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Article de revue

Les inégalités sociales de santé au prisme de l’intersectionnalité

Pages 5 à 30

Notes

  • [1]
    Par « race », je désigne le résultat d’une catégorisation strictement sociale et aucunement naturelle, c’est-à-dire que les attributs sur lesquels elle se fonde n’ont de sens que dans une société donnée, à une époque donnée, et ce même si ces attributs sont physiques, tels que la couleur de peau ou la forme du faciès (Carde, 2011a).
  • [2]
    J’utilise les termes « majorité » et « minorité » en référence à des rapports de pouvoir et non à des rapports démographiques.
  • [3]
    Dans les publications citées dans cet article, le statut socio-économique est identifié par tantôt l’une de ces trois composantes, tantôt deux d’entre elles, tantôt les trois à la fois.
  • [4]
    Courtenay non plus ne qualifie pas sa démonstration d’intersectionnelle.
  • [5]
    Quand elle fait cette remarque à propos de l’intersectionnalité, Collins fait référence à un juge de la Cour Suprême des États-Unis qui, quand on lui a demandé de définir la pornographie, a répondu « Je sais que ça en est quand j’en vois » (« I know it when I see it ») (ma traduction).
  • [6]
    Identifié ici par le niveau d’éducation seulement.
  • [7]
    « We conclude that a dearth of attention to the intersection between all three of racial identity (Black or White), gender (female or male) and nativity (native-born or immigrant) in Canadian public health research may not be an overly important lacuna, as we failed to find conclusive evidence for an intersection of this kind for any of the five health indicators considered in this study ».
    (Patterson et Veenstra, 2016 : 283)
  • [8]
    Ce constat peut être rapproché de celui sur la différenciation genrée du rôle des liens sociaux sur la santé mentale. En effet, alors que les liens sociaux sont généralement protecteurs pour la santé mentale, ils peuvent s’avérer au contraire préjudiciables, et ce plus particulièrement chez les femmes (Kawachi et Berkman, 2001). Serait en cause la tendance de ces dernières à développer des liens plus intimes (les mettant plus à risque de souffrir des difficultés vécues par leurs proches, par un effet de « contagion du stress ») mais aussi à fournir plus de soutien à leurs proches (et à s’épuiser).
  • [9]
    À noter que, là aussi, le terme « intersectionnalité » est absent de l’article.
  • [10]
    La revue Social Sciences and Medicine se fait l’écho de ces débats en publiant nombre de ces articles (Evans, 2019 ; Green et al., 2017 ; Lizotte et al., 2020 ; Merlo, 2018 ; Richman et Zucker, 2019, parmi d’autres).
  • [11]
    McCall distingue trois approches de l’intersectionnalité : l’inter-catégorielle consiste à délimiter et comparer des groupes sociaux ; l’anti-catégorielle implique la critique et la déconstruction de ces catégories sociales ; enfin l’intra-catégorielle tend à « se concentrer sur des groupes sociaux particuliers à des points négligés d’intersection […] afin de révéler la complexité des expériences vécues au sein de ces groupes » (« focus on particular social groups at neglected points of intersection […] in order to reveal the complexity of lived experiences within such groups ») (ma traduction) (McCall, 2005 : 1774).
  • [12]
    Cette critique fait référence à la distinction classique, proposée par Rose, entre facteurs individuels et facteurs populationnels (Rose, 2001).

1Le concept d’intersectionnalité, apparu dans les études de genre à la fin des années 1980, jouit depuis le début des années 2000 d’une popularité croissante dans l’ensemble des sciences sociales et humaines (Collins, 2015). Cette popularité a gagné la littérature sur les inégalités sociales de santé (ISS), en sciences sociales mais aussi en épidémiologie (Hankivsky, 2012). Cet engouement n’ayant cependant pas encore atteint la recherche francophone sur les ISS, je propose ici une réflexion sur l’intérêt de ce concept pour la recherche sur les ISS.

2Cette réflexion se déroule en deux temps. Le premier est théorique : après avoir présenté les principes qui caractérisent l’intersectionnalité, j’identifie les articulations possibles entre celle-ci et deux des principaux courants théoriques de la recherche menée sur les ISS depuis les années 1990. Le second est plus appliqué, il s’agit d’explorer l’intérêt de l’intersectionnalité pour l’analyse de données empiriques sur les ISS. Pour ce faire, j’examine d’abord ses potentialités - comment pourrait-elle renouveler l’interprétation de données empiriques sur les ISS si elle y était mobilisée. J’applique ici ce questionnement à certains résultats classiques sur les ISS raciales et de genre. Je poursuis en discutant de ce qui se fait déjà - certains de ses usages effectifs et revendiqués dans la littérature sur les ISS. Cette discussion me conduit à mettre au jour ce qui me semble constituer un apport majeur et pourtant relativement peu exploité de l’intersectionnalité pour la recherche sur les ISS, à savoir sa capacité à repérer et interpréter correctement certains effets inattendus des rapports inégalitaires quand ils sont pris dans ce que j’appelle ici des combinaisons dissonantes.

3Cet article propose donc une réflexion sur l’éclairage qu’un concept, l’intersectionnalité, peut apporter à un domaine de recherche, les ISS. Ce faisant, il discute de quelques-uns des développements récents de la recherche sur les ISS, issus des sciences sociales mais aussi de l’épidémiologie et de la biologie, et largement absents de la littérature francophone en sciences sociales sur les ISS. La discussion autour d’un concept lui-même issu des sciences sociales offre ainsi une heureuse opportunité de dialogue entre les disciplines et les univers linguistiques.

Perspectives théoriques

L’intersectionnalité

4Lorsqu’en 1989 la juriste Kimberle Crenshaw énonce pour la première fois le terme d’intersectionnalité (Crenshaw, 1989), elle pose sur le terrain du droit des revendications que portent depuis les années 1960 des militantes féministes du Black feminism aux États-Unis et ailleurs, au Nord comme au Sud (Bilge, 2015). Ces féministes ont en commun le cumul de plusieurs identités minorisées : pour leur sexe mais aussi leur race [1] ou leur orientation sexuelle, notamment. Elles sont par exemple des femmes noires dans une société à majorité [2] blanche et/ou des femmes lesbiennes dans une société d’abord hétérosexuelle. Elles dénoncent le fait de n’être représentées, en politique, que par des individus confrontés à seulement certaines des minorisations qu’elles subissent (Jaunait et Chauvin, 2012). Ainsi, celles du Black feminism ne se retrouvent ni au sein du mouvement de libération des Noirs, ni au sein du féminisme de l’époque. Le premier est représenté par des hommes noirs, victimes eux aussi de racisme, mais qui accordent peu d’importance à leurs conditions de femmes. Quant au mouvement féministe, il est alors représenté par des femmes blanches de classe moyenne qui, certes, subissent l’oppression sexiste, mais dont les revendications ne sont pas en phase avec les leurs. Alors, par exemple, que ces féministes blanches dénoncent la famille comme lieu par excellence de la domination patriarcale de la femme - épouse, mère et ménagère – et en demandent l’abolition, les femmes noires y trouvent quant à elles un refuge contre le racisme (Poiret, 2005).

5Au total, contestant le fait que seules des femmes blanches parlent au nom des femmes et que seuls des hommes noirs parlent en celui des Noirs, les militantes du Black Feminism remettent en cause l’idée selon laquelle les femmes formeraient un groupe homogène, désigné par une catégorie universelle « femme » qui pourrait traduire l’oppression qu’elles vivent toutes. Elles soulignent que cette oppression est vécue différemment par chaque femme selon les positions qu’elle occupe simultanément au sein des autres rapports sociaux inégalitaires : sa classe sociale et sa race, mais aussi son orientation sexuelle, sa religion, sa nationalité, sa langue maternelle, son handicap éventuel, ses convictions politiques ou encore son âge.

6C’est donc dans un cadre militant, de lutte contre les oppressions multiples vécues par certaines femmes, qu’a été forgé le concept d’intersectionnalité. Cependant, à ce premier objectif, pratique (« praxis »), du concept – d’action pour plus de justice sociale - s’en est rapidement ajouté un second, analytique - de décryptage des inégalités sociales (Collins, 2015). C’est sur celui-ci que va désormais se focaliser mon propos.

7Cette grille de lecture intersectionnelle prend le contre-pied d’une approche selon laquelle les rapports inégalitaires seraient des entités indépendantes les unes des autres et dont les effets sur le vécu des individus s’additionneraient. Elle postule au contraire que ces rapports, étroitement imbriqués au sein d’une « matrice de la domination » (Collins, 2004), interagissent et se construisent mutuellement. Ainsi par exemple, une femme noire ne vit pas de l’oppression raciale plus de l’oppression de genre : son expérience de l’oppression raciale est façonnée par son sexe, tandis que son expérience de l’oppression de genre l’est par sa race.

8Une ultime précision, qui prendra toute son importance en dernière partie de cet article, est que si la perspective intersectionnelle a été originellement pensée à partir du cas de femmes prises dans une combinaison de positions minorisées, elle peut être mobilisée à propos de tout individu. Chacun est en effet porteur d’une série de statuts (classe, race, sexe, etc.) qui le situent au sein d’autant de rapports inégalitaires et c’est, là aussi, l’interaction entre ces différents statuts qui façonne son accès aux ressources. Or, une même personne peut être avantagée selon certains de ses statuts et désavantagée selon les autres, simultanément dominer et être dominée. Pensons par exemple à une femme blanche de classe aisée qui exploite le travail d’une femme noire pauvre tout en subissant les effets de l’oppression sexiste au sein de sa famille. Si, dans un contexte donné, un axe de domination prévaut sur les autres, on ne peut donc pas en déduire qu’il en serait nécessairement de même en d’autres circonstances. En récusant ainsi toute prééminence a priori d’un axe sur les autres, la perspective intersectionnelle se distingue notamment du marxisme qui priorise le rapport de classe mais aussi de certains courants féministes tentés d’en faire de même avec le genre.

Articuler les courants théoriques de la recherche sur les ISS à la perspective intersectionnelle

9Étant donné la diversité des définitions données des ISS dans la littérature, il importe de commencer par préciser celle qui est retenue ici : ce sont des différences de santé sécrétées par des rapports de pouvoir (Carde, 2020). Elles sont donc identifiées entre des groupes situés à différentes positions le long d’un axe social inégalitaire donné, tel que celui de classe ou le genre. À l’opposé de nombreux auteurs, je ne réserve pas le terme d’ISS aux seules différences de santé « injustes », parce que l’appréciation de l’injustice me paraît trop subjective et culturellement différenciée pour permettre une identification des ISS dépourvue d’ambiguïté. J’écarte également la définition qui voit des ISS dans toutes les différences de santé en lien avec des différences sociales car elle est susceptible d’inclure des différences de santé qui ne résultent pas de rapports de pouvoir (Braveman, 2006). Ces précisions sémantiques convergent ainsi pour placer au cœur de la définition des ISS ces rapports de pouvoir dont l’intersectionnalité souligne l’imbrication et la co-construction.

10Deux théories ont largement influencé la recherche sur les ISS des dernières trente années : la théorie des causes fondamentales et la théorie éco-sociale. La première s’inscrit dans le courant de l’économie politique de la santé, qui cible les rapports de pouvoir et l’inégale répartition des ressources. Les causes fondamentales des ISS sont, selon cette théorie, des inégalités dans l’accès à diverses ressources telles que la connaissance, l’argent, le pouvoir, le prestige et les réseaux sociaux (Link et Phelan, 1995). Ces causes sont dites « fondamentales » et ces ressources « flexibles » parce que les ISS qui résultent des inégalités dans l’accès aux secondes persistent au cours des siècles, alors même que les voies par lesquelles est affectée la santé des individus évoluent au fil du temps. Si par exemple, dans les sociétés du Nord, aujourd’hui comme au XIXe siècle, on meurt plus à mesure que l’on descend l’échelle des revenus, ce n’est plus des mêmes maladies : les maladies liées à l’insalubrité et à la sous-nutrition ont fait place à celles auxquelles exposent la suralimentation, la sédentarité, l’alcoolisme et le tabagisme. Les facteurs de risque les plus proximaux ont changé (de la sous-nutrition au tabagisme), mais les déterminants les plus distaux (la pauvreté relative) restent les mêmes. Ce sont ces derniers, les « causes des causes », ces rapports qui déterminent des inégalités dans l’accès à des ressources toujours et partout cruciales à la santé (d’où leur qualificatif de « flexibles »), que la théorie des causes fondamentales permet d’identifier.

11Un grand avantage de cette théorie est que la liste des rapports sociaux « fondamentalement » inégalitaires et des ressources flexibles identifiés reste toujours perfectible. Ainsi par exemple, vingt ans après avoir identifié le rapport socio-économique comme l’un de ces rapports, les auteurs de cette théorie ont démontré que le rapport racial en est un autre, en ce qu’il détermine lui aussi un accès inégal aux ressources flexibles (Phelan et Link, 2015). Ils ont du même souffle ajouté une ressource flexible supplémentaire à leur liste (connaissance, argent, pouvoir, prestige, réseaux sociaux) : la liberté. Ils ont en effet constaté qu’aux États-Unis, la privation de liberté détériore la santé des Noirs (ce qui en fait une ressource de santé), sous des formes variables mais de façon continue au cours des siècles (ce qui atteste de son caractère flexible) - de l’esclavage à la lutte contre la drogue qui, depuis les années 1990, conduit en prison un nombre disproportionné de Noirs. En permettant de repérer les rapports qui déterminent des inégalités dans l’accès à des ressources flexibles, la théorie des causes fondamentales pave la voie au déploiement d’une analyse intersectionnelle qui, quant à elle, s’attache à décrypter l’imbrication de ces mêmes rapports.

12Si le grand apport de l’économie politique de la santé est de scruter les processus sociaux qui soumettent au risque de maladie certains individus plus que d’autres, elle n’interroge pas les voies par lesquelles ce social « passe sous la peau » : comment par exemple des inégalités dans les revenus ou le prestige se transforment en inégalités dans des taux de cancer ou de diabète. La théorie éco-sociale propose de répondre à ce questionnement avec le concept d’incorporation (embodiment). Celui-ci doit s’entendre littéralement, au sens d’une incorporation biologique des multiples déterminants matériels et immatériels auxquels est exposé un individu au cours de sa trajectoire de vie (Krieger, 2001). Cette incorporation s’exprime dans les caractéristiques biologiques que mesurent médecins et biologistes-de la corpulence à l’expression génétique par exemple (Krieger, 2005). Toutefois, cette théorie met en lumière bien plus qu’une simple influence de l’environnement sur l’individu. Elle révèle des interactions et des rétroactions entre l’un et l’autre, multiples, incessantes et présentes à toutes les échelles du système dynamique qu’ils forment ensemble, du niveau le plus micro au plus macro. Ces interactions dessinent un réseau si touffu qu’il devient impossible de distinguer la matérialité biologique de l’individu du produit social qu’il est aussi : où s’arrête l’une et où commence l’autre ? C’est finalement le dualisme nature/culture qui est remis en cause.

13Certaines chercheures féministes analysent le dualisme sexe/genre à la lumière de cet enchevêtrement du biologique et du social. Elles contestent alors le postulat selon lequel les différences de santé entre hommes et femmes découleraient de leurs différences biologiques innées, notamment hormonales. Elles voient plutôt dans ces différences de santé le résultat du traitement socialement différencié dont font l’objet les individus selon le sexe qui leur est attribué. L’attribution de l’identité sexuelle procédant elle-même de l’interprétation socialement située de caractères anatomiques, la boucle est bouclée : les corps sont façonnés par des processus sociaux auxquels ils participent, dans une interaction permanente et réciproque entre matérialité des corps et pratiques dont ils font l’objet (Connell, 2012). Roberts propose de substituer à l’opposition classique entre biologique et social une « co-construction du biologique et du social » (Roberts, 2000). Fausto-Sterling avance quant à elle que nous sommes faits, simultanément, à 100 % de biologique et à 100 % de social (Fausto-Sterling, 2005). Surtout, elle poursuit en démontrant que ce « 100 % social » est différencié selon le sexe mais aussi selon l’âge, la race, l’orientation sexuelle ou encore le statut socio-économique des individus. Son argumentation en faveur d’une dés-essentialisation et d’une dés-universalisation de la condition féminine comme de la condition masculine rejoint alors la perspective intersectionnelle. Montrant en effet l’imbrication et la co-construction des rapports sociaux qui, tous ensemble, participent à ce système dynamique que constituent l’individu et son environnement, elle dresse finalement un pont entre intersectionnalité et théorie éco-sociale.

14Si la théorie des causes fondamentales et la perspective intersectionnelle travaillent donc de concert, l’une identifiant les rapports sociaux dont l’autre examine l’imbrication, la théorie écosociale apporte un éclairage crucial sur l’incorporation de ces rapports. Voyons maintenant comment une perspective intersectionnelle, ainsi située théoriquement par rapport à la recherche sur les ISS, peut être mobilisée pour l’analyse de données empiriques.

Appliquer une perspective intersectionnelle à la recherche sur les ISS

15En 1899, le sociologue Williams Du Bois explique que si les Noirs de Philadelphie sont en moins bonne santé que les Blancs, c’est en raison non pas de leur infériorité biologique, comme il est habituel de l’assurer à l’époque, mais de leurs conditions de vie (alimentation, logement, soins, etc.) dégradées du fait du racisme. Ce faisant, il remarque des variations selon le sexe : la santé des hommes noirs est plus affectée par le racisme que ne l’est celle des femmes noires. Si en effet les femmes noires sont confinées dans des emplois de domestiques, ceux-ci leur permettent à tout le moins de vivre dans des maisons confortables et d’avoir accès à des repas réguliers. Les hommes, eux, travaillent sur des chantiers, sont hébergés dans des logements insalubres et ont un accès irrégulier à l’alimentation (Dubois, 1899, cité par Williams et Sternthal, 2010). Dubois ne mentionne bien-sûr pas le terme d’intersectionnalité. Il offre cependant un exemple saisissant de co-construction des rapports inégalitaires, en l’occurrence de race et de genre : l’impact sur la santé de l’oppression raciste est modelé par le genre.

16L’examen de la littérature en santé publiée au cours du XXe siècle, en sciences sociales comme en épidémiologie, révèle ainsi maints exemples d’interactions mutuelles entre différents rapports inégalitaires et la santé, et ce bien avant l’apparition du mot « intersectionnalité », et alors même que l’expression « inégalités sociales de santé » n’est pas toujours mentionnée. Voyons donc comment la mobilisation d’un cadre intersectionnel pourrait être pertinente pour l’interprétation de résultats classiques sur les ISS.

À l’affût de la multiplicité des rapports sociaux conjointement impliqués dans les ISS

17Crenshaw, dans son exemple princeps sur les femmes afro-américaines victimes de violence conjugale, souligne qu’une perspective féministe qui omet d’inclure le racisme dans son analyse ne peut pas « deviner » la situation de ces femmes, pas plus que ne le peut une perspective antiraciste qui n’envisage pas le sexisme (Crenshaw, 2005). La toute première étape d’une analyse intersectionnelle est donc le repérage des différents rapports sociaux potentiellement impliqués dans la production des inégalités étudiées.

18Pour envisager la mise en œuvre de cette première étape sur le terrain de la santé, on peut partir du concept de gradient social de santé. Celui-ci traduit le fait que les ISS, loin de se réduire à un écart de santé entre les deux extrémités d’une hiérarchie sociale donnée, en reproduisent chaque échelon. Il s’illustre au mieux avec la stratification socio-économique, comme l’ont éloquemment démontré les fameuses études de Whitehall : l’espérance de vie décroissait progressivement, à chaque palier de la hiérarchie professionnelle, parmi les 18 000 fonctionnaires britanniques qui ont été suivis pendant 38 ans (Marmot, 2003). Le constat de ce gradient socio-économique a par la suite été répété à maintes reprises en tenant compte non seulement de la position professionnelle mais aussi du revenu et du niveau d’éducation [3].

19Or la perspective intersectionnelle, en portant attention aux multiples rapports sociaux inégalitaires dans lesquels est pris chaque individu, nous rappelle qu’il importe de non seulement distinguer la multitude de paliers de statut socio-économique (SSE) qui traversent toute la société, mais aussi de tenir compte de ce que les individus ne sont pas seulement caractérisés par leur SSE. Ils le sont aussi par d’autres positions sociales, qui sont autant de déterminants sociaux de la santé. Chaque SSE correspond ainsi non pas à un niveau de santé moyen, mais à plusieurs. Si l’on multiplie le nombre de statuts sociaux considérés, un nuage de points se substitue rapidement à la classique droite de corrélation pour rendre compte des ISS.

20Cette nécessité de prendre en compte, simultanément, la multiplicité des déterminants sociaux de la santé n’est certes pas une découverte récente. Ce qui l’est plus est la nécessité d’identifier et analyser précisément les interactions mutuelles entre ces multiples déterminants. Pour en témoigner, on peut reprendre l’exemple des inégalités raciales de santé aux États-Unis. Plus d’un siècle après les travaux de Dubois, ces inégalités sont attestées par de nombreuses statistiques qui font état, de façon récurrente, de la moins bonne santé des Noirs comparativement aux Blancs. Par exemple, l’espérance de vie d’un enfant noir né aux États-Unis en 2017 est inférieure de près de trois ans et demi à celle d’un enfant blanc (Arias et Xu, 2019). La première explication généralement invoquée par les chercheurs est de nature socio-économique : le SSE des Noirs est en moyenne moins élevé que celui des Blancs, ce qui expliquerait leur moins bonne santé. Or, lorsque les analyses sont refaites après ajustement sur le SSE, la santé des Noirs reste moins bonne que celle des Blancs, même si l’écart est moindre qu’avant l’ajustement (Williams et Collins, 1995). Comment interpréter cette persistance de la moins bonne santé des Noirs, à SSE équivalent ?

21Une réponse proposée dans la littérature épidémiologique nord-américaine est celle du déterminisme génétique : si, soumis aux mêmes déterminants sociaux (en l’occurrence, socio-économiques), les Noirs sont en plus mauvaise santé que les Blancs, c’est qu’ils seraient plus souvent génétiquement prédisposés à diverses maladies (Muntaner et al., 1996 ; Williams, 1997 ; Yudell et al., 2016). En considérant la race comme une entité génétique, cette interprétation fait fi des apports de la génétique, qui contredisent une telle acceptation de la notion de race (Goodman, 2000), mais elle ignore aussi ceux de la sociologie qui, en appréhendant la race comme une entité sociologique, offre une tout autre lecture de ces écarts de santé (Carde, 2011b). Selon cette lecture, le statut racial inscrit chaque individu dans une hiérarchie sociale au sein de laquelle la catégorie noire est désavantagée par rapport à la blanche, désavantage qui s’exprime notamment dans des discriminations préjudiciables à la santé. La théorie éco-sociale vient soutenir cette lecture en soulignant l’importance de situer le rôle des gènes dans l’ensemble des interactions entre les individus et les multiples strates de leur environnement. Plus précisément, elle permet de voir dans la détérioration de la santé des Noirs aux États-Unis l’aboutissement d’innombrables réactions en chaîne, impliquant certes possiblement leurs gènes, mais qui sont induites par les multiples discriminations qu’ils subissent tout au long de leur parcours de vie (Krieger, 2005). Certains indicateurs de santé, plus souvent dégradés chez les Noirs, seraient même les témoins paradoxaux de leurs réponses biologiques adaptées à ces discriminations. C’est ce que suggère Fausto-Sterling quand elle voit dans l’augmentation excessive de leur tension artérielle l’adaptation appropriée de leurs organismes, y compris par anticipation, aux stress répétés qu’ils subissent en raison de la minorisation dont fait l’objet leur race (Fausto-Sterling, 2004).

22La théorie éco-sociale permet ainsi d’envisager la densité des liens bidirectionnels tissés entre d’une part l’environnement social au sein duquel l’appartenance raciale est signifiante et d’autre part la matérialité biologique des organismes. Ce faisant, elle évite le piège des interprétations réifiantes, comme le déterminisme génétique, qui y verraient deux entités indépendantes.

23La théorie des causes fondamentales se focalise quant à elle sur l’environnement social, en offrant une démarche analytique rigoureuse à même de démêler la pelote des rapports sociaux inégalitaires qui y sont impliqués. Un exemple en est le raisonnement que suivent ses auteurs quand ils se demandent si le racisme est une cause fondamentale d’ISS (Phelan et Link, 2015). Ils répondent par l’affirmative après avoir démontré que le racisme produit des inégalités dans l’accès aux ressources flexibles. Or, dans le cours de leur démonstration, ils mettent au jour non pas une mais deux voies qui mènent du racisme aux ressources flexibles : une directe (par exemple, le moindre prestige des individus minorisés en raison de leur appartenance raciale) et une indirecte, via une influence sur le SSE (par exemple, leur revenu diminué à cause de discriminations dans l’accès à l’emploi). En d’autres termes, le rapport racial est une cause fondamentale d’ISS « en lui-même » (c’est lui qui diminue le prestige des minoritaires) mais aussi parce qu’il interfère sur une autre cause fondamentale d’ISS, le rapport socio-économique (il diminue le SSE des minoritaires raciaux). Sont ainsi identifiés deux rapports sociaux « fondamentalement en cause » dans les ISS. Il s’agit alors d’en comprendre précisément l’articulation – c’est la seconde étape de l’analyse intersectionnelle.

De l’articulation à la co-construction des rapports sociaux

24Un premier niveau de l’analyse de cette articulation est de considérer, comme le font les auteurs de la théorie des causes fondamentales, que le racisme affecte le SSE, notamment en diminuant celui des minoritaires raciaux. Il importe cependant de ne pas se contenter de ce premier niveau et de poursuivre l’analyse en se demandant si le racisme peut aussi avoir pour effet de modifier l’impact qu’a le SSE sur la santé. Si tel est le cas, on peut parler véritablement d’une co-construction des rapports sociaux et non simplement de leur articulation ou de leur influence réciproque. Et de fait, diverses études confirment que le racisme peut diminuer l’effet protecteur pour la santé d’un SSE avantagé et aggraver l’effet néfaste d’un SSE désavantagé (Williams et Sternthal, 2010). Ainsi par exemple, lorsque des Noirs sont victimes de discriminations dans leur accès à l’emploi puis dans l’évolution de leur carrière, il en résulte qu’un même diplôme sera moins rémunérateur et moins protecteur contre le chômage lorsqu’il est détenu par un Noir que par un Blanc. Un même diplôme bénéficiera donc moins à la santé des Noirs qu’à celle des Blancs, ce qui explique la moins bonne santé des premiers même après ajustement sur le niveau de diplôme, telle que je l’ai mentionnée plus haut (Nazroo, 1998 ; Smith, 2000). Un autre exemple est la ségrégation raciale dans les quartiers des villes des États-Unis. Les quartiers noirs sont souvent plus insalubres que les blancs, même après ajustement sur le niveau de revenu des habitants (Alba et Denton, 2008). En d’autres termes, à niveau de revenu équivalent, on risque plus de vivre dans un quartier délétère pour la santé (parce que situé à proximité d’un entrepôt de déchets toxiques ou en bordure d’une autoroute, par exemple) quand on est noir que quand on est blanc. Les quartiers noirs sont aussi des quartiers où le prix des biens, notamment des denrées alimentaires, est plus élevé qu’ailleurs. Un même revenu permettra donc d’acheter moins de biens (et notamment moins d’aliments de qualité) lorsqu’on vit dans un quartier noir (Williams et Collins, 1995). La ségrégation raciale résidentielle vient ainsi modifier l’effet du SSE sur la santé des individus, en diminuant l’effet protecteur d’un SSE élevé. La perspective intersectionnelle, en braquant le projecteur sur la co-construction des rapports, rend visible et permet d’interpréter la nonreproductibilité des effets du SSE sur la santé des individus selon leur position sur l’axe racial - et ce d’une façon bien plus convaincante que ne prétend le faire la perspective du déterminisme génétique.

25Les travaux développés depuis les années 1980 sur la ou plutôt les masculinité(s) offrent eux aussi un terrain fécond à une réflexion intersectionnelle sur la co-construction des rapports sociaux à l’œuvre dans la production d’ISS. Selon Connell et Messerschmidt, les hommes qui adoptent les comportements spécifiquement associés à la masculinité hégémonique se voient reconnaître du pouvoir non seulement sur les femmes mais aussi sur les hommes qui ne les adoptent pas : c’est ce qui fait de la masculinité hégémonique le « modèle exemplaire » de la masculinité (Connell et Messerschmidt, 2015). Or, poursuivent-ils, les traits saillants de cette masculinité, tels que le désir sexuel ou la violence physique, loin d’être l’expression de spécificités biologiques du sexe mâle, notamment hormonales, sont socialement prescrits : ils relèvent de constructions sociales, propres à chaque société et évolutives au cours du temps.

26Courtenay enchaîne en démontrant combien ces traits saillants sont néfastes à la santé des individus qui en sont porteurs (Courtenay, 2000). Il observe qu’aux États-Unis, les hommes se conforment à cette prescription sociale en refusant de reconnaître leur douleur et de chercher de l’aide, en démontrant un intérêt continuel pour le sexe, en manifestant une attitude agressive ou encore en se prétendant invincibles lors de comportements notoirement à risque pour la santé (comme l’alcoolisme et l’excès de vitesse sur la route). Ces comportements seraient largement responsables de l’excès « paradoxal » de mortalité des hommes par rapport aux femmes (paradoxal car la mortalité des hommes devrait être moindre que celle des femmes, eu égard à leur SSE en moyenne plus élevé). Or, la masculinité hégémonique serait plus volontiers reconnue chez les hommes jouissant d’un statut majoritaire au regard des autres principales stratifications sociales (de race, de classe et d’orientation sexuelle, notamment). Les hommes minorisés selon une ou plusieurs de ces autres stratifications tendraient alors à accentuer certains comportements caractéristiques de la masculinité hégémonique, comme pour signifier qu’ils sont malgré tout de « vrais hommes ». Ce faisant, ils exposeraient d’autant plus leur santé. Ainsi, selon Courtenay, de jeunes hommes de SSE défavorisé chercheraient à se distinguer par leur comportement violent ou leur endurance physique au travail manuel, et des homosexuels multiplieraient les partenaires sans protéger leurs rapports sexuels. L’effet du genre sur la santé serait ainsi modulé par les positions que chaque homme occupe simultanément au sein des autres rapports sociaux.

27Ces différents exemples illustrent la façon dont l’intersectionnalité, par la mise en évidence d’une co-construction plutôt que d’une simple articulation des rapports sociaux, peut éclairer des résultats classiques dans la recherche sur les ISS. Cette co-construction se traduit, dans les exemples cités jusqu’à présent, par une aggravation mutuelle des effets sanitaires des rapports inégalitaires pour les individus désavantagés au regard de ces rapports. Elle peut cependant prendre une tournure plus inattendue. C’est ce que donne à voir le cas des « combinaisons dissonantes ».

De la co-construction à la « liberté » des rapports sociaux inégalitaires : les combinaisons dissonantes

28Dans les pages précédentes, j’ai proposé une interprétation en termes intersectionnels de données empiriques issues de publications qui ne se revendiquent pas de cette approche, à l’instar de celle de Dubois [4]. J’ai adopté pour ce faire la posture de Collins selon laquelle c’est quand on la voit que l’on sait qu’on a affaire à de l’intersectionnalité [5], que celle-ci soit ou non revendiquée (Collins, 2015). C’est au contraire avec des publications qui s’affichent explicitement intersectionnelles que je vais maintenant aborder l’enjeu des effets en santé « inattendus » de la co-construction des rapports sociaux. Comme précisé en introduction, une telle revendication, quasi absente de la littérature francophone sur les ISS, est de plus en plus fréquente dans l’anglophone. Dans cette dernière, si les recherches qualitatives ont lancé le mouvement, les quantitatives leur ont rapidement emboîté le pas et sont aujourd’hui bien représentées. La conceptualisation que les secondes font de l’intersectionnalité a remarquablement évolué au fil de cette dernière décennie, une évolution qui sert de point de départ à mon propos.

Mesurer la co-construction ?

29L’une des limites reprochées aux études quantitatives des années 1980-1990 était leur tendance à mesurer séparément l’effet sur la santé des différents déterminants sociaux impliqués dans les ISS. Par exemple, l’effet du genre sur la santé était mesuré après que l’on ait « neutralisé » l’effet du SSE grâce à l’ajustement sur celui-ci. C’est le fameux « toutes choses étant égales par ailleurs » : on compare la santé d’hommes et de femmes d’un même SSE. Ce procédé revient, de fait, à invisibiliser la possible variabilité de l’effet du SSE selon qu’il affecte la santé des hommes ou celle des femmes. Pour le dire en termes plus sociologiques, ce procédé tend à réifier, essentialiser les statuts (le SSE ou tout autre statut ainsi « neutralisé »), en présentant leurs effets sur la santé comme étant fixes, indépendants de leur contexte, c’est-à-dire de la combinaison de statuts qu’ils constituent ensemble.

30Or, depuis les années 2000, un nombre croissant de recherches quantitatives porte explicitement sur le croisement des inégalités sociales, et l’on peut constater le perfectionnement de leurs méthodes dans leur capacité à saisir la co-construction de ces dernières. Certaines évitent le travers sus-cité de l’invisibilisation, sans pour autant mesurer l’interaction. Elles comparent les états de santé de groupes caractérisés par des combinaisons différentes des statuts au sein de diverses hiérarchies sociales. Par exemple, Read et Gorman mesurent les ISS entre les sexes dans différents groupes raciaux des États-Unis. Ils constatent que les femmes sont toujours en moins bonne santé que les hommes de leur groupe racial, mais que cet écart entre les sexes varie selon les groupes raciaux ; il est ainsi particulièrement important entre Cubains et Cubaines, ce qui permet de conclure que l’effet du genre est particulièrement important chez les Cubains (Read et Gorman, 2006).

31D’autres études s’attachent plus précisément à mettre en évidence l’interaction entre les statuts. Pour ce faire, les auteurs se demandent si les effets de ces statuts sur la santé (en termes de pénalités ou de bénéfices) s’additionnent ou se multiplient. Dans le modèle de l’addition, plus les individus sont porteurs de statuts connus pour être défavorables à la santé, et plus ils sont effectivement en mauvaise santé (et vice-versa), l’exemple archétypal étant celui des femmes noires et pauvres. La vérification empirique de ce modèle additif est censée indiquer que les effets des statuts sociaux sur la santé sont des entités fixes, indépendantes les unes des autres, dont les effets s’ajoutent les uns aux autres sans interagir et qu’il y a donc absence d’interaction des rapports sociaux. À l’inverse, dans le modèle multiplicatif, l’effet de chacun des statuts considérés varie selon la combinaison de l’ensemble des statuts en présence. S’il est vérifié, les auteurs concluent à la validité de la perspective intersectionnelle.

32Par exemple, Brown et ses collègues (Brown et al., 2016) démontrent la validité du modèle multiplicatif à propos de la santé perçue chez les femmes noires de revenu élevé, vivant aux États-Unis : certes, elles se perçoivent en meilleure santé que les femmes noires pauvres, mais l’effet protecteur du revenu élevé pour la santé perçue est moindre chez elles que chez les femmes blanches et chez les hommes blancs et noirs. Les effets défavorables à la santé des statuts « femme » et « noires » se multiplieraient d’une façon telle que le statut « SSE élevé » ne parviendrait pas à jouer son rôle habituellement protecteur de la santé. Il y aurait donc bien variation de l’effet de l’un des statuts (le SSE) selon la combinaison (sexe, SSE et race) dans laquelle il est pris. Dans le même ordre d’idée, Hargrove constate que le SSE élevé [6] de leurs parents protège moins d’une surcharge pondérale les adolescents de couleur (noirs ou hispaniques) que les adolescents blancs, alors que cette protection par le SSE élevé est la même chez toutes les adolescentes, quelle que soit leur race (Hargrove, 2018). L’auteur conclut que, chez les adolescents, les effets des statuts « homme » et « de couleur » se multiplient.

33Quand, à l’inverse, leurs résultats ne suivent pas le modèle multiplicatif, certains auteurs concluent que la théorie de l’intersectionnalité n’est pas « confirmée ». C’est le cas par exemple de Patterson et Veenstra qui, comparant la santé d’individus porteurs d’une, deux, trois ou aucune « pénalité(s) de santé » (comme le fait d’être femme, minoritaire racial ou immigré), ne constatent pas de multiplication des effets de ces pénalités. Ils en déduisent que la perspective intersectionnelle n’est pas validée et concluent que la rareté des études portant sur l’intersection des inégalités ne constitue somme toute pas une lacune d’une grande importance [7].

Les combinaisons dissonantes

34Si le modèle multiplicatif peut saisir les inégalités sécrétées par la co-construction des rapports, il semble réducteur de récuser l’existence d’une telle co-construction dès lors que ce modèle n’est pas vérifié. Si l’on quitte le terrain de l’arithmétique pour celui du vécu des individus, il parait en effet difficile d’imaginer la possibilité même d’une indépendance complète des statuts dont ces individus sont porteurs. L’intérêt de l’intersectionnalité réside d’ailleurs précisément dans cette vigilance qu’elle impose au chercheur, l’enjoignant à traquer sans relâche cette co-construction, y compris quand elle se dérobe aux formules mathématiques. Le socle de cette vigilance est la présomption d’une certaine « liberté » dont jouissent les rapports sociaux pour se reconfigurer et jouer une partition autant inédite qu’éphémère, que leur inspire chacune des combinaisons qu’ils forment tous ensemble, au gré des circonstances.

35Le cas de figure des « combinaisons dissonantes » permet d’illustrer cette liberté. J’entends par là les combinaisons, mentionnées en introduction, d’une ou plusieurs position(s) majoritaire(s) au regard de certaines stratifications sociales (par exemple, un haut niveau de revenu) avec une ou plusieurs position(s) minoritaire(s) au regard d’autres stratifications (telle que l’appartenance à une minorité raciale), chez un même individu. C’est le cas par exemple d’hommes homosexuels, de femmes éduquées ou encore d’immigrés blancs. Certaines recherches empiriques ont révélé les effets inattendus, car préjudiciables à la santé, que peut avoir un statut a priori favorable à la santé quand il est pris dans une de ces « combinaisons dissonantes ». Je précise qu’il ne s’agit pas d’un statut majoritaire qui s’avérerait impuissant à contrer les effets « multipliés » de statuts minoritaires (comme l’exemple vu précédemment du SSE élevé qui est peu protecteur de la santé de femmes noires), mais bien d’un statut majoritaire qui s’avère avoir un effet défavorable. J’en donnerai ici deux exemples.

36Le premier porte sur les inégalités dans l’accès aux soins de femmes enceintes séropositives pour le VIH. Chez ces femmes, la prise régulière d’antirétroviraux diminue drastiquement le risque de transmission du virus à l’enfant. Pour cette raison, elles bénéficient d’une prise en charge (assurance maladie ou aide médicale) de ces médicaments, quelle que soit leur situation au regard du droit au séjour et ce sur tout le territoire français. Malgré cette prise en charge, à la fin des années 2000, les femmes enceintes et séropositives prenaient moins régulièrement ces médicaments quand elles vivaient en Guyane et à Saint-Martin qu’ailleurs en France, ce qui se traduisait par des taux plus élevés de naissances d’enfants séropositifs. Une recherche qualitative a mis en évidence quatre rapports sociaux inégalitaires en cause dans ces inégalités d’accès aux soins (Carde, 2011c). Les femmes enceintes et séropositives étaient, pour la plupart, 1) étrangères sans-papiers : par crainte des contrôles d’identité, elles évitaient tout déplacement, y compris vers un établissement de soins ; 2) pauvres : les soins, même « gratuits » car pris en charge par leur couverture maladie, étaient relégués derrière d’autres priorités telles que l’hébergement ; 3) porteuses d’une maladie stigmatisée : elles évitaient tout soin susceptible de trahir, aux yeux de leur entourage, le secret sur leur infection ; 4) issues de minorités culturelles : les comprenant mal, elles ne respectaient pas tous les principes des soins biomédicaux.

37Le plus souvent, les effets sur l’accès aux soins de ces différents rapports s’aggravaient mutuellement. Par exemple, la plupart des femmes, étant immigrées, souffraient d’isolement social (elles avaient laissé leurs proches dans leur pays d’origine) ; cet isolement, associé à l’irrégularité de leur séjour, les exposait à une forte précarité économique ; cette dernière rendait la plupart d’entre elles dépendantes économiquement de leurs partenaires sexuels (« concubinage pragmatique ») ; or cette dépendance accroissait encore l’importance de garder secrète leur séropositivité (leur rejet par leurs partenaires, en cas de révélation, aurait été catastrophique).

38Mais l’étude a aussi révélé des situations plus inattendues, lorsque l’association d’un statut majoritaire à un statut minoritaire faisait du premier, habituellement bénéfique pour la santé, un « exacerbateur de fragilité ». L’accès aux soins des quelques femmes non immigrées incluses dans l’échantillon de Saint-Martin (des femmes françaises, créoles saint-martinoises), illustrait ce cas de figure. Ces femmes jouissaient de réseaux sociaux étendus (familiaux, professionnels, amicaux, de voisinage). La bonne insertion sociale est, classiquement, un facteur favorisant le suivi médical, via l’accès à des ressources tant matérielles que cognitives. Or, sur ce terrain saint-martinois, les absences de soins les plus flagrantes étaient observées chez certaines de ces femmes bien insérées. Comme elles connaissaient personnellement de nombreux membres du personnel médical et paramédical exerçant sur ce petit territoire, elles refusaient en effet catégoriquement de se faire suivre pour leur séropositivité par crainte de rupture du secret médical sur leur infection (Carde, 2012). C’était donc parmi elles que l’on observait les ruptures de soin les plus dramatiques (absence de suivi infectieux pendant la grossesse, puis départ inopiné de la maternité juste après l’accouchement). Prise dans une combinaison de rapports sociaux incluant la stigmatisation de la maladie, la bonne insertion sociale devenait un facteur défavorable au suivi médical [8].

39L’enjeu des masculinités, présenté plus haut, offre un second exemple des effets inattendus des combinaisons dissonantes, en révélant de surcroît leur dimension dynamique au cours de la trajectoire de vie. Springer et Mouzon s’interrogent sur la raison pour laquelle, aux États-Unis, l’accès aux soins préventifs des hommes de plus de 65 ans décroît avec le SSE, entraînant une mortalité accrue des hommes de SSE élevé (Springer et Mouzon, 2011). Ce constat les étonne puisque, en général, le SSE élevé favorise l’accès aux soins (Blackwell et al., 2009). Les auteurs avancent, comme piste explicative, la norme de la masculinité hégémonique qui, parce qu’elle est associée à un dédain pour la santé, freinerait le recours aux soins préventifs. Cet effet préjudiciable à l’accès aux soins s’accentuerait chez les hommes de SSE élevé à mesure qu’ils vieillissent, pour les raisons suivantes.

40L’adhésion à la norme de la masculinité hégémonique serait plus forte chez les hommes âgés d’aujourd’hui car ils sont devenus adultes dans les années 1950, quand était particulièrement prégnante la représentation normative de l’homme pourvoyant aux besoins du ménage et de la femme au foyer. Par ailleurs, à mesure qu’ils avancent en âge, les hommes rencontreraient de plus en plus de difficultés pour se conformer à cette norme. Celle-ci se caractériserait en effet par la confiance en soi, le pouvoir, l’autonomie, la réussite financière ou encore les prouesses sexuelles, autant d’attributs qui deviennent plus inaccessibles avec le vieillissement physique du corps et la perte de prestige socio-économique consécutive au départ à la retraite. Chez ceux des hommes âgés qui, quand ils étaient plus jeunes, incarnaient d’autant plus facilement la masculinité hégémonique qu’ils jouissaient d’un SSE élevé, le déclin lié à l’âge serait alors particulièrement difficile à vivre. Afin de continuer à « faire preuve de virilité » en dépit de leur SSE diminué, ils souligneraient un autre des attributs de la masculinité hégémonique, le dédain pour la santé, dont témoignerait leur moindre recours aux soins. On voit ainsi comment un statut social habituellement favorable à la santé (le SSE élevé) peut lui devenir défavorable au cours d’une trajectoire de vie masculine : l’âge élevé vient impulser une dissonance des statuts chez ces hommes de SSE élevé [9].

41Si le cas de figure des « configurations dissonantes » s’avère particulièrement éclairant pour comprendre les ISS, il reste relativement peu étudié dans les recherches qualitatives qui adoptent explicitement une perspective intersectionnelle en santé. Ces dernières portent en effet le plus souvent sur la santé de groupes qui cumulent des positions désavantagées – notamment celui des femmes, noires et pauvres (McGibbon et McPherson, 2011 ; Weber et Hilfinger Messias, 2012). Cette tendance peut certes se comprendre au regard des origines militantes du concept, rappelées en introduction – dévoiler les risques pour la santé associés à un statut majoritaire pourrait sembler de prime abord politiquement périlleux. Elle me paraît cependant sous-exploiter la notion de co-construction et, ce faisant, priver la recherche d’une compréhension plus nuancée des inégalités sociales.

42Du côté des recherches quantitatives en revanche, quelques auteurs se sont récemment engagés dans une critique de l’approche intersectionnelle présentée ci-dessus, qui réduit la co-construction des inégalités à une multiplication des pénalités et ne retient, dans ses analyses, que les positions homogènement « aux marges » (invisibilisant donc les combinaisons dissonantes). Il ne saurait être question ici de présenter, même succinctement, les riches débats en cours, tant méthodologiques que conceptuels [10]. Je voudrais simplement en mentionner quelques éléments qui témoignent de la façon dont la perspective intersectionnelle met au défi ces épidémiologistes de mieux modéliser la complexité du social. Certains de ces auteurs, se référant à la typologie de McCall [11], regrettent que les épidémiologistes adoptent le plus souvent une approche « inter-catégorielle », c’est-à-dire qui consiste à créer des groupes fixes d’individus et à en comparer la santé moyenne respective. Constatant en effet la fluidité des groupes et l’hétérogénéité des états de santé des individus qui y sont rassemblés, ils discutent de l’intérêt de l’approche « anti-catégorielle » de McCall en ce qu’elle s’émancipe des groupes pour envisager les individus comme des unités singulières. Ils reprochent en outre à l’approche intercatégorielle de mettre la focale sur les statuts sociaux, appréhendés comme des facteurs de risque individuels, plutôt que sur les rapports sociaux inégalitaires à l’œuvre dans la production des ISS et dont les statuts sociaux ne sont que des proxies (des marqueurs) [12]. Une approche anti-catégorielle aurait en outre l’avantage d’être cohérente avec l’approche éco-sociale qui situe les facteurs de risque individuels au sein d’un réseau complexe de rétroactions entre une multitude de niveaux, du sociétal au moléculaire. Les auteurs concernés proposent ainsi des approches méthodologiques innovantes, destinées à explorer non plus les facteurs de risque individuels mais les rapports sociaux. L’intersectionnalité, un concept né dans le cadre de luttes politiques, mobilisé sur le terrain juridique puis dans la recherche en sciences sociales, s’avère ainsi donner, depuis la fin de la décennie 2010, un appui substantiel à l’inflexion que connaît l’épidémiologie depuis les années 1990 et qui est présentée en première partie de cet article. C’est en effet avec la théorie des causes fondamentales et la théorie écosociale que les épidémiologistes ont commencé à délaisser l’étude des facteurs de risque individuels pour s’intéresser aux rapports structurels et aux inégalités de pouvoir.

43Au total, la perspective intersectionnelle s’avère étroitement complémentaire des courants théoriques qui ont marqué la recherche sur les ISS ces trente dernières années et offre une analyse renouvelée des résultats empiriques issus de cette dernière. Maints exemples cités ici ont, certes, démontré qu’il n’est nul besoin de se revendiquer d’une perspective intersectionnelle pour en adopter la démarche. Ils pourraient par conséquent prêter le flanc à une interrogation, classique, sur l’utilité de l’intersectionnalité : à quoi bon en parler si on en fait sans le savoir ? Ce serait ignorer combien l’existence-même du concept et sa mobilisation dans la littérature sont de salutaires rappels de la nécessité de ne pas se satisfaire de la mise au jour d’une vague « articulation » des rapports sociaux et de l’importance de traquer, dans cette dernière, la co-construction de ces rapports. Sans cette vigilance, que l’on pourrait certes attendre de tout chercheur mais à laquelle contraint l’intersectionnalité, nombre des effets inattendus que produisent les combinaisons dissonantes risquent bien, au mieux de rester dans l’ombre, au pire d’être perçus comme des validations d’interprétations réifiantes telles que, sur le terrain de la santé, le déterminisme génétique.

44Liens d’intérêts : l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

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Mots-clés éditeurs : intersectionnalité, statut socio-économique, inégalités sociales de santé, genre, race

Date de mise en ligne : 22/03/2021

https://doi.org/10.1684/sss.2021.0189

Notes

  • [1]
    Par « race », je désigne le résultat d’une catégorisation strictement sociale et aucunement naturelle, c’est-à-dire que les attributs sur lesquels elle se fonde n’ont de sens que dans une société donnée, à une époque donnée, et ce même si ces attributs sont physiques, tels que la couleur de peau ou la forme du faciès (Carde, 2011a).
  • [2]
    J’utilise les termes « majorité » et « minorité » en référence à des rapports de pouvoir et non à des rapports démographiques.
  • [3]
    Dans les publications citées dans cet article, le statut socio-économique est identifié par tantôt l’une de ces trois composantes, tantôt deux d’entre elles, tantôt les trois à la fois.
  • [4]
    Courtenay non plus ne qualifie pas sa démonstration d’intersectionnelle.
  • [5]
    Quand elle fait cette remarque à propos de l’intersectionnalité, Collins fait référence à un juge de la Cour Suprême des États-Unis qui, quand on lui a demandé de définir la pornographie, a répondu « Je sais que ça en est quand j’en vois » (« I know it when I see it ») (ma traduction).
  • [6]
    Identifié ici par le niveau d’éducation seulement.
  • [7]
    « We conclude that a dearth of attention to the intersection between all three of racial identity (Black or White), gender (female or male) and nativity (native-born or immigrant) in Canadian public health research may not be an overly important lacuna, as we failed to find conclusive evidence for an intersection of this kind for any of the five health indicators considered in this study ».
    (Patterson et Veenstra, 2016 : 283)
  • [8]
    Ce constat peut être rapproché de celui sur la différenciation genrée du rôle des liens sociaux sur la santé mentale. En effet, alors que les liens sociaux sont généralement protecteurs pour la santé mentale, ils peuvent s’avérer au contraire préjudiciables, et ce plus particulièrement chez les femmes (Kawachi et Berkman, 2001). Serait en cause la tendance de ces dernières à développer des liens plus intimes (les mettant plus à risque de souffrir des difficultés vécues par leurs proches, par un effet de « contagion du stress ») mais aussi à fournir plus de soutien à leurs proches (et à s’épuiser).
  • [9]
    À noter que, là aussi, le terme « intersectionnalité » est absent de l’article.
  • [10]
    La revue Social Sciences and Medicine se fait l’écho de ces débats en publiant nombre de ces articles (Evans, 2019 ; Green et al., 2017 ; Lizotte et al., 2020 ; Merlo, 2018 ; Richman et Zucker, 2019, parmi d’autres).
  • [11]
    McCall distingue trois approches de l’intersectionnalité : l’inter-catégorielle consiste à délimiter et comparer des groupes sociaux ; l’anti-catégorielle implique la critique et la déconstruction de ces catégories sociales ; enfin l’intra-catégorielle tend à « se concentrer sur des groupes sociaux particuliers à des points négligés d’intersection […] afin de révéler la complexité des expériences vécues au sein de ces groupes » (« focus on particular social groups at neglected points of intersection […] in order to reveal the complexity of lived experiences within such groups ») (ma traduction) (McCall, 2005 : 1774).
  • [12]
    Cette critique fait référence à la distinction classique, proposée par Rose, entre facteurs individuels et facteurs populationnels (Rose, 2001).

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