Notes
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[1]
En cohérence avec le vocabulaire utilisé par les enquêtés, on mobilisera les termes d’escorts et de prostitués.
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[2]
Notons par ailleurs que les enquêtes sur la sexualité en France de 1972, 1992 et 2006 n’apportent pas d’éclairage sur les relations sexuelles tarifées entre hommes ni, de fait, sur le rapport entre ces pratiques et la transmission des IST.
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[3]
Difficulté que ne pouvait a priori qu’accentuer l’écho médiatique autour du projet de pénalisation des clients.
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[4]
Contrairement à nombre de sites de rencontre ou d’annonces et de forums de discussion non dédiés où, bien qu’il s’exerce, le commerce du sexe est interdit.
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[5]
Soit parce qu’ils se présentaient comme tel sur leur profil en ligne, soit parce qu’ils avaient déposé des commentaires révélateurs à cet égard sur le profil d’un ou plusieurs escorts, soit parce qu’un ou plusieurs escorts avai(en)t déposé un message du même type sur leur propre profil.
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[6]
Précisons également que, pour le dire à la manière de Bizeul, le chercheur n’avait ici, sur le plan personnel, aucun « support d’accointances antérieures avec le milieu étudié, pas de souci militant ou d’engouement particulier à son sujet » (Bizeul, 1999).
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[7]
Ce travail a été financé par Sidaction.
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[8]
Au total, 307 personnes ont été contactées.
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[9]
Initialement non-directifs, ces entretiens ont ensuite été menés à l’aide d’un guide d’entretien et peuvent à ce titre être qualifiés de semi-directifs.
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[10]
Ce que n’évoque pas Damien.
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[11]
Marc parle de PANP.
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[12]
« C’est des personnes et pas des fois », précisera-t-il pour indiquer le caractère personnel de ces relations.
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[13]
Ce qui n’est le cas que de deux individus pour qui rationalité et raisonnable correspondent.
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[14]
Monnaie sonnante et trébuchante - déposée sur la table, placée dans une enveloppe, ou encore glissée dans la poche ou le sac au moment de se séparer -, cadeaux, invitations, etc.
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[15]
Comme lorsque Emmanuel se portera caution afin que Kylian puisse louer un appartement, ne payant plus alors durant quelques semaines leurs entrevues sans que le caractère prostitutionnel de la relation soit jamais remis en cause, ni par l’un ni par l’autre.
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[16]
Cette distinction est même ce qui a conduit Claude à recourir à la prostitution. Ainsi, alors qu’il venait d’avouer une relation extraconjugale, son compagnon répliqua : « Tu sais, si c’est vraiment pour tirer un coup. Et, te connaissant, sachant à quel point tu es un cœur d’artichaut et que tu peux tomber amoureux facilement, il y a une solution. Il y a des prostitués. Tu auras la satisfaction de ton truc sans aucun risque ». [Et Claude de poursuivre :]Sans aucun risque parce que … là, l’échange est clair : « Ton cul. Mes sous ». Les choses se passent et voilà ! »
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[17]
Et, ce faisant, peu ou pas inclus dans les enquêtes épidémiologiques.
1En 2015, environ 2 600 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) ont découvert leur séropositivité VIH, représentant 43 % de l’ensemble des découvertes. Les rapports sexuels entre hommes demeurent le seul mode de contamination pour lequel les nouveaux diagnostics ne diminuent pas depuis 2003. Parallèlement, les autres infections sexuellement transmissibles (IST) continuent d’augmenter dans cette population, traduisant la prégnance des pratiques sexuelles sans préservatif. Ainsi, plus de 80 % des syphilis et près de 70 % des infections à gonocoque diagnostiquées en 2015 dans les structures spécialisées, ainsi que la quasi-totalité des LGV (lymphogranulomatoses vénériennes), concernaient des HSH (Bourdillon et Lot, 2016 et 2017 ; Cazein et al., 2013).
2Ces données confirment une tendance identifiée depuis la fin des années 1990 en matière d’utilisation du préservatif chez les HSH (Adam et al., 2001 ; Velter, 2007) et soulignent la persistance d’une forte dynamique épidémique au sein de cette population. Mais si la question de l’épidémie de VIH-sida et d’IST chez les HSH est parfaitement renseignée en France, les données font défaut dès lors qu’il s’agit des relations tarifées entre hommes, y compris pour la prostitution sur internet, communément nommée escorting [1], dont l’apparition est récente. Le constat s’applique tant aux prostitués qu’à ceux qui font l’objet de cet article, à savoir les clients de ces relations tarifées, au sujet desquels seul le Net Gay Baromètre offre quelques informations [2]. Pour ce qui est de ces derniers (4,2 % de l’échantillon), l’âge moyen était de 45,4 ans. Plus de 90 % déclaraient des relations tarifées « rarement ou parfois » et plus du quart rapportaient avoir régulièrement développé des sentiments envers un escort. Les variables permettant de prédire un plus fort engagement dans l’achat de services sexuels étaient : « le fait de ne pas être satisfait de son apparence physique, de chercher à développer des sentiments avec les partenaires rémunérés et d’être plus souvent préoccupé par les comportements sexuels à risque ». Sur ce dernier point, 44,5 % des clients interrogés rapportaient au moins une pénétration anale non protégée (PANP) avec un partenaire tarifé, et le tiers des PANP régulières (Léobon, 2013).
3L’état des connaissances – aussi bien en France qu’à l’échelle internationale – sur la question des clients de la prostitution masculine en lien avec l’épidémie de VIH-sida et d’IST est embryonnaire. Notre revue de littérature identifie seulement 19 références sur le thème des clients de prostitués au prisme du VIH et des IST, dont quatre ne le renseignent que marginalement. On peut en retenir quelques éléments saillants. Ainsi, si les différents modes d’exercice de la prostitution sont examinés (de la rue à internet, en passant par les salons de massage, les petites annonces ou les clubs spécialisés), celui de la prostitution en ligne constitue le moins documenté. L’apparition récente de cette pratique explique le faible nombre de recherches. On peut également relever qu’une part du corpus insiste sur la prégnance du partage émotionnel qui, à côté de l’aspect physique et sexuel, caractériserait l’expérience prostitutionnelle pour nombre de clients. Ce sont majoritairement les publications les plus récentes – portant sur internet (Grov et al., 2015 ; Grov et al., 2014 ; Wolff et al., 2014) ou non (Phua, 2009 ; Padilla, 2007a) – qui mettent en lumière cet élément. On notera aussi que plusieurs travaux signalent l’hétérogénéité socioprofessionnelle des clients, ainsi que la complexité de la question de leur identité sexuelle (Minichiello et al., 1999 ; Elifson et al., 1999 ; Grov et al., 2014) ; ce dernier aspect est parfois mis en lien avec des pratiques sexuelles exposant aux risques de contamination par le VIH et d’autres IST au cours des rendez-vous tarifés (Bloor et al., 1993).
4 Concernant ces questions de santé sexuelle, on peut noter que la littérature disponible semble traversée par une ligne de partage entre les recherches voyant les clients comme un « groupe ayant des pratiques à risque » (Ford et al., 1995 ; Koken, 2005) et celles nuançant ce point de vue (Wolff et al., 2014 ; Grov et al., 2015). Généralement, les données existantes peinent à rendre compte du contexte socioculturel et des situations précises dans lesquels s’inscrivent tant le recours à la prostitution que d’éventuelles expositions aux risques vénériens. Ce faisant, elles laissent dans l’ombre la question des significations qu’attachent les acteurs à ces situations, aux comportements qu’ils y adoptent et aux relations qu’ils peuvent y tisser. C’est précisément l’objet de cet article.
Question de recherche et méthodologie
5Cet article s’intéresse à l’occurrence de rapports sexuels sans préservatif entre hommes dans le contexte de la prostitution sur internet. Il en rend compte au prisme de l’expérience de clients en s’attachant à restituer le sens que ces derniers leur accordent, spécialement à l’aune de l’interprétation qu’ils font du contexte relationnel dans lequel ils estiment se trouver engagés avec leur(s) partenaire(s) tarifé(s). Il s’agira donc de décrire et d’analyser sous cet angle les logiques qui amènent des hommes recourant aux services d’escorts à s’engager en ces occasions dans des rapports sexuels sans préservatif (en particulier des pénétrations anales), eu égard aux risques de contamination par le VIH.
6Ainsi que le souligne Girard, « pour de nombreux acteurs de la prévention, que les pratiques sans préservatif découlent d’un choix intentionnel ou qu’elles relèvent d’une incapacité à contrôler ses pulsions, les prises de risque chez les gais apparaissent comme dénuées de toute rationalité » (Girard, 2016). En d’autres termes, « intentionnalité conscientisée » ou « stricte irrationalité », les rapports sexuels sans préservatif sont renvoyés dans l’univers de ce qui semble demeurer inexplicable. S’appuyant sur le modèle d’un individu doué de raison et soucieux de sa santé, un tel raisonnement évalue les comportements en les rapportant au seul univers normatif de la santé publique, sans référence au monde de significations des individus. Dans la perspective d’une sociologie compréhensive s’évertuant à expliciter les motifs de l’action, l’ambition de cet article est de rendre aux relations sexuelles sans préservatif – qu’elles soient tarifées ou non – leurs rationalités propres en lien avec des contextes particuliers et des environnements normatifs variables (Calvez, 2004). Le propos espère ainsi concourir à l’étude des arbitrages préventifs en contexte prostitutionnel, en particulier depuis l’émergence de la prostitution en ligne. On l’envisagera également à l’aune des récents progrès de la médecine en matière de lutte contre le sida et de l’avènement de la PrEP (Prophylaxie Pré-exposition, c’est-à-dire la prise d’un médicament spécifique par des personnes séronégatives afin de ne pas être contaminées par le VIH)
7Par ailleurs, on approchera les enjeux de prévention dans le contexte de la prostitution en mobilisant l’éclairage de la sociologie économique. On s’attachera ainsi à situer l’analyse en rapport avec une interrogation classique de cette discipline, relative au risque de corruption de la vie sociale par la rationalité économique en vertu de l’intrusion des relations marchandes dans les relations sociales. En l’espèce, il s’agira de se demander si l’introduction de la logique économique au cœur des relations intimes transforme ces dernières en relations marchandes, affectivement neutres et indépendantes des liens personnels ?
8Au milieu du XXe siècle, Polanyi a fourni une réponse à ces questions à partir du thème de l’encastrement : le système de marchés, initialement encastré dans le contexte politique et social, s’est progressivement libéré (désencastré) de ces contraintes pour s’autoréguler et absorber la vie politique et sociale. C’est la thèse de l’inversion entre la société et les marchés (Polanyi, 1983). La réflexion autour de ce thème a connu de nombreux développements. Parmi les contributions les plus originales, figurent les travaux de Zelizer selon qui l’intrusion de l’argent dans les relations intimes n’a, en fait, pas l’effet d’infléchir mécaniquement ces relations dans le sens de la rationalité instrumentale. Pour Zelizer, intime et économique ne constituent pas des « mondes hostiles » (Zelizer, 2005a) et l’argent ne dénature pas de facto les relations entre individus car il est « défini et redéfini par des réseaux de relations sociales particuliers et des systèmes de significations variables » (Zelizer, 2005b).
9Dans un tel contexte, se pose la question de l’interprétation que les individus ont des relations dans lesquelles ils sont engagés et, ce faisant, de leurs accords ou de leurs dissonances en la matière, ainsi que de l’éventuel ajustement de leurs comportements. En d’autres termes, parallèlement aux usages sociaux de l’argent en tant que tels, c’est la perception et la définition de ces relations par les individus qui sont en cause. La sociologie économique se fait ici sociologie compréhensive et rejoint ainsi les intentions de cet article en soulignant la nécessité de prendre en compte la dimension symbolique des pratiques sociales.
10En ce sens, le regard socio-économique porte finalement l’attention tout autant sur la question de la contamination d’un registre non marchand par celui du marchand, que sur celle de la distinction et des frontières que les individus établissent ou non entre différents types de relations (amicales et amoureuses, vénales et non vénales, etc.). Cet aspect est essentiel pour le propos tenu ici et y tiendra donc lieu de fil directeur. Car les relations prostitutionnelles n’échappent pas à cette interrogation et elles la posent même de manière aiguë dans le domaine de l’escorting qui se caractérise par l’euphémisation de son caractère vénal. Plus encore que dans d’autres contextes prostitutionnels, il convient d’être attentif dans ce cadre aux liens entre dimension symbolique - et, au fond, herméneutique -, comportements sexuels et enjeux de prévention.
11Dans un premier temps, on présentera les clients ayant déclaré des PANP au cours de rencontres tarifées. Outre des informations sociographiques et biographiques, cela permettra de décrire l’état de leurs connaissances en matière d’IST et de prévention. Si elles ne font pas à proprement parler l’objet de la réflexion ici proposée, ces connaissances – ainsi que les liens entre connaissance et action dont Paicheler a montré l’importance d’une compréhension dynamique (Paicheler, 1997) –, en représentent l’arrière-plan et constituent une piste à développer afin d’en compléter les conclusions.
12On s’attachera à présenter dans un second temps les différents cas de PANP rencontrés au cours de la recherche, en soulignant notamment l’existence d’une ligne de démarcation entre les situations où ces dernières font l’objet d’une concertation et celles où de tels échanges n’ont pas lieu. Dans un troisième et dernier temps, on discutera ces cas de figure en les regroupant autour de trois configurations typiques dans lesquelles on mettra en lumière le rôle singulier de l’argent.
13Ces développements s’appuieront sur un matériau issu d’une enquête conduite en France de juin 2014 à juin 2016. Le terrain a été mené à partir de la plateforme internet qui centralise une part importante de l’activité d’escorting entre hommes en France. Outre le poids de cette plateforme, ce choix a d’abord été opéré en vue de parvenir à entrer en contact avec une population difficile d’accès [3]. L’interface web investiguée présentait un double avantage de ce point de vue : ne pas proscrire l’achat de services sexuels [4] et, ce faisant, permettre, par le biais du système de messagerie, d’identifier sans trop de difficultés un certain nombre d’individus ayant eu recours aux services d’escorts [5]. Dès lors, contacter ces clients ne représentait pas une tâche ardue pour le chercheur, lui-même enregistré pour l’occasion sur le site et muni d’un profil en ligne ad hoc [6]. Par ailleurs, le choix de travailler à partir de cette plateforme inscrivait l’enquête dans la continuité d’une recherche sur les escorts réalisée suivant les mêmes principes méthodologiques [7]. Au vu de ces choix et de la nature qualitative de la méthodologie – comme du caractère diffus de l’activité de prostitution sur internet, ainsi que la rapidité de l’évolution de ses supports –, cette recherche ne prétend pas à la généralisation.
14C’est à partir de ce site que 31 des 34 clients interviewés ont été sollicités (les trois autres ont été rencontrés par « boule de neige ») [8]. Ces 34 clients ont accepté un entretien sous la forme d’un récit de vie intégrant l’expérience de client à leur biographie [9]. Parallèlement, un suivi longitudinal qualitatif a été mis en place de façon à maintenir un contact régulier (sous forme d’emails et d’échanges informels le plus souvent) et, si possible, à réaliser un second entretien. Ainsi, 24 enquêtés ont été intégrés à ce suivi dont 9 ont accepté un nouvel entretien.
15Par ailleurs, la phase de prise de contact a été l’occasion d’échanges avec des individus qui ont finalement décliné la proposition d’entretien (n = 55). De même, cette période offrait l’opportunité d’investiguer le fonctionnement de la plateforme ainsi que les comportements pouvant s’y donner à voir. Le matériau recueilli provient donc de trois sources : 34 entretiens biographiques (renouvelés dans 9 cas) ainsi qu’un suivi longitudinal ; l’observation de la principale plateforme spécialisée dans les rencontres tarifées entre hommes ; un ensemble de discussions informelles réalisées lors du recueil de données.
Qui sont les clients ?
16Si les 34 hommes rencontrés au cours de l’enquête déclarent la pratique de la fellation non protégée avec des escorts, ils sont 15 à indiquer également des PANP – plus ou moins régulières. Si ces 15 hommes sont âgés d’un peu plus de 50 ans en moyenne, l’éventail est large puisque le plus jeune a 24 ans et le plus âgé 72. Sur le plan du niveau d’études, on soulignera la prépondérance des cadres et professions intellectuelles supérieures (n = 7) à côté des professions libérales (n = 1), des artisans, commerçants et chef d’entreprise (n = 1), des professions intermédiaires (n = 1), des employés (n = 1), ainsi que des retraités (n = 2) et des étudiants (n = 2).
17 En ce qui concerne l’orientation sexuelle, 10 enquêtés se définissent homosexuels et 4 bisexuels. Le dernier affirme quant à lui ne pas être en mesure de répondre à cette question. Cette complexité trouve un écho dans la question du statut conjugal puisque 6 enquêtés se déclarent célibataires, 6 en couple avec un homme (dont 2 pacsés et 2 mariés) et 3 mariés à une femme. Par ailleurs, leur recours à la sexualité vénale revêt des formes distinctes suivant les différents temps de leur biographie. Ainsi, les pratiques peuvent suivre une fréquence élevée (deux ou trois rencontres par semaine) comme être occasionnelles (une à deux occurrences par an). De même, si le recours à la prostitution peut être régulier, au sens où les individus ont des rendez-vous à un rythme constant, il n’est pas rare que les manières de faire soient erratiques. Un cas de figure fréquent consiste en ce que, chez un même individu, alternent périodes intenses et régulières et phases calmes et/ou d’inconstance.
18L’antériorité du recours à la prostitution donne également à voir des situations contrastées : de 6 mois à près de 50 ans. Ces données sont toutefois peu fiables dans la mesure où les enquêtés ont rarement fait preuve d’une grande précision à ce sujet. Le fait d’avoir expérimenté ou non le recours à la prostitution avant l’avènement d’internet suscite par contre un souvenir clair. Si 5 des 15 enquêtés ont connu leur première expérience en matière de sexualité vénale avant l’apparition de la prostitution en ligne, seuls deux ont recouru à la prostitution de rue à de multiples reprises. Pour les trois autres, il s’est agi d’une « initiation » - parfois réalisée avec une prostituée - restée pour beaucoup longtemps sans suite. En réalité, seul Claude (62 ans, séronégatif, marchand de livres rares - les prénoms et les informations identifiantes ont été modifiés) présente une continuité dans son recours à la prostitution depuis la rue jusqu’à internet. Concernant les dix autres, cette pratique est liée à l’apparition de la prostitution en ligne. Se dessinent donc ici les traits d’un client dont le recours à la sexualité vénale est relativement récent au regard de sa trajectoire biographique et fortement corrélé aux nouvelles technologies.
19 On peut également souligner que la plupart de ces enquêtés légitiment leur recours aux services d’escorts en termes de besoins sexuels. Si elles incluent souvent les caresses et le baiser, les pratiques censées satisfaire ces besoins comprennent régulièrement la fellation (réceptive et/ou insertive) ainsi que la sodomie (réceptive et/ou insertive). On notera par ailleurs que 11 enquêtés affirment ne pas avoir (n = 9) ou n’avoir qu’occasionnellement (n = 2) des rapports sexuels hors des relations d’escorting, ceci quelle que soit leur situation conjugale.
20 Enfin, concernant le statut sérologique, 7 enquêtés sont séropositifs au VIH et ont déclaré être sous traitement antirétroviral avec une charge virale indétectable et 8 séronégatifs. Le statut sérologique semble dessiner une ligne de partage en matière de connaissances relatives à la prévention du VIH. Ainsi, puisque presque tous le mettent en œuvre dans leur sexualité - y compris avec les escorts -, la plupart des enquêtés séropositifs évoquent spontanément le traitement comme prévention (TASP, ou Treatment as Prevention, c’est-à-dire le traitement d’une personne séropositive par antirétroviraux comme moyen de prévention en rendant sa charge virale indétectable). Les autres, séronégatifs, mentionnent majoritairement le seul préservatif au titre des outils de prévention contre le sida. Mais le plus frappant reste que seul un enquêté mentionne - et utilise - la PrEP. Si le niveau de connaissances en termes de prévention du VIH peut être qualifié de bon pour les 15 enquêtés dont il est question ici, il faut donc préciser qu’il n’est nullement homogène, qu’il semble se structurer autour de l’expérience de la séropositivité, et qu’il n’intègre que très marginalement les dernières avancées médicales. Surtout, ce bon niveau de connaissances n’empêche pas l’abandon du préservatif lors des rendez-vous tarifés.
21 Ces 15 enquêtés ne se distinguent pas significativement du reste de l’échantillon, y compris dans le domaine des connaissances en matière de prévention des IST. Par contre, il est intéressant de relever que ces individus inscrivent plus souvent les besoins sexuels évoqués comme motif de leur recours aux prestations d’escorts dans ce que Bernstein a nommé l’authenticité limitée, c’est-à-dire « une connexion émotionnelle et physique authentique », mais temporellement et émotionnellement délimitée (Bernstein, 2007). C’est le cas pour près de la moitié d’entre eux (n = 7).
Recours à la prostitution et risque VIH
22Deux cas de figure peuvent être distingués concernant les PANP : lorsque l’abandon du préservatif est le résultat d’une discussion entre partenaires ; et lorsque cet acte se réalise de façon soudaine et sans concertation explicite. Il est à noter que peu de porosité semble exister entre ces deux cas de figure puisque seul Eric (35 ans, séropositif, ingénieur) évoque chacun d’eux (Eric dont la particularité réside également dans son double statut de client et d’escort). En outre, ils se manifestent sous différentes modalités entre lesquelles les vases communicants semblent également exceptionnels. Ces modalités ne revêtent pas toutes les mêmes significations et renvoient à des contextes distincts.
Abandon du préservatif concerté
23Le premier ensemble (n = 9) correspond à des prises de risques planifiées en amont du rendez-vous ou (plus rarement) mises au point au moment même du face-à-face. La demande de rapports sans préservatif émane généralement du client, même si certains escorts en formulent la proposition sur leur profil, lors des échanges en ligne ou à l’occasion de discussions informelles en face-à-face. Par ailleurs, cette demande fait parfois l’objet d’une négociation du prix à la hausse.
24Dans un cas (n = 7), les individus lient l’abandon intentionnel du préservatif à la recherche de la maximisation du plaisir sexuel, tout en inscrivant le risque dans une raison médicale prenant la forme soit du TASP, soit de la PrEP, soit d’un contrôle des sérologies. Dans l’autre cas (n = 2), c’est la recherche du partage d’une intimité émotionnelle qui motive les individus à se dispenser du préservatif. Le risque s’inscrit alors moins dans la raison médicale qu’au cœur du contexte relationnel qui - aux yeux du client tout au moins - caractérise le lien établi avec l’escort.
Maximisation du plaisir et raison médicale
25Philippe (56 ans, séropositif, cadre supérieur) illustre les cas où le TASP est utilisé afin de maximiser le plaisir sexuel recherché en rencontrant des escorts : « Je ne veux pas passer à côté de quelque chose qui pourrait me faire jouir ! ». « La jouissance à tout prix et ne pas passer à côté d’une jouissance disponible » est ainsi son leitmotiv. Walid (25 ans, séronégatif, étudiant), qui se fait suivre sous PrEP en vue « d’avoir des rapports plus débridés » évoque quant à lui des pratiques « crues et hard », « des relations sexuelles sans retenue »le faisant s’exclamer au sujet de ses rencontres avec des escorts : « C’était enfin du sexe et du vice. Et c’était complètement assumé ! ». Dans un cas comme dans l’autre, le préservatif est donc perçu comme un frein au plaisir et la médicalisation de la sexualité à travers les antirétroviraux constitue une façon de s’en affranchir tout en se conformant aux normes de la prévention.
26 Au fond, ce qui distingue Walid de Philippe, c’est avant tout le statut sérologique. Walid est en effet séronégatif au VIH ; la peur d’être contaminé se substituant chez lui à la crainte de transmettre le virus pour Philippe. Sa séronégativité est d’ailleurs une information qu’il mentionne sur son profil en ligne et qui, de fait, « accompagne » ses demandes de PANP auprès des escorts ; son suivi sous PrEP semblant quant à lui ne pas devoir être évoqué - au moins au stade des premiers contacts -, comme si, ne souhaitant occuper que la position réceptive pour la sodomie, il était seul à prendre des risques. Pour sa part, s’il ne mentionne pas sa séropositivité sur son profil, Philippe ne la cache pas pour autant et en fait l’annonce au moment où les rapports sans préservatif sont évoqués. Ainsi, séropositif ou séronégatif, mobilisant le TASP ou la PrEP pour se dispenser de l’utilisation du préservatif, ces clients s’assurent que les risques soient minimisés - pour eux et les escorts - et mettent un point d’honneur à ce que les PANP soient réalisées dans la plus grande clarté.
27Ce souci de transparence et de la maximisation du plaisir peut se matérialiser d’une façon sensiblement différente, sous la forme du recours au dépistage sanguin des sérologies. C’est ce que fait Damien (24 ans, séronégatif, étudiant). Séronégatif ne recourant pas à la PrEP, il demande à ses partenaires tarifés un bilan sérologique complet avant leurs entrevues. Ces dernières prennent le plus souvent la forme d’invitations en voyage au cours desquelles il s’évertue à tenir exclusivement le rôle d’actif lors des PANP afin de renforcer la réduction des risques : « Avec des escorts, j’ai eu des pénétrations non protégées. Je jouais le rôle de l’actif et je demandais un bilan de sérologie papier à me présenter ». C’est donc bien ici aussi la raison médicale qui « cadre » le risque tout en laissant s’exprimer la recherche de la maximisation du plaisir.
Proximité affective et raison relationnelle
28Tous deux quinquagénaires, respectivement marié à une femme et en couple avec un homme, Marc (57 ans, séronégatif, avocat) et Emmanuel (50 ans, séronégatif, compositeur)suivent des comportements obéissant à une autre logique. Si, comme Damien, ils ont recours au test sanguin, ils situent moins ce dernier dans l’optique de la maximisation du plaisir que dans celle de la construction d’un lien d’intimité émotionnelle. Bien sûr, l’un n’exclut pas l’autre, et l’intensification du plaisir vient souvent matérialiser l’intimité émotionnelle. Il n’en reste pas moins que, pour tous deux, c’est bien cette proximité caractéristique d’une relation vécue comme élective qui prévaut et constitue le motif principal de l’abandon du préservatif - abandon beaucoup plus exceptionnel ici que dans les cas précédents car, précisément, électif - et, conséquemment, du dépistage.
29Le fait que ce dernier soit réalisé par l’escort comme par le client [10], parfois même ensemble, reflète cette dimension émotionnelle s’ancrant dans la réciprocité. Marc dit à ce sujet : « Ça s’est passé [11] avec trois escorts avec lesquels j’ai eu des contacts suivis … et ça ne s’est pas produit lors de la première rencontre. Du fait que nous avons eu l’occasion de faire connaissance de manière approfondie et de nous observer mutuellement - il ne s’agissait pas de rencontres d’une heure seulement mais de nuits, voire de week-end sur une période de plusieurs mois, voire années -, un rapport de confiance s’est installé et nous avons conjointement estimé qu’il nous était possible de franchir ce pas - au vu de notre bilan de santé respectif. Ça s’est fait à l’intuition et dans un rapport de confiance mutuelle. Je ne le ferais pas avec n’importe qui ! ».
30Les cas de Marc et Emmanuel se rapprochent de l’authenticité limitée telle que définit par Bernstein, tout en mettant au jour les propres « limites » de la délimitation de cette authenticité. Car ce qui paraît circonscrit dans un premier temps - c’est-à-dire l’échange d’argent ou de toute autre compensation contre des prestations sexuelles investies d’une connexion émotionnelle - connaît ici une inflexion qui brouille les bases de l’accord initial ; tout au moins aux yeux du client. C’est ce que dit Marc à propos de sa relation avec Antoine, escort qu’il rencontre depuis plusieurs années : « C’est vraiment une relation de copains maintenant ». De façon plus suggestive, Emmanuel souligne : « Ce mec me fait vivre un enfer ! Imagine que celui qui rencontre Kilian 19 ans, c’est pas un mec de 47 ans, c’est une petite ado. Et qui rencontre son premier mec, son prince charmant. Tu vois ? Elle n’en avait jamais vu avant. Et je tombe amoureux de lui comme ça… ». Or, dans les expériences de Marc et d’Emmanuel – qui entretiennent donc chacun avec un escort une relation présentant les traits d’une liaison amoureuse –, l’abandon du préservatif manifeste un lien direct avec ces « écarts » à l’authenticité limitée.
Abandon du préservatif non concerté
31Cette partition entre satisfaction physique et investissement émotionnel – de même que, dans certains cas, la prégnance de l’authenticité limitée qui en souligne les porosités – structure également l’ensemble des situations où l’abandon du préservatif n’est le fruit ni d’une concertation ni d’une planification mais se réalise de façon soudaine (n = 7). Toutefois, la recherche de la maximisation du plaisir d’un côté (n = 3) et la recherche d’une proximité affective et émotionnelle de l’autre (n = 4) s’articulent ici à une logique d’adaptation à la situation, ainsi qu’à une forme d’abandon à l’autre. C’est alors le silence qui prévaut, débouchant sur la non-utilisation du préservatif, sans que cela n’ait été prévu ni même évoqué. Le risque peut toutefois s’inscrire là dans une raison médicale sous-jacente (en l’occurrence sous les traits du TASP) ou bien se situer à l’aune du contexte relationnel tel que le client le perçoit et le définit, ceci selon des modalités sensiblement distinctes.
Plaisir, adaptation et abandon de soi
32Le premier cas de figure s’est tout d’abord manifesté chez deux individus séropositifs. L’un, Eric, homosexuel célibataire multipliant les expériences sexuelles (tarifées et non tarifées), utilise généralement le préservatif en parallèle du contrôle de sa charge virale par les antirétroviraux. Il peut toutefois lui arriver de se dispenser de préservatif avec un escort. Ceci sans nécessairement en avoir discuté au préalable avec ce dernier, ni même que cela soit verbalisé au moment du contact physique. En réalité, Eric est le seul enquêté à réaliser à la fois des PANP planifiées et non planifiées : « Ça dépendait des cas. Parfois ça pouvait être safe et ça ne me dérangeait pas, parfois ça pouvait être pas safe et ça ne me dérangeait pas non plus. Moi, j’abordais ça avant quand même … pour être sûr de ce que je pouvais faire ou pas faire. Ou alors tout de suite, c’est parti sur le non safe, parce que plaisir arrivant … lui étant open pour du non safe et moi aussi, ça s’est fait en non safe … et sans forcément parler ».
33C’est donc ici aussi le plaisir sexuel qui prime, le préservatif représentant une barrière et le TASP un moyen de s’en libérer. Mais, à la différence des situations présentées plus haut où l’abandon du préservatif était soit planifié soit discuté sur le moment, Eric s’est accommodé du silence. Le sien et celui de l’autre, comme si son traitement antirétroviral et le mutisme de son partenaire constituaient les conditions d’un accord tacite. C’est d’ailleurs un accord et un silence du même ordre – tout comme la recherche de plaisir – qui ont longtemps guidé Patrick (52 ans, séropositif, comptable), lui aussi séropositif et en couple avec un homme depuis 20 ans : « On n’en parlait pas […] Les préservatifs étaient présents. Mais je laissais l’escort faire. […] Je me disais que s’il le faisait sans, c’est qu’il avait confiance. Après, c’est qu’il sentait que lui, il n’y avait pas de souci de son côté… ». Mais, à la différence d’Eric qui envisage ses relations sexuelles avec des escorts comme une co-construction impliquant chacun des partenaires, Patrick - souhaitant par ailleurs n’occuper que la position réceptive pour la sodomie - se situe dans une perspective où l’adaptation à la situation signifie plus encore l’abandon - si ce n’est l’abandon complet - à l’autre.
34Cet accommodement et cet abandon de soi conjugués à la recherche de la maximisation du plaisir caractérisent également l’expérience de Denis (53 ans, séronégatif, boulanger). Denis aime scénariser ses rencontres avec des escorts. Appréciant que ces derniers soient force de proposition en la matière, il souhaite devenir l’objet de la domination de son partenaire tout en occupant une position réceptive lors des pénétrations anales. La réalisation de ce fantasme lui procure un plaisir intense qui l’a amené quelquefois à se dispenser du préservatif, sans qu’aucun mot ne soit échangé : « Les escorts, ils ne proposent jamais des rapports non protégés. Si ça arrive, c’est parce que, eux, ça les excite pendant le rapport et, du coup, ils oublient de le mettre. Mais c’est eux qui décident ! ».
35À la différence de Patrick ou d’Eric, Denis est séronégatif. Par ailleurs, il n’utilise pas la PrEP – qu’il semble ne pas connaître – lorsqu’il prend distance avec les normes de prévention. Ses PANP s’accompagnent toutefois de pratiques de réduction des risques : « C’est pas protégé, mais sans éjaculation ! ». Elles induisent également un recours régulier au contrôle des sérologies qui semble tenir lieu d’exorcisme. En réalité, ce n’est qu’après des rapports sans préservatif que le sujet de la prévention peut être abordé. Mais rarement à l’initiative de Denis, et sans que cela semble devoir modifier son comportement : « Il m’avait pénétré, mais il n’y avait pas eu éjaculation. 15 jours après, il m’a envoyé un message très sympa en me disant qu’il avait la syphilis. Donc ça m’a foutu un petit coup de froid. J’ai été tout de suite à l’hôpital faire des tests. Et moi, je n’avais rien … Sûrement que quand on va se revoir, maintenant il fera sûrement plus attention ! ».
36 Si Eric et Patrick intègrent le risque à la raison médicale sous la forme du TASP, Denis l’inscrit avant tout dans la dynamique relationnelle qui, à ses yeux, distingue les liens qu’il tisse avec les escorts. En la matière, il est question pour lui d’une relation des corps et, partant, d’une relation au corps - à la différence de Marc et d’Emmanuel pour qui cette dynamique relationnelle relève du registre des affects. Ce glissement d’un lien (entendu comme) affectif à une relation (conçue comme) physique n’est en rien anodin, bien entendu. Le principal ici n’en reste pas moins que la raison médicale est subordonnée à ce qui est vécu par Denis comme la dynamique relationnelle caractérisant le rapport qu’il entretient avec les escorts. Certes, la réduction des risques qu’il met en œuvre lorsqu’il évite le contact avec le sperme, aussi bien que son recours régulier au test des sérologies, relèvent d’une forme de raison médicale. Mais ce qui prévaut dans son cas, c’est bien le désir du rapprochement corporel, liaison physique par le truchement de laquelle le plaisir sexuel atteint son paroxysme et à l’aune de laquelle le risque est éprouvé.
Emotion, abandon et relation
37Les autres cas où l’abandon du préservatif n’a pas été concerté ne sont pas sans rapport avec la situation de Denis. Eux aussi s’enracinent dans le silence et mobilisent une forme d’abandon à l’autre, tout en engageant un individu séronégatif. Comme cela arrive à Denis, l’abandon du préservatif peut également se développer à la faveur de relations régulières qui semblent favoriser un sentiment de confiance réciproque tout en n’impliquant d’échanges explicites ni sur l’éventualité de rapports non protégés, ni sur le statut sérologique de chacun. Par contre, si ces différents cas prennent également sens à la lumière du contexte relationnel dans lequel le client situe son lien avec l’escort, il s’agit moins ici d’un lien physique engageant d’abord les corps que d’une relation affective et de partage émotionnel impliquant en premier lieu les « âmes » à la manière cette fois de ce que Marc et Emmanuel ont déjà mis en lumière.
38Pourtant, dans les cas de Claude et Alain (72 ans, séropositif, retraité), cette recherche de proximité affective demeure contenue. Et le cadre de l’authenticité limitée ne semble jamais dépassé, en ce sens que la connexion émotionnelle et physique, bien qu’authentique, demeure « temporellement et émotionnellement délimitée ». En d’autres termes, cette connexion ne « déborde » ni l’espace de la relation tarifée, ni le degré d’investissement affectif qui y est autorisé conjointement par le client et l’escort. Mais c’est alors précisément dans cet interstice que se loge suffisamment de plaisir et de confusion pour que, l’espace d’un instant, les pratiques préventives soient mises à mal.
39Ainsi, Claude narre-t-il sa seule expérience de ce type : « Il y a trois ans, un escort avec qui j’avais déjà eu un contact protégé et avec qui je dormais m’a sodomisé à nouveau dans la nuit. Je n’ai pris conscience qu’en « cours d’action » que nous n’étions pas protégés ». Et d’ajouter en précisant son passé de militant de la lutte contre le sida :« J’ai mal vécu l’attente du test qui a suivi, négatif fort heureusement ». Également engagé dans la lutte contre le sida dès les premières années de l’épidémie, Alain s’est lui aussi laissé emporter par la volupté d’un moment partagé. C’est dans une de ces rares occasions (« il y a deux ans ») qu’il a été contaminé par le VIH. De ce type de rencontre, il conserve un souvenir clair : « J’étais allongé. Et puis le type était sur moi. Et puis … C’est lui … Voilà ! Et puis j’ai continué … C’est un dérapage. Mais c’est lui qui est entré… ». Bien qu’exceptionnelles, ces situations ont profondément marqué Claude comme Alain.
40Les entorses à ce qu’ils considèrent comme une règle sont tout aussi rares pour Paul (56 ans, séronégatif, cadre supérieur) et Charles (67 ans, séronégatif, retraité). En ce qui concerne le premier, « c’est arrivé avec deux personnes » [12]. Pour le second, cette expérience a eu lieu à plusieurs reprises - et dès la première rencontre - avec un seul et même escort dans une relation au long cours. Ses « seuls et uniques rapports non protégés depuis 1984 … Et là, allez donc savoir pourquoi ? Je m’interroge encore… » dira-t-il avec perplexité. Le nombre restreint d’escorts avec lesquels des PANP ont eu lieu pour ces deux hommes d’âge mûr et mariés à une femme, traduit le caractère particulièrement investi des liens qui les unissent à leurs partenaires tarifés.
41Charles comme Paul évoquent « la folie du moment » pour expliquer ce qui leur semble insensé a posteriori. « Je me dis que je suis fou ! », s’exclamera Charles : « Je ne peux pas vous dire comment ça s’est fait la première fois. Ça s’est fait, la toute première fois, de façon non protégée avec Lionel… Et chaque fois qu’on se voit, c’est non protégé. Maintenant, on a fait les tests, mais… ». Paul quant à lui parviendra à mettre des mots sur cette « folie » restée sans conséquence sur le plan sanitaire pour tous deux : « C’est le prix de l’ambiguïté ! ». Car pour l’un comme pour l’autre, la relation tarifée impliquant un investissement physique et émotionnel délimité s’est vite transformée (peut-être même immédiatement ?) en un lien aussi puissant que confus, au sein duquel sont devenues incertaines les frontières du personnel et de l’impersonnel, de l’intime et de l’étranger, et, au fond, de ce qui est offert et de ce qui est vendu. Ainsi Charles ajoutera à propos de Lionel : « Heureusement qu’il y a la distance. Parce que, moi, je deviendrais addict. Je crois que c’est bien comme ça. J’aimerais le voir plus. Oui, j’aimerais le voir plus, oui. J’aimerais le voir plus ! Nos moments … C’est tellement riche, si vous voulez. C’est un mec … Ce n’est pas un escort. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire ? ».
Marchandisation, relation et prévention
42On a décrit ci-dessus deux grands types de contexte dans lesquels des PANP surviennent entre clients et escorts : lorsque l’abandon du préservatif est concerté et lorsqu’il ne l’est pas. Celui-ci se structure dans les deux cas autour de deux motifs principaux : la recherche de la maximisation du plaisir sexuel et le désir manifesté par le client de partager une proximité émotionnelle et affective avec l’escort. Par ailleurs, ces situations voient le risque s’inscrire soit dans une raison médicale prenant des formes diverses (TASP, PrEP, etc.), soit dans le contexte relationnel qui, aux yeux du client, définit le lien établi avec l’escort. Ces éléments s’agencent différemment selon les cas et se réunissent autour de quatre figures : Maximisation du plaisir et raison médicale ; Proximité affective et raison relationnelle ; Plaisir, adaptation et abandon de soi ; Emotion, abandon et relation.
43Concernant les PANP concertées, une première modalité voit la recherche de la maximisation du plaisir sexuel rencontrer la raison médicale (Maximisation du plaisir et raison médicale). Les cas de Philippe, Walid et Damien en constituent différentes déclinaisons. S’incarnant dans les expériences de Marc et d’Emmanuel, la seconde modalité couple désir de proximité émotionnelle et affective manifestée par le client et perception du risque inscrite dans le contexte relationnel (Proximité affective et raison relationnelle). En cohérence avec la nature de ce que le client investit de lui-même dans le lien établi avec l’escort, ce contexte relationnel est ici entendu avant tout dans sa dimension affective.
44Pour ce qui est des PANP non concertées, maximisation du plaisir et connexion émotionnelle d’un côté, et raison médicale et contexte relationnel de l’autre, s’articulent à une double dynamique d’adaptation et d’abandon dans laquelle s’ancre le silence. Une première possibilité (Plaisir, adaptation et abandon de soi) réside dans le fait que, à la manière d’Eric et Patrick, plaisir sexuel et raison médicale s’agrègent, cette dernière demeurant sous-jacente et implicite. Le plaisir peut également trouver un écho dans le contexte relationnel qui, selon le client, caractérise le lien établi avec l’escort. L’exemple de Denis a mis en lumière que ce contexte – dans lequel s’inscrit donc le risque – est alors saisi en son sens physique, engageant intégralement les corps. Claude et Alain illustrent quant à eux les situations où ce sont la connexion émotionnelle et la logique relationnelle en tant que rapport affectif qui prévalent (Emotion, abandon et relation). Dans leurs cas, ces éléments demeurent circonscrits au cadre de l’authenticité limitée, tout en « souffrant » de ses ambiguïtés constitutives. Mobilisant des ressorts similaires, c’est-à-dire la recherche d’un partage émotionnel et l’inscription du risque dans une logique relationnelle relevant d’abord de l’ordre des affects, Charles et Paul incarnent pour leur part un cas de figure où les frontières de l’authenticité limitée ont volé en éclats.
45Ces différentes occurrences de PANP ne se valent pas sur le plan sanitaire. Si on ne peut ignorer celles qui se produisent dans le contexte de la médicalisation de la sexualité sous la forme du TASP et de la PrEP - y compris celles qui ne sont pas concertées -, ainsi que celles se donnant pour cadre le dépistage des sérologies, il convient de prêter une attention particulière aux PANP qui, ni planifiées ni discutées, ne renvoient à aucun de ces modes de prévention. Elles concernent des individus séronégatifs et constituent des situations où le risque de contamination est fort.
46Si, pour reprendre Calvez (Calvez, 1996), la rationalité – qui se caractérise par l’adéquation des moyens choisis aux fins poursuivies, en l’espèce l’abandon du préservatif en lien avec la maximisation du plaisir sexuel et/ou la construction d’un partage émotionnel – et le raisonnable – c’est-à-dire l’adéquation des conduites à un univers normatif, ici celui de la santé publique – coïncident pour les premières (en ce sens que les individus concernés appliquent bien, d’une façon ou d’une autre, les normes de prévention), ce n’est pas le cas pour les secondes. Trois configurations typiques se dévoilent en la matière : lorsque le plaisir sexuel et le rapprochement des corps priment, et que, dans le cadre d’un lien de confiance incarné dans la réciprocité, il fait perdre de vue l’aspect sanitaire (Denis) ; lorsque l’enchevêtrement des registres physiques et émotionnels, bien que contenu au cadre de l’authenticité limitée, conduit les individus à oublier de se protéger l’espace d’un instant (Claude et Alain) ; lorsque la perspective émotionnelle prédomine - pouvant prendre les traits d’une relation amoureuse au long cours - et que les « écarts » à l’authenticité limitée se traduisent en « écart » aux normes de prévention (Charles et Paul).
47Comprendre les logiques qui président à cette rationalité singulière nécessite de saisir que, pour les clients concernés par la disjonction entre rationalité et raisonnable, les rendez-vous tarifés ne se distinguent pas fondamentalement de ce que seraient des entrevues non tarifées ; d’autant que ces hommes n’ont pas ou rarement de rapports sexuels hors de l’escorting [13]. En l’occurrence, si ces trois configurations ont en commun de voir le risque s’inscrire dans le contexte relationnel - qu’il soit ou non entendu comme physique pour Denis -, il est surtout remarquable que l’argent n’y apparaît pas comme un instrument « corrompant » les liens sociaux en leur substituant des rapports instrumentaux fondés sur le calcul, la contractualisation et la froide raison.
48Ce constat ne signifie pas que les autres clients dont il a été question se garderaient de tout procédé visant à invisibiliser l’argent et, d’une manière générale, à effacer la dimension économique des rapports qu’ils entretiennent avec les escorts. Ces manières de faire, qui permettent l’euphémisation du caractère prostitutionnel des entrevues, sont au contraire communes parmi ces hommes. Mais les deux postures ne sont pas équivalentes. Si tous ou presque visent effectivement à atténuer les traits de la vénalité, voire à (signifier leur désir de) tisser avec l’escort un lien qui ne serait pas strictement marchand en « jouant » notamment sur les différentes formes prises par l’argent [14], les individus concernés par la disjonction entre rationnel et raisonnable se singularisent en ce qu’ils n’établissent pas de frontières à partir du critère de l’argent. Ce dernier n’a donc pas pour eux le pouvoir de distinguer différents types de relation (en l’espèce, relations vénales et non vénales).
49 « Ce n’est pas un escort. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire ? ». L’exclamation de Charles est significative dans la mesure où, non seulement elle souligne combien, aux yeux de Charles, Lionel n’est pas, au strict sens du terme, un escort – et ainsi à quel point registres vénal et non vénal se confondent à ses yeux –, mais également parce qu’elle met en lumière la difficulté même à dire et définir cette confusion. À l’inverse, si elles peuvent être parfois mouvantes [15], ces frontières ne sont jamais (complètement) perdues de vue par les clients pour qui rationalité et raisonnable correspondent.
50Bien sûr, dans les cas de Denis d’une part, de Claude et Alain d’autre part, et, enfin, de Charles et Paul, la manière dont cette confusion s’établit et s’exprime n’est pas identique. Ce faisant, elle ne recouvre pas non plus les mêmes significations. On peut identifier au moins deux composantes, intimement liées, autour desquelles elle s’élabore. En premier lieu, il y a sa temporalité. Si pour Denis, Claude et Alain, elle relève de l’instantanéité, cette confusion s’étend bien plus dans la durée en ce qui concerne Charles et Paul. Aussi, pour ce qui est des trois premiers, l’amalgame entre vénal et non vénal semble se cantonner à l’espace des rapports charnels, en ce sens que, hors de cet interstice (avant et après), la distinction entre ces deux registres paraît claire [16]. La confusion peut être ici associée à une forme d’égarement qui, pour être ponctuel, n’en présente pas moins des conséquences importantes sur le plan de la prévention.
51Les implications sanitaires sont tout aussi fortes pour Charles et Paul, mais, dans leur cas, le trouble et, partant, l’assimilation du vénal au non vénal qui le suscite, sont durables. Comme si le simulacre d’une relation amoureuse non vénale qu’est la rencontre avec un escort prenait pour eux intégralement le pas sur la réalité. Et ceci souvent dès le moment des premiers contacts en ligne et avec une intensité croissante. Aussi, la confusion entre vénalité et non vénalité ne se limite-t-elle pas ici au seul instant de la sexualité. Au contraire, elle enserre l’ensemble de la relation façonnée par Charles et Paul avec les escorts. Le moment de la sexualité – et les pratiques sans préservatif – ne constitue alors qu’un « simple » épisode d’une histoire qui le dépasse tout en lui donnant sens.
52 La seconde composante est le contenu que le client donne au lien qu’il établit avec l’escort, en l’occurrence soit le plaisir physique conçu, en tant que relation humaine et sociale à part entière, soit la recherche du partage d’une proximité affective. Sur ce point, Denis d’un côté, et Claude, Alain, Charles et Paul de l’autre, se distinguent. Si Denis poursuit une quête de la fusion des corps, c’est d’abord la construction d’un lien émotionnel qui anime les autres. Toutefois, les cas de Claude et Alain ne sont pas tout à fait comparables à ceux de Charles et Paul dans la mesure où les premiers laissent leur pratique inscrite dans le cadre de l’authenticité limitée, tandis que les seconds s’en détachent. Reste que, pour tous, c’est bien dans le contenu et la nature de la relation qu’ils estiment entretenir avec l’escort que se modèle et se nourrit la confusion des registre vénal et non vénal.
53 Ainsi, selon des logiques propres – s’ancrant dans l’instantanéité ou la « longue durée », dans la recherche du plaisir physique ou le partage d’une intimité émotionnelle –, l’absence (aux yeux de certains clients) de frontières entre relation vénale et relation non vénale signifiées par l’argent va parfois se matérialiser sous la forme de l’abolition de toute distance entre les corps, c’est-à-dire par l’abandon du préservatif. Si les voies qui y mènent ne sont pas similaires, le résultat et les implications de ce glissement sont quant à eux identiques et préoccupants sur le plan de la prévention. Ceci d’autant plus qu’ils concernent un profil d’individus (« hors milieu », vivant souvent une homosexualité cachée, menant parfois une vie hétérosexuelle) [17] dont l’âge, l’identité sexuelle, l’isolement affectif ou encore la difficulté à être touchés par les campagnes d’information doivent être envisagés comme autant de vulnérabilités.
Apports, pistes de recherche et limites
54Le rôle du plaisir sexuel et du partage émotionnel en matière de rapports sexuels non protégés par un préservatif, ou encore celui de la temporalité, ont déjà été analysés dans le cadre de la sexualité non tarifée entre hommes (par exemple Calvez, 1996 ; Bozon et Doré, 2007 ; Golub et al., 2012 ; Hoff et al., 2012). Il est par contre plus surprenant que relations tarifées et non tarifées puissent ne pas fondamentalement diverger – en vertu de la propension de celles-là à se « confondre » avec celles-ci. Le contexte prostitutionnel n’aurait ainsi peut-être parfois rien (ou presque) de spécifique, notamment (ou, peut-être, particulièrement) en matière de santé sexuelle. Ceci parce que l’argent n’y opère pas nécessairement une complète rationalisation des rapports sociaux (en l’espèce les rapports sexuels), au prix notamment d’une euphémisation du caractère vénal de la relation d’escorting par l’infléchissement sémantique de la « prostitution » à « l’escorting » ou de la « passe » au « rendez-vous ».
55Si pour le plus grand nombre d’individus rencontrés au cours de cette enquête, ce processus d’euphémisation ne signifie pas l’altération (complète) du pouvoir rationalisant de l’argent, il induit au contraire pour d’autres, moins nombreux, une forme d’indifférence au caractère « corrupteur » de la monnaie. Ainsi, ne distinguent-ils pas de frontière entre registre vénal et non vénal. De manière plus ou moins systématique, cette confusion peut alors connaître une « réplique » sur le plan de la sexualité – lorsque la « porosité de l’économique » se décline en une « porosité des corps » avec l’abandon du préservatif – et, conséquemment, en matière d’enjeux de santé.
56Ce qu’invitent à envisager les données ici présentées, c’est donc un déplacement du regard de la santé et du sexuel à l’économique. Non pas tant parce que la dimension économique spécifique des relations prostitutionnelles rendrait ces dernières particulières au regard de la santé sexuelle, mais, au contraire, parce que, dans certains cas, cette dimension tendrait à y perdre son pouvoir rationalisant et « corrupteur » de la vie sociale (sexuelle en l’espèce) ; les liens entre client et escort prenant alors les traits d’une relation non vénale.
57 Dès lors, c’est dans le processus de « disparition » de l’argent – ou, pour emprunter à la terminologie de la sociologie économique, ce que serait le ré-encastrement de l’économique dans le social – qu’il convient de chercher les raisons qui président à un abandon du préservatif ne répondant pas à ce que Calvez a nommé le raisonnable. Car cette disparition, ses modalités et les logiques qui y mènent sont déterminantes du point de vue de l’image que certains clients se font de la relation dans laquelle ils considèrent être engagés avec un escort ; contexte relationnel à l’aune duquel, précisément, le préservatif est abandonné. Sur ce point, la théorie du marquage social de l’argent ouvre la voie à une socio-économie de la santé appliquée aux enjeux de prévention en contexte prostitutionnel.
58Bien sûr, d’autres critères doivent être retenus et articulés par l’analyse que cet article propose d’ouvrir. Ainsi en est-il du statut sérologique ou encore de l’absence de vie sexuelle hors de l’escorting, dont on a constaté qu’ils distinguaient les clients interrogés ici. C’est également le cas des connaissances en matière de prévention qu’on a vues ne pas se traduire systématiquement en pratiques préventives. De même, rejoignant Léobon qui lie engagement dans l’achat de services sexuels et tendance à développer des sentiments avec les partenaires rémunérés,les données présentées appellent à porter une attention particulière à la recherche par certains clients de l’authenticité limitée, dont on sait que la prostitution en ligne contribue à l’essor à travers la « Boyfriend Experience » (Tewksbury et Lapsey, 2017).
59 On rappellera enfin les limites du matériau présenté ici dont le caractère qualitatif limite toute généralisation. Les liens de causalité entre dimension symbolique et herméneutique, aspect économique, comportements sexuels et « écarts » aux normes de prévention en contexte de prostitution n’ont à l’évidence rien de mécaniques. Il n’en reste pas moins que les perspectives offertes par une approche socio-économique de la santé appliquée aux enjeux de prévention, indiquent qu’il semble possible de mieux les éclaircir.
Liens d’intérêts
60 l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.
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Mots-clés éditeurs : internet, VIH, clients, homosexualité, prostitution
Date de mise en ligne : 27/09/2019
https://doi.org/10.1684/sss.2019.0148Notes
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[1]
En cohérence avec le vocabulaire utilisé par les enquêtés, on mobilisera les termes d’escorts et de prostitués.
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[2]
Notons par ailleurs que les enquêtes sur la sexualité en France de 1972, 1992 et 2006 n’apportent pas d’éclairage sur les relations sexuelles tarifées entre hommes ni, de fait, sur le rapport entre ces pratiques et la transmission des IST.
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[3]
Difficulté que ne pouvait a priori qu’accentuer l’écho médiatique autour du projet de pénalisation des clients.
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[4]
Contrairement à nombre de sites de rencontre ou d’annonces et de forums de discussion non dédiés où, bien qu’il s’exerce, le commerce du sexe est interdit.
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[5]
Soit parce qu’ils se présentaient comme tel sur leur profil en ligne, soit parce qu’ils avaient déposé des commentaires révélateurs à cet égard sur le profil d’un ou plusieurs escorts, soit parce qu’un ou plusieurs escorts avai(en)t déposé un message du même type sur leur propre profil.
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[6]
Précisons également que, pour le dire à la manière de Bizeul, le chercheur n’avait ici, sur le plan personnel, aucun « support d’accointances antérieures avec le milieu étudié, pas de souci militant ou d’engouement particulier à son sujet » (Bizeul, 1999).
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[7]
Ce travail a été financé par Sidaction.
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[8]
Au total, 307 personnes ont été contactées.
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[9]
Initialement non-directifs, ces entretiens ont ensuite été menés à l’aide d’un guide d’entretien et peuvent à ce titre être qualifiés de semi-directifs.
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[10]
Ce que n’évoque pas Damien.
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[11]
Marc parle de PANP.
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[12]
« C’est des personnes et pas des fois », précisera-t-il pour indiquer le caractère personnel de ces relations.
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[13]
Ce qui n’est le cas que de deux individus pour qui rationalité et raisonnable correspondent.
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[14]
Monnaie sonnante et trébuchante - déposée sur la table, placée dans une enveloppe, ou encore glissée dans la poche ou le sac au moment de se séparer -, cadeaux, invitations, etc.
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[15]
Comme lorsque Emmanuel se portera caution afin que Kylian puisse louer un appartement, ne payant plus alors durant quelques semaines leurs entrevues sans que le caractère prostitutionnel de la relation soit jamais remis en cause, ni par l’un ni par l’autre.
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[16]
Cette distinction est même ce qui a conduit Claude à recourir à la prostitution. Ainsi, alors qu’il venait d’avouer une relation extraconjugale, son compagnon répliqua : « Tu sais, si c’est vraiment pour tirer un coup. Et, te connaissant, sachant à quel point tu es un cœur d’artichaut et que tu peux tomber amoureux facilement, il y a une solution. Il y a des prostitués. Tu auras la satisfaction de ton truc sans aucun risque ». [Et Claude de poursuivre :]Sans aucun risque parce que … là, l’échange est clair : « Ton cul. Mes sous ». Les choses se passent et voilà ! »
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[17]
Et, ce faisant, peu ou pas inclus dans les enquêtes épidémiologiques.