quand-même. » (Emmanuelle).
  • [10]
    Dans les faits, le livre regorge d’exemples qui suggèrent le contraire, qu’il s’agisse de la détresse qu’il ressent lors de son arrivée à l’hôpital (« Mon cœur balance entre des sentiments divers : la crainte, la panique, la honte, le remords, la solitude. À un rythme effarant, les émotions se succèdent les unes les autres.Au secours ! Au secours ! », p. 10-11) ou de la rage qu’il vit en raison des injustices quotidiennes dont il est témoin ou victime : « La rage au cœur, j’obéis à son ordre () Je n’ai jamais été aussi humilié de ma vie. J’avais des haut-le-cœur, de laver le crachat des autres. Accusé publiquement et injustement, rabaissé aux yeux de tous, je me sentais considéré comme un être ignoble qui n’a aucun savoir-vivre » (p. 83).
  • [11]
    Comme nous l’avons noté à propos de Les fous crient au secours, les professionnels de la santé autant que le grand public peuvent partager l’indignation des personnes avec des problèmes de santé mentale, ce qui souligne que l’on n’a pas à vivre personnellement une situation injuste pour s’en indigner et vouloir la changer.
  • [12]
    Ceci n’est pas sans rappeler l’activisme des militants VIH/sida qui a aussi favorisé leur participation à l’élaboration des politiques de santé, à l’organisation des soins ainsi qu’aux programmes de recherche (Epstein, 1996 ; Barbot, 2002).

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions