Couverture de SSS_404

Article de revue

Dossier. La pluridisciplinarité en santé : quel bilan ? Quelles perspectives ?

Pages 69 à 106

Notes

  • [1]
    Dans le cas qui nous occupe, cette asymétrie est assez étonnante, dans la mesure où, au-delà des déclarations des associations qui s’appuyaient sur les témoignages de leurs membres pour contester l’utilité de ces thérapies, NICE avait jugé bon de commanditer à des équipes de recherche des enquêtes auprès des patients.
  • [2]
    C’est l’objectif du projet GENDHI (Gender Health Inequalities), porté par Nathalie Bajos, Muriel Darmon, Michèle Kelly-Irving et Pierre-Yves Geoffard (Grant Agreement number: 856478 – ERC- 2019-SyG).
  • [3]
  • [4]
    Au sens du concept anglosaxon d’empowerment.
  • [5]
  • [6]
    Selon l’idée proposée avec Anne Véga et Laurent Marty au séminaire « Les sciences humaines et sociales face à l’interdisciplinarité dans les recherches en santé : pratiques, lieux, enjeux et perspectives », organisé en 2017 par des membres du réseau thématique santé de l’Association française de sociologie.
  • [7]
    Voir le séminaire « Citoyennetés académiques : slow science et recherche-action » animé par Marc Bessin, Isabelle Bourgeois, Véronique Bayer, Zoé Rollin et Pascale Haag à l’EHESS à partir de 2014.
  • [8]
    Parcours politiques de l’alimentation et gestion des risques sanitaires.
  • [9]
    Les produits chimiques en élevage, la gestion de la santé animale et des zoonoses, la sécurité sanitaire des aliments, le bien-être animal.
  • [10]
    En France, les écoles vétérinaires ne développent pas – encore – d’enseignement en sciences sociales.
  • [11]
    La zootechnie comme l’agronomie témoignent d’une histoire d’émancipation vis-à-vis d’un référentiel productiviste mis en œuvre dans l’élevage et l’agriculture, le développement du bien-être animal comme objet de recherche, etc.
  • [12]
    En témoigne la mise en place au sein de VetAgro Sup de l’Option d’Ingénieurs Agriculture Environnement Santé et Territoires de laquelle nous sommes parties prenantes.
  • [13]
    Un diplôme d’Établissement One Health en pratiques, un master international One Health, un cycle des hautes études en santé globale avec l’EHESP et AgroParisTech.
  • [14]
    « Estimation du coût réel, pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles », rapport par la commission instituée par l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, https://www.securite-sociale.fr, 30 juin 2021, p. 82.
  • [15]
    Les douze membres du GISCOP 84 sont : le Centre hospitalier d’Avignon, Avignon Université, l’EHESS, le ministère de l’Agriculture, la DREETS PACA, la Ligue contre le Cancer, l’AIST 84, l’association Phyto-Victimes, la CRIIRAD et le Grand Avignon – ainsi que l’ARS PACA et le Conseil régional PACA (membres invités).

1 Plan

2 Introduction (Comité de rédaction)

3 Participation et diversité des savoirs en santé

4 Sortir du piège du « patient expert » (M. Akrich)

5 La participation à la recherche biomédicale comme objet et horizon des sciences sociales (J. Barbot)

6 L’institutionnalisation des savoirs expérientiels : un processus en tension (B. Godrie)

7 Genre et santé

8 Genre et santé : quelle histoire, quelle actualité ? (D. Gardey)

9 Genre et santé : changer de paradigme ? (N. Bajos)

10 Médecin et sociologue : mener la lutte d’indépendance… contre soi-même (M. Gelly)

11 Épidémies, épidémiologie

12 Une piste viro-immunologique pour dépasser le cadre temporel et disciplinaire des épidémies (A. Desclaux)

13 Des épidémies à l’aune des sciences sociales (G. Girard)

14 Transformer la Tour de Babel en abbaye de Thélème (T. Lang)

15 Santé publique et promotion de la santé

16 L’importance de la pluridisciplinarité en promotion de la santé (F. Beck)

17 Recherche en promotion de la santé : une nécessaire hybridation disciplinaire (L. Cambon)

18 Développer le travail d’articulation des disciplines dans la recherche en santé publique (C. Fournier)

19 Santé environnementale – One Health

20 Santé environnementale : pour l’humilité scientifique et l’ambition sociale (B. Laurent)

21 One Health, une stratégie d’établissement, un dialogue (inter)disciplinaire, un parti pris méthodologique (S. Gardon et A. Gautier)

22 La pluriprofessionnalité comme ancrage dans le réel des cancers professionnels (M. Hunsmann et al.)

Introduction

23 Le comité de rédaction

24 La pluridisciplinarité est au fondement de Sciences Sociales et Santé. L’idée de publier des « commentaires », en regard d’articles, avait par exemple pour objectif de montrer ce qu’un regard disciplinaire différent pouvait apporter à des questions ou à des terrains proches. L’analyse des articles publiés dans la revue par Pascale Bourret, Patrick Castel et Jean-Philippe Cointet, qui précède ce dossier, montre que ce projet pluridisciplinaire continue d’être une réalité, quarante ans plus tard, même si les disciplines les plus représentées ont évolué au cours du temps.

25 L’interview des quatre fondatrices et fondateurs de la revue, au début de ce numéro, a permis de saisir dans quel contexte scientifique et institutionnel ce projet s’est concrétisé. Depuis 1982, ce contexte a bien changé. Sans prétendre à l’exhaustivité, car la comparaison des deux périodes mériterait une recherche approfondie, nous pouvons nous risquer à identifier quelques changements saillants.

26 D’abord, alors que les fondatrices et fondateurs décrivent un petit milieu de chercheurs en sciences sociales qui travaillaient sur les questions de santé, ce nombre a considérablement augmenté. En conséquence, les questions de santé abordées par les sciences sociales et les occasions de contact avec les sciences biologiques et médicales se sont multipliées.

27 Autre trait distinctif : la revue fut créée à un moment où la médecine était encore dominante et une partie des sciences sociales cherchait à s’émanciper de sa tutelle ; il s’agissait par exemple de proposer une « sociologie de la médecine » par opposition à une « sociologie dans la médecine » (Straus, 1957). Quarante ans plus tard, la médecine, quoique centrale, n’est plus aussi dominante dans l’organisation des soins et de la recherche en santé. Entre autres, il faut bien sûr mentionner l’importance que les patients et les groupes de patients ont prise dans le système de santé depuis l’épidémie de sida. Ceux-ci, ainsi que d’autres professionnels, comme le management hospitalier, par exemple, ont constitué de nouveaux objets ou partenaires de recherche pour les sciences sociales. Plus généralement, ces bouleversements ont complexifié les rapports entre sciences médicales et sciences sociales, qui ne sont plus réductibles à la célèbre opposition de Robert Straus (Annandale et al., 2013).

28 Un troisième changement concerne la place que les institutions de la santé accordent désormais aux sciences sociales. Le financement sur projet n’était pas absent au moment de la création de la revue, bien au contraire, et celui-ci a contribué à structurer le milieu de la recherche et les objets investigués, comme ont pu en témoigner Martine Bungener, Sébastien Darbon, Marcel Goldberg et Janine Pierret dans leur interview. Néanmoins, depuis les années 1980, le financement sur projet s’est amplifié dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, et tout particulièrement dans le domaine de la santé. Or, entre autres conséquences, les opérateurs qui financent les recherches incitent à la constitution de projets pluridisciplinaires… quand ce n’est pas une condition sine qua non pour répondre aux appels d’offres. Dans la même veine, la plupart des agences sanitaires et autres organismes d’expertise tentent de diversifier les formes de savoir dans leurs groupes de travail et comités, de sorte que les sciences humaines et sociales y sont régulièrement invitées.

29 Ajoutons enfin que certains domaines récents de recherche en santé (ceux relatifs à One Health par exemple) semblent accorder d’emblée une place aux sciences humaines et sociales.

30 Pour approfondir la réflexion au-delà de ces considérations générales et initier un débat, nous avons demandé à des collègues d’exposer leur point de vue, informé et situé, sur l’état, les perspectives et les défis de la pluridisciplinarité dans leur domaine de recherche et d’expertise en santé : Quelles évolutions ? Quelles expériences ? Quels enjeux ? Quelles sont les vertus de la démarche pluridisciplinaire ? Quelles sont ses principales difficultés ? Pour favoriser la confrontation des points de vue, nous avons retenu cinq thèmes d’actualité dans la recherche en santé (et dans les politiques de santé aussi) : participation et diversité des savoirs en santé ; genre et santé ; épidémies et épidémiologie ; santé publique et promotion de la santé ; santé environnementale/One Health.

31 Notre commande n’était pas facile car nous leur avons demandé d’écrire un texte dans un format resserré, afin de pouvoir multiplier les angles d’approche. Qu’ils et elles en soient ici remerciés.

Participation et diversité des savoirs en santé

Sortir du piège du « patient expert »

32 Madeleine Akrich (sociologue)

33 Depuis près de trente ans, les chercheurs en sciences sociales ont largement décrit, accompagné et conceptualisé le mouvement d’empowerment des malades, patients et usagers de la santé. Ils ont aidé à la reconnaissance des compétences et de l’expertise des associations et ont favorisé la diffusion horizontale de leurs pratiques.

34 Les relations avec les médecins et les institutions médicales se sont trouvées modifiées par cette évolution : la loi Kouchner de 2002 a consacré la participation des associations à la gouvernance de la santé et, ces dernières années, la notion de « patient expert » a connu un succès grandissant. S’il s’agit de progrès indéniables qui nous éloignent du paternalisme médical, la reconnaissance d’une forme d’expertise des patients ne va pas sans malentendu ni effet pervers.

35 L’exemple d’une controverse britannique récente sur des recommandations publiées par le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) portant sur le diagnostic et la prise en charge du syndrome de fatigue chronique permettra d’illustrer ce point. Quelques semaines avant la publication de ces recommandations, trois médecins ont démissionné du groupe d’experts : ils étaient en désaccord avec les conclusions du groupe qui a estimé que certains traitements – la thérapie d’exercices gradués, la thérapie cognitivo-comportementale – approuvés dans les précédentes recommandations de 2007 n’avaient pas fait la preuve de leur efficacité. Dans l’affaire, le BMJ, qui a pourtant lancé dès 2013 sa Patient Revolution (Richards et al., 2013), épouse dans son compte rendu les vues des démissionnaires : ces recommandations auraient privilégié les opinions (views) des patients – jugés sur-représentés dans le groupe (5 sur 21 membres au lieu de 2 habituellement) – au détriment des preuves (evidence) scientifiques (Torjesen, 2021).

36 Cette interprétation est à mon sens liée à l’ambiguïté qui règne autour de la notion d’expertise basée sur l’expérience utilisée à propos des patients : elle sert à la fois à désigner la connaissance qu’une personne peut tirer de sa propre expérience et la connaissance qu’un collectif comme une association peut construire à partir de la confrontation d’une multitude d’expériences individuelles. Comme on le voit, cette confusion est le support d’une asymétrie de traitement entre l’expertise profane, projetée sur une dimension individuelle et subjective, et les preuves scientifiques dont l’objectivité ne peut être discutée [1].

37 Elle est aussi une manière commode de répartir les rôles : la science doit être laissée aux gens compétents, les chercheurs et les médecins, le patient expert apportant des ajustements à la marge tant sur les protocoles de recherche que sur le choix ou l’administration des traitements et jouant un rôle de facilitateur entre le monde médical et celui des malades.

38 Dans le cas qui nous occupe pourtant, les associations se revendiquent, tout autant que leurs détracteurs, d’une expertise savante : elles ne se contentent pas d’analyser la littérature existante, mais financent de nombreux projets de recherche et regrettent que les recommandations de 2007 aient entravé la recherche qu’elles jugent pertinente sur la maladie. Comme cela a été montré par un certain nombre de travaux, cette capacité à articuler expérience des patients et connaissances médicales est une spécificité de leur apport, bien différent de celui d’un individu patient, fût-il « expert ».

39 Ce message ne paraît cependant pas avoir été suffisamment entendu. Si les professionnels semblent prêts à accepter une participation des patients sur la base d’une expertise complémentaire à la leur, la fraction de ceux qui admettent que cette participation puisse s’étendre à la recherche et notamment à la formulation des questions à traiter ou à l’analyse critique de ses résultats est plus limitée. Sans doute, pour nombre de chercheurs, cette revendication apparaît comme une mise en cause de la légitimité de leurs motivations ; de surcroît, accepter l’intrusion de patients dans leur monde constituerait de leur point de vue à la fois une restriction de la liberté académique et une entorse à la bonne pratique scientifique. Bien qu’exprimée par de nombreux auteurs, l’idée selon laquelle toute connaissance est située dans le sens où elle procède à un moment donné d’un point de vue sur le monde reste globalement peu partagée. Son assimilation à une position relativiste contre laquelle, entre autres, Donna Haraway s’est battue y est sans doute pour quelque chose.

40 Cela nous renvoie à nos propres engagements et nos propres pratiques : comment, en ces temps troublés où les non-spécialistes sont constamment suspectés d’alimenter la machine à fake news, nouer un dialogue avec le monde de la médecine et de la recherche médicale sur ces questions et éviter que le piège du « patient expert » ne referme les espaces ouverts précédemment par l’activité des militants et des chercheurs en sciences sociales ? C’est sans doute un chantier pour les prochaines années.

La participation à la recherche biomédicale comme objet et horizon des sciences sociales

41 Janine Barbot (sociologue)

42 On a assisté dans les années 1990 à une transformation du rapport des associations à la recherche biomédicale. Des travaux de sciences sociales ont, au carrefour des STS (Science and Technology Studies) et de la sociologie des mobilisations collectives, fait de l’intrusion des malades dans la construction des connaissances scientifiques, un objet de recherche. Il s’agissait de comprendre le sens que les malades et leurs proches donnaient aux problèmes auxquels ils étaient confrontés et d’étudier leurs manières d’y faire face : en mobilisant les médias, par des actions de protestation ou des collectes de fonds, en contestant ou en participant aux dispositifs existants, en en inventant de nouveaux. Dans le cas des maladies rares, ces travaux ont montré l’accumulation primitive des connaissances entreprise par des familles qui ont recensé les malades, comparé l’évolution de leurs symptômes, mobilisé des chercheurs autour de ces pathologies ignorées ou délaissées. Ils ont montré comment, avec le Téléthon, l’Association française de lutte contre les myopathies (AFM) a pu piloter de grands programmes de recherche, enrôlant une diversité d’acteurs, publics et privés (Rabeharisoa et Callon, 1999). Dans le cas du sida, qui a suscité, au contraire, une implication plus rapide des chercheurs, j’ai étudié la confrontation des malades au gold standard des essais contrôlés (en double-aveugle, avec placebo) et aux modalités d’évaluation des traitements. Bien que validés par une éthique procédurale, les associations ont jugé ces essais incapables de répondre à l’urgence des malades et de leur donner une information claire (Barbot, 2002). Les militants ont produit une critique circonstanciée des manières de faire de la science, d’être éthique. Défiants à l’égard d’un monde médical, qui avait pu considérer l’homosexualité comme une pathologie, ils ont été vigilants vis-à-vis d’énoncés qui, se prévalant de la science, incorporent des jugements moraux, stigmatisent des personnes. Des controverses ont opposé ces associations à d’autres acteurs, mais aussi des associations entre elles, donnant lieu à des alliances inédites. Il s’agissait de décrypter l’élaboration progressive d’un horizon d’action commun entre des associations porteuses d’une pluralité de formes d’engagement et de saisir les modes d’intégration et d’exclusion que cette entrée dans la modernité thérapeutique participative produit (Dodier, 2003).

43 On a assisté ensuite, avec la loi Kouchner du 4 mars 2002, à l’institutionnalisation de la participation des usagers dans le système de santé et à la reconnaissance de nouveaux droits individuels des patients. La participation aux instances de régulation est devenue un bien en soi. Des tensions persistent, quand il s’agit par exemple de choisir « un » représentant des usagers, entre des conceptions variées de la consistance et de la légitimité de ce rôle. On a assisté conjointement à la diffusion d’une nouvelle référence normative dans la recherche biomédicale, au-delà des expériences du VIH ou des maladies rares, les plus documentées. Les sciences sociales ont contribué à construire l’horizon d’une science désenclavée, en captant par différentes notions le passage d’un ancien modèle (de délégation des malades aux experts attitrés) à un nouveau modèle (d’activisme thérapeutique, de partenariat, ou de co-construction des connaissances). En 2003, l’INSERM a renforcé la place des associations en son sein, en s’appuyant sur ces travaux et sur le mouvement naissant des sciences citoyennes. L’approche a été processuelle, avec la création d’un Groupe de Réflexion pour, puis avec les Associations de Malades (GRAM) et l’élaboration de nouveaux dispositifs (formations, comité de relecteurs des protocoles d’essais, etc.). Initiée par le GRAM, l’enquête CAIRNET, publiée en 2014, a sondé les chercheurs sur les freins et les opportunités du partenariat associatif. Les avis ont été divergents entre chercheurs engagés (une faible part) ou pragmatiques et une courte majorité de réticents ou de distants – profils associés à des générations, à des statuts, et à des conditions de travail différentes (Bungener et al., 2014).

44 Enfin, on a assisté, plus récemment, à la montée d’une procéduralisation de la participation dans la recherche, avec des dispositifs incitatifs, voire prescriptifs, variés : des appels d’offres où la participation devient une condition de recevabilité des projets, des guides de bonnes pratiques qui spécifient les ingrédients à intégrer dans une recherche participative protocolisée : « co »-définition de l’objet, « co »-partage des données d’enquête, « co »-signature d’articles, etc. Dans les débats, différents arguments sont mobilisés, tant pour critiquer que pour soutenir ce nouveau pas – de l’efficience (opérationnalité, faisabilité, acceptabilité de la recherche) à la lutte contre les inégalités et les injustices épistémiques. S’agissant d’évaluer les expériences en cours, des acteurs s’attachent à séparer le bon grain de l’ivraie, à disputer les termes les plus ajustés pour qualifier les relations qui s’y nouent (faut-il parler de « co-chercheurs », de « parties prenantes », etc.). L’intérêt des sciences sociales pour le fait participatif dans la recherche biomédicale devrait s’en trouver renforcé, pour saisir comment évoluent les pratiques et la carte des acteurs en présence, leurs intérêts et leurs manières d’évaluer ce nouveau moment de la modernité thérapeutique participative.

L’institutionnalisation des savoirs expérientiels : un processus en tension

45 Baptiste Godrie (sociologue)

46 Le terme de savoir expérientiel s’impose souvent comme une évidence non questionnée alors qu’il recouvre des définitions et des usages hétérogènes. Cette polysémie lui confère sa richesse, mais elle est aussi susceptible d’en brouiller le sens en l’associant tour à tour ou indifféremment à l’expérience, au témoignage ou aux savoirs issus du vécu des personnes. Or, toute expérience n’est pas savoir, et la conversion épistémologique de l’expérience en savoir expérientiel repose sur une multitude de processus sociaux qui lui donne une robustesse, c’est-à-dire une certaine fiabilité et efficacité pour les personnes concernées.

47 La volonté d’intégration des savoirs expérientiels au fonctionnement de certaines institutions de santé et de services sociaux est relativement nouvelle au regard de l’histoire des mouvements sociaux. Ce processus d’institutionnalisation des savoirs expérientiels contribue à leur reconnaissance et à l’amélioration des soins et services offerts aux usagers. Par exemple, la présence d’intervenants pairs-aidants dans les institutions de santé et de services sociaux peut favoriser une meilleure prise en compte de la parole des usagers accompagnés, soit en contribuant à aider leurs collègues soignants à ajuster leurs interventions aux réalités vécues par les usagers, soit en aidant les usagers à mieux se faire comprendre des professionnels.

48 Mais les enjeux de pouvoir entre soignants et la hiérarchisation des savoirs sont cependant susceptibles de neutraliser l’apport de ces savoirs. Tout d’abord, les savoirs expérientiels sont plus souvent invisibilisés que d’autres types de savoirs. De fait, malgré plusieurs initiatives de mouvements sociaux ou d’institutions pour les recenser et les systématiser – tels que des guides et des outils pour améliorer la qualité de vie des personnes concernées –, ils demeurent par définition des savoirs locaux orientés vers l’action ici et maintenant.

49 Plusieurs travaux soulignent également, dans le cas des institutions de santé, que les savoirs expérientiels les plus couramment reconnus sont ceux des patients appartenant à des classes moyennes et supérieures et socialisés au langage des professionnels et aux savoirs médicaux (Blume, 2017). Les patients à qui le personnel des institutions de santé reconnaît des savoirs expérientiels sont ceux qui parviennent à donner à leurs savoirs un haut degré d’abstraction et à faire des ponts entre leurs savoirs expérientiels et d’autres types de savoirs identifiés comme des savoirs cliniques et scientifiques, ce qui a pour effet de mettre de côté les savoirs expérientiels des groupes sociaux les plus marginalisés ou ayant, par exemple, des problèmes de santé moins courants (Pols, 2014). Conséquemment, les savoirs expérientiels qui sont institutionnalisés dans des référentiels de compétences des patients pour mieux gérer leurs problèmes de santé peuvent ne pas être pertinents pour tout le monde ou être identifiés par seulement une partie des patients.

50 En outre, les personnes ne possèdent pas toutes les mêmes compétences et le contexte favorable pour mobiliser et faire reconnaître leurs savoirs expérientiels comme légitimes. Un obstacle majeur à cette reconnaissance est extérieur aux savoirs et réside dans un ensemble de hiérarchies sociales qui finissent par produire des hiérarchies de savoirs. Une personne qui n’a pas de diplôme, par exemple, et qui a vécu des expériences stigmatisantes comme la vie dans la rue peut facilement se faire signifier par des professionnels que les savoirs expérientiels qu’elle a acquis durant son parcours ne sont « rien de plus que son expérience » et n’ont aucune valeur. Ces savoirs expérientiels ont d’autant plus de difficultés à être légitimés qu’ils sont issus d’expériences rares ou méconnues socialement. Il en ressort que la hiérarchisation des savoirs dépend autant de leur contenu que des hiérarchies sociales dans lesquelles sont pris les individus qui les produisent : plus un contenu s’éloigne des normes sociales ou professionnelles et plus il aura du mal à être légitimé.

51 L’institutionnalisation des savoirs expérientiels peut également être analysée comme un processus extractiviste, c’est-à-dire dans lequel les savoirs expérientiels sont décontextualisés des écosystèmes complexes dans lesquels ils sont énoncés et élaborés, pour être mis en forme et incorporés dans d’autres contextes. Ils peuvent alors être mobilisés au service de finalités éloignées, voire contraires à celles qui président à leur énonciation et leurs contextes de production (Godrie, 2021). Pour prendre un exemple dans le champ de la santé mentale, des espaces entre pairs de partage de savoirs expérientiels relatifs aux alternatives à la médication ouverts en milieu associatif pour réduire la dépendance envers les professionnels de la santé sont également introduits au sein du milieu hospitalier sous la supervision de professionnels de la santé dans une optique de favoriser l’adhésion au traitement.

52 Un dernier point d’attention concernant l’institutionnalisation des savoirs est celui des statuts socio-économiques accordés aux personnes détentrices de ces savoirs. Bien souvent, ces personnes sont bénévoles ou dans des formes précaires d’emploi au sein de ces institutions. Or, les payer permet de soutenir le partage de leurs savoirs et, possiblement, d’augmenter la portée de la reconnaissance de ces savoirs. Cet enjeu soulève ici un débat sur la valeur et la reconnaissance financière de ces savoirs : comment fixer une juste rémunération des personnes si le critère retenu n’est pas le diplôme ou la qualification professionnelle ?

53 Genre et santé

Genre et santé : quelle histoire, quelle actualité ?

54 Delphine Gardey (Historienne et sociologue)

55 Le genre a longtemps été à la santé une variable négligée. Le corps du malade, défini comme universel par une science médicale nouvelle, ne pouvait souffrir quelconque singularité – tout au moins se plaisait-on à le croire. La question ne méritait donc pas qu’on s’y attarde – les femmes étant en matière médicale comme dans de nombreux autres domaines des hommes comme les autres. Vraiment ? Partout, pourtant, le genre opère et a opéré dans les questions ayant trait à la maladie, sa définition, sa prise en charge, sa représentation. La scène médicale elle-même a une histoire profondément genrée : la figure contemporaine du médecin, celle qui émerge au début du 19e siècle et dont le savoir s’appuie sur l’observation clinique du corps et des compétences empiriques et expérimentales croissantes, est bien celle d’un homme perçant les mystères d’une nature dont les traits sont immanquablement féminins. On doit à Carolyn Merchant et Ludmilla Jordanova, les premières investigations sur cette réalité : l’affirmation de l’entreprise scientifique moderne comme une entreprise masculine d’emprise et de domination de la nature.

56 Site de ‘la’ différence (de genre) et de la sexualité, comme l’ont montré Geneviève Fraisse et Thomas Laqueur, le corps féminin est un objet de prédilection des savoirs médicaux et a occasionné l’émergence de plusieurs spécialités. Les médecins du 18e siècle se réfèrent aux traités hippocratiques et en particulier au traité des Maladies des femmes qui place la différence des femmes dans leur chair, « spongieuse », qui tend à absorber les fluides. Ainsi qualifiées, les femmes sont des êtres « poreux », perméables aux influences extérieures. L’utérus, fonde plus particulièrement la différence et la pathologie féminine. Les femmes sont sous l’influence de leur sexe et « naturellement » plus malades que les hommes. De l’Antiquité jusqu’à l’âge classique, le corps des femmes est le paradigme du corps malade et la maternité sert alors de mesure de santé du corps féminin. Or, dès la fin du xvie siècle, les signes s’inversent et la maternité se fait aussi maladie. La santé devient attribut masculin. Alors que les questions de population deviennent centrales au xviiie siècle pour la définition de la prospérité des nations, l’accent est mis sur la procréation et sur la santé du corps maternel (qui renvoie au corps de la Nation). Les connaissances et l’attention médicales s’abattent sur le corps (sexué et reproducteur) des femmes qui devient un véritable enjeu de savoir/pouvoir, en raison de l’importance prise par la fonction sociale de la reproduction.

57 Devant un façonnement de si long terme : quelle attention à la santé des femmes qui ne soit caricaturale ? Comment penser une prise en charge conséquente qui ne soit limitée à la seule focalisation sur leurs organes sexués et reproducteurs ? Et qu’en est-il alors du défaut de prise en charge des maladies génitales des hommes ? Une question à laquelle la thèse toute fraîchement soutenue de Camille Bajeux (2022) apporte enfin des réponses substantielles.

58 La question peut alors être reprise : si le corps sain, malade, référent, est à ce point questionnable, si la maladie, le normal et le pathologique, doivent toujours être pensés dans leurs cultures et leurs contextes techniques et scientifiques, comment reprendre le fil de la question de ce qui articule « genre » et « médecine », « genre » et « santé » ? Qu’en est-il des dimensions sociales et genrées des étiologies ? Comment les critères spécifiés ou universalisant (sur le modèle du corps mâle) contribuent-ils à effacer ou valoriser certains diagnostics, maladies, prises en charge et traitements ? Longue a été la prise de conscience de l’importance de ces questions comme questions de recherche pour les sciences médicales et pour les sciences sociales. Le travail personnel et collectif initié par Londa Schiebinger sur le sexe en biomédecine et les questions liant genre, santé et médecine est, à cet égard, sans équivalent. Comme les études de cas développées par son équipe le montrent, la santé des unes et des autres est impactée différemment suivant des critères sociaux et bio-sociaux qui ont longtemps été négligés : prévalence de certaines affections dans certains groupes professionnels eux-mêmes hautement ségrégés du point de vue du genre ; risques et exposition différenciées à certains risques ; tableau pathologique ou évolution différente de certaines maladies en fonction de l’âge et du genre. D’un bout à l’autre de la chaîne qui va de la recherche biomédicale à la clinique et la santé, les questions et les chantiers se multiplient… Une relève active investigue enfin, et aussi en langue française, les dimensions multiples et toujours à qualifier de ces états genrés de la santé. On attend avec impatience la thèse d’Anne-Charlotte Millepied sur l’endométriose – l’une de ces affections féminines longtemps sous-diagnostiquée et toujours pas (ou peu) reconnue comme maladie chronique.

59 On n’a donc pas fini de questionner les limites du corps, du sexe et du genre et les façons dont les identités sont façonnées et renégociées via les technologies biomédicales, dont les frontières du corps, du sexe et de la vie sont redéfinies dans le frayage avec les technologies. Ces transformations interrogent les normes et les valeurs que nous souhaitons défendre pour le futur, qu’il s’agisse de penser les limites de la gestation pour autrui, le don ou la vente d’organes, les modalités multiples d’enhancement corporel ou de commodification de soi. Ainsi, s’il est désormais commun de constater l’importance prise par les questions médicales dans nombre d’aspects de nos vies sociales, à l’évidence un nouveau mode de « gouvernement des corps » s’est mis en place, et les questions du « corps », de la « santé » et de la « vie » ont pris une place croissante dans le « gouvernement des affaires humaines ». Par ailleurs, de nouvelles subjectivités sociales et de genre, de même que l’expérience de ce qui définit la vie ou la survie du sujet ont été redéfinis ou sont définis et conditionnés par les ressources biomédicales… On le voit, impossible dans ce contexte, d’oublier le genre.

Genre et santé : changer de paradigme ?

60 Nathalie Bajos (sociologue-démographe)

61 Dans la plupart des pays européens, malgré une couverture médicale universelle, les inégalités sociales de santé restent toujours marquées et ont même augmenté au cours de ces dernières décennies dans certains pays. Elles sont la manifestation d’une structure hiérarchisée de la société qui s’exprime dans les corps.

62 Les données démographiques montrent clairement un bénéfice pour les femmes en matière d’espérance de vie dans tous les pays. Il pourrait donc paraître contre-intuitif de centrer l’analyse des inégalités de santé sur les différences entre femmes et hommes. De fait, les inégalités de santé au prisme du genre, défini comme un rapport social de bi-catégorisation hiérarchique entre les sexes et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées, restent encore peu explorées en sciences sociales, en particulier en France, à quelques exceptions notables comme la santé sexuelle et reproductive et les recherches portant sur le care. Le numéro spécial « Genre et santé » de la revue Sciences Sociales et Santé paru en 2004 (Bonnet et Paicheler, 2004) présentait ainsi exclusivement des articles abordant des questions de santé sexuelle et reproductive.

63 Plusieurs éléments invitent pourtant à interroger cet « avantage féminin », qui apparaît contraire à ce que l’on observe dans les autres sphères sociales comme le travail, la politique ou la prise en charge des tâches domestiques. Les écarts entre les sexes sont plus marqués que ceux entre les extrémités de la hiérarchie sociale : les femmes ouvrières ont une espérance de vie à trente-cinq ans supérieure à celle des hommes cadres (49 ans contre 47 ans). Une autre spécificité des indicateurs de santé atteste de l’importance des conditions genrées de la socialisation et des conditions de travail : l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre les deux sexes est plus marqué dans les groupes sociaux situés en bas de l’espace social que dans ceux qui occupent les positions les plus favorisées (4,3 ans pour les cadres et 7,7 ans pour les ouvriers). Enfin, l’écart entre les sexes varie selon les indicateurs retenus : il apparaît ainsi moins marqué quand on considère l’espérance de vie dite sans incapacité que lorsque l’on retient l’espérance de vie dite globale. Et il varie également selon les pathologies, allant jusqu’à s’inverser pour certaines. Les femmes sont, par exemple, moins à risque de connaître un épisode d’infarctus du myocarde, mais elles risquent davantage que les hommes de décéder des suites de cette pathologie. À l’inverse, les hommes sont moins bien diagnostiqués en cas d’épisode dépressif que les femmes faisant face au même type de difficultés.

64 Ces différents éléments attestent de la complexité des processus sociaux qui contribuent à fabriquer les inégalités de santé et invitent d’emblée à ne pas circonscrire l’analyse à la seule prise en compte des rapports de genre.

65 La littérature internationale revendiquant une approche « Genre et santé » connaît pourtant une croissance quasi-exponentielle ces dernières années. Mais la plupart des recherches restent très descriptives. Le « genre » n’est pas toujours problématisé, loin s’en faut, et souvent réduit à une différence statistique entre les femmes et les hommes qui trouverait son origine dans des facteurs biologiques. Tout en reconnaissant l’existence de spécificités biologiques sexuées, quelques auteurs et autrices proposent d’appréhender les différences entre femmes et hommes comme résultant d’une interaction complexe entre sexe et genre. Cette interaction reste toutefois souvent pensée comme un lien causal du biologique vers le social, sans toujours prendre en compte les conditions sociales qui déterminent dès le plus jeune âge l’exposition à certains facteurs de risque via les processus « d’embodiment ». De même, les pratiques genrées des professionnels et professionnelles de santé sont rarement interrogées.

66 Quant aux recherches qui interrogent les inégalités sociales de santé selon l’appartenance de classe, trop souvent appréhendée par la profession sommairement caractérisée, elles sont loin d’interroger systématiquement le caractère genré de ces inégalités.

67 Enfin, les inégalités liées à l’appartenance ethno-raciale, lorsqu’elles sont considérées, sont souvent attribuées uniquement à des spécificités culturelles et rarement pensées en tant qu’effets des processus de racialisation qui induisent des conditions de vie précaires et des difficultés d’accès au système de soins. En France, elles sont très peu documentées en raison de la rareté des données permettant de caractériser l’appartenance ethnoraciale, alors que la loi l’autorise dans le cadre de recherches scientifiques, si les données sont anonymisées. Pouvoir appréhender les rapports sociaux de « race » dans l’analyse des inégalités de santé est un enjeu scientifique primordial, comme le montrent nombre de recherches internationales et notamment les recherches les plus récentes sur l’épidémie de Covid-19.

68 Au cours de ces dernières années, dans la lignée des travaux pionniers de Danièle Kergoat (1982), les travaux de recherche qui interrogent la manière dont les rapports de classe et de genre se co-construisent à travers des mécanismes d’assignation et de reproduction, et déterminent les pratiques sociales et de santé, se sont multipliés en France même s’ils restent encore peu nombreux (Carde 2021). La perspective dite intersectionnelle, qui appréhende la co-construction des rapports de genre, de classe, mais aussi de « race », voire d’autres rapports sociaux de pouvoir (Collins 2015), paraît particulièrement heuristique pour traiter de la thématique « Genre et santé », au risque d’une essentialisation d’une soi-disant spécificité de la santé des femmes [2].

Médecin et sociologue : mener la lutte d’indépendance… contre soi

69 Maud Gelly (médecin et sociologue)

70 Dans le monde de la recherche, la pluridisciplinarité suppose un collectif de travail, et il est toujours suspect de prétendre l’incarner à l’échelle d’une seule personne. Médecin devenue sociologue, sociologue restée médecin, je suis donc particulièrement mal placée pour écrire sur la pluridisciplinarité en santé, et notamment sur les rapports entre les disciplines des sciences humaines et sociales et les disciplines médicales. J’aurais même probablement refusé d’écrire ce texte, si la commande ne venait d’une revue qui, précisément, fait partie des passerelles dont la fréquentation régulière m’a aidée à mener la lutte d’indépendance contre ma formation professionnelle initiale. Car c’est bien de lutte qu’il s’agit, à chaque étape.

71 Comme d’autres médecins, hommes ou femmes devenues sociologues (Pinell, 2021 ; Fournier et Girard, 2021), j’ai traversé les études de médecine avec le sentiment d’un désajustement profond, et je viens d’un espace dominé du champ médical. Être médecin généraliste en centre d’IVG, c’est occuper une position marginale dans le champ médical. C’est aussi exercer une activité qui a été imposée aux médecins – qui, majoritairement, n’en voulaient pas – par l’État, et ce sous la pression du mouvement féministe. Militante féministe (socialisée dans le courant « lutte de classes », disait-on encore à la fin des années 1990) avant d’être médecin, il m’a semblé tout à fait honorable et politiquement cohérent de devenir avorteuse en banlieue rouge. Ce que je ne savais pas, et que j’ai rapidement découvert avec bonheur, c’est que cette position marginale dans le champ médical et ma socialisation militante me donnaient des armes précieuses pour identifier, dans le monde de l’avortement, des groupes alliés et adversaires ; autrement dit – avec un lexique sociologique que j’ignorais alors – pour les situer dans le champ médical et comprendre leurs rapports avec le champ du pouvoir et avec le champ militant. Erreur scientifique, bien sûr (« tout le monde est bon sociologue spontané des autres » (Bourdieu, 2022 : 116)), mais erreur féconde puisque c’est elle qui m’a plongée, avec délices mais d’abord sans méthode, dans une littérature sociologique abondante puis dans un master et une thèse de sociologie, avec l’obsession cette fois méthodique de conjurer la figure du médecin qui, pour avoir lu et fréquenté d’autres disciplines, se prétend aussi historien, ou philosophe, ou anthropologue de la sienne.

72 Autant dire que cette double socialisation professionnelle ruine ma légitimité à articuler un discours théorique ou de portée générale sur la pluridisciplinarité en santé. En revanche, elle confronte à des questions pratiques qui se posent, au cours de chaque recherche, à tout collectif de recherche associant sciences sociales et médicales.

73 Une question se pose dès l’entrée sur le terrain : faut-il dire ou taire la formation médicale de l’un ou l’une des membres du collectif de recherche ? Après avoir longtemps cherché en vain des réponses définitives auprès d’autres chercheuses et chercheurs ou dans des carnets de terrain, j’ai opté pour l’opportunisme, c’est-à-dire pour des choix diamétralement opposés selon les besoins de quatre enquêtes successives : dire (dans le cas de ma recherche doctorale sur le dépistage du sida) si c’est le seul moyen d’accéder à l’observation d’activités que le secret médical tient à l’abri des regards ; taire (dans le cas d’une enquête collective sur les droits sexuels des femmes migrantes) si les personnes enquêtées sont usagères des services de santé ; dire (dans le cas d’une enquête auprès de sages-femmes et médecins de cliniques privées) si les personnes enquêtées se méfient de ce qu’elles perçoivent comme une forme d’évaluation de leurs pratiques ; taire (dans le cadre d’une enquête auprès de l’ensemble des catégories professionnelles d’un hôpital submergé par le Covid) si la compréhension de la langue des indigènes les porte à occulter ce qui va sans dire.

74 Une autre question, cruciale, parcourt chaque étape de la recherche, de l’élaboration du projet aux publications : si la recherche pluridisciplinaire est possible, la construction de l’objet de recherche peut-elle associer plusieurs disciplines ? Autrement dit, comment rédiger un projet de recherche collective qui réponde aux intérêts scientifiques de chacune des disciplines impliquées ? L’expérience des recherches sur les pandémies de sida et de Covid montre que les enjeux de financement sont tels qu’ils tendent à réduire les sciences sociales au rôle d’auxiliaire de la santé publique. Dès lors, mieux vaut savoir tenir les disciplines médicales en respect, par exemple en préservant des espaces au sein desquels les sociologues définissent leurs propres questions de recherche et construisent un objet de recherche qui fasse avancer leur discipline, en faisant des enjeux de santé une question de sociologie générale. Dans cette lutte d’indépendance, il arrive qu’il y ait des médecins qui œuvrent à la défaite de l’impérialisme de leur discipline d’origine.

Épidémies, épidémiologie

Une piste viro-immunologique pour dépasser le cadre temporel et disciplinaire des épidémies

75 Alice Desclaux (anthropologue)

76 En tant qu’évènements, les épidémies imposent un cadre temporel aux études interdisciplinaires qui associent de manières désormais très diverses les sciences sociales et la santé publique (comprise comme discipline scientifique et comme forme de gouvernement de la santé). L’emblématique épidémie d’Ebola de 2014-2016 et la pandémie de Covid en cours ont été abordées en premier lieu comme des urgences imposant aux chercheurs de toutes disciplines exceptionnalisme, engagement, rapidité d’analyse et d’intervention, malgré les obstacles liés au contexte de transmission.

77 La santé publique gère et théorise le traitement des épidémies en l’inscrivant dans une temporalité délimitée par des déclarations de début et de fin, et par un cycle épidémique qui fait succéder la préparation (domaine prioritaire depuis Ebola), la réponse (anciennement « riposte ») et le rétablissement (dès lors qu’un vaccin est disponible). Pour dépasser la succession incontrôlée de « phases de négligence et de panique », les analyses de type retour d’expérience (RETEX) alimentent la préparation pour l’épidémie suivante : chaque cycle épidémique est interprété comme un « cercle de qualité », appelant des améliorations des dispositifs qui doivent s’ajouter à celles du cycle épidémique précédent. Les études en sciences sociales à propos de ou avec la santé publique, inscrites dans cette approche visant le « retour à la normale » après la crise, en retrouvent des échos dans les récits épidémiques publics, souvent imprégnés de la rhétorique guerrière de l’élimination de l’agent pathogène à l’aide des mesures de biosécurité.

78 Les études virologiques et immunologiques peuvent s’inscrire dans d’autres temporalités des épidémies et apporter d’autres compréhensions des contextes écologiques et sanitaires. Pendant la pandémie de Covid, les enquêtes séro-immunologiques ont montré l’importance de la diffusion du SARS-CoV-2 dans les populations africaines que les résultats limités d’enquêtes épidémiologiques de morbidité ou de mortalité n’avaient pas laissé soupçonner. En révélant les circulations et mutations virales, en identifiant les populations « réservoirs » humaines ou animales, et en s’intéressant aux immunités collectives « sous la surface » des évènements biocliniques ou des données épidémiologiques, ces enquêtes les replacent dans un temps plus long, un espace plus vaste et des modalités d’expression plus diverses. Le séquençage génomique vient aussi parfois remettre en question la temporalité officielle des épidémies en identifiant des résurgences (à partir d’une personne guérie), comme ce fut le cas lors de la flambée d’Ebola de 2021 en Guinée, cinq ans après la première déclaration de fin de l’épidémie de 2014. Les traces sérologiques peuvent aussi refléter des épidémies antérieures méconnues de la santé publique, dans des populations qui se sont adaptées sans avoir été vaccinées ni soignées. Des études ont montré qu’une maladie aussi spectaculaire et dramatique qu’Ebola pouvait donner lieu à des formes asymptomatiques, c’est-à-dire que des populations ont acquis leur immunité sans vaccin. Ces observations conduisent à s’intéresser aux « collectifs » créés par la santé publique en temps d’épidémie (de malades, vaccinés, naïfs…) mais aussi aux formes de soins ou aux cohabitations symbiotiques avec les virus et les réservoirs qui permettent la construction de l’immunité collective sur une longue durée.

79 Pour des anthropologues intéressés par ce que les sociétés donnent à voir et ce qu’elles maintiennent dans l’ombre, la collaboration avec les virologues et les immunologistes met en lumière les logiques de choix stratégiques en santé publique et les limites des connaissances scientifiques sous-jacentes. Cette collaboration élargie permet aussi d’examiner les décalages entre « collectifs » de personnes ayant été en contact avec le virus, définis sur des bases cliniques ou séro-immunologiques, et de s’intéresser aux mesures, expériences vécues et dynamiques sociales concernant l’un et l’autre niveau (Desclaux et Barranca, 2020). Ces questions sont ravivées par les publications récentes à propos du Covid-long (Lehmann et al., 2022), qui montrent que peuvent en être atteintes des personnes qui n’ont pas eu de signes cliniques en phase aiguë, ou des personnes qui n’en portent pas de trace sérologique, ce qui diversifie les « collectifs » et les formes d’expérience de la maladie ou de l’infection que les anthropologues doivent explorer. Ces observations soulignent l’intérêt des enquêtes sur les traces biologiques et sociales des épidémies du passé, notamment par le recours des virologues à des biobanques qu’ils « font parler » grâce à des techniques nouvelles liées à des questions de recherche d’actualité ; les chercheurs en sciences sociales devraient pouvoir compléter ces analyses grâce à la « science ouverte » dans des projets dépassant la temporalité cyclique de la crise épidémique. Les avancées scientifiques qui vont orienter nos programmes de recherche telles que la « révolution du microbiome » amènent à considérer les crises épidémiques notamment comme les manifestations en surface de ruptures d’équilibres ou d’échanges informationnels en profondeur (Keck, 2017). L’ouverture à la virologie et à l’immunologie du dialogue interdisciplinaire ancien entre socio-anthropologie et santé publique, qui nous impose de reconsidérer les « collectifs » objets et/ou partenaires de recherche, semble être une des pistes accessibles par lesquelles les sciences sociales pourraient aborder ces défis conceptuels.

Des épidémies à l’aune des sciences sociales

80 Gabriel Girard (sociologue)

81 Pour des raisons à la fois personnelles, conjoncturelles et politiques, mon parcours de sociologue de la santé est indissociable des épidémies contemporaines sur lesquelles je travaille : VIH/sida, Covid-19 et plus récemment variole simienne. Indissociable en tant qu’objets de recherche, mais aussi opportunités de financement et espaces d’engagement citoyen.

82 La recherche dans ce domaine pourrait apparaitre, à de nombreux égards, comme l’illustration par excellence des bienfaits et des atouts de la pluridisciplinarité scientifique. L’histoire de l’Agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes en témoigne : elle constitue un outil et un catalyseur de ces collaborations interdisciplinaires, encore aujourd’hui – et peut-être d’autant plus avec son ouverture aux maladies émergentes. On a longtemps vanté, à juste titre à mon sens, cette marque de fabrique originale qui, des appels à projet en passant par les « actions coordonnées » et ses instances de direction, met la pluridisciplinarité au cœur de son action. Ce qu’on sait moins de nos jours c’est ce que cette inclinaison doit à l’histoire d’une mobilisation collective – la lutte contre le sida, et en particulier l’action du collectif TRT5 – et à la capacité de ses acteurs d’influer sur les différents domaines de l’action publique. À l’ANRS, les carcans disciplinaires ont longtemps paru secondaires au regard des urgences de vie et de survie qui étaient en jeu.

83 Pour autant, et la structuration du paysage de la recherche sur le VIH en France le démontre, même façonnées par la « cause » les relations interdisciplinaires sont prises dans des rapports de force et des jeux de légitimité. Jeune arrivant dans ce champ de recherche dans les années 2000, j’ai rapidement pu en mesurer les multiples défis. Difficile pour les sciences sociales – sociologie, anthropologie – de s’extraire du rôle de regard supplétif aux grandes questions épidémiologiques ou biomédicales. Ce rapport de force s’impose et s’intériorise très vite ! On apprend à rédiger une demande de financement dans un langage et autour de questions qui le rendront « lisible » (scientifiquement et stratégiquement) à d’autres perspectives disciplinaires. On négocie une place dans un essai biomédical pour y mener des entretiens ou des focus groups, tout en y voyant un point de vue passionnant pour mener une observation participante de la « recherche en train de se faire ». On s’acculture nécessairement (et souvent utilement) au langage des autres, pour mieux les lire et pour faire valoir ses propres arguments. Enfin, on s’habitue (ou pas) à cet entre-deux parfois inconfortable lors des processus de recrutement, qui fait de nous des personnes trop ancrées dans la sociologie pour les laboratoires de santé publique, et trop marquées par la santé publique pour les départements de sociologie.

84 De mon expérience accumulée, je retiens que la pluridisciplinarité est un champ de force, parfois rugueux, mais habité d’espaces de collaboration fructueuse dans le cadre de projets collectifs ou de concertations.

85 L’apprentissage majeur des dernières décennies réside selon moi dans la place prise par un tiers-acteur dans ces espaces scientifiques nichés : les personnes concernées par ces épidémies. Ils et elles ne sont évidemment pas les représentants d’une discipline à proprement parler – quand bien même mon collègue Bruno Spire, ancien président de AIDES, lui-même virologue et chercheur en santé publique, a l’habitude de parler de la « rienologie », non pas pour dévaloriser leurs expertises, mais pour souligner à quel point ces savoirs d’expérience n’ont besoin d’aucun diplôme universitaire pour s’exprimer.

86 Loin de constituer une évidence, ces perspectives issues du « vécu avec » la maladie se sont forgées une place dans le champ de force que je décrivais précédemment. Une place encore incertaine, et qui peut bien sûr faire l’objet d’instrumentalisations diverses. On a tôt fait de nommer un patient expert au sein d’un conseil scientifique, mais au nom de qui et de quelle(s) expérience(s) collective(s) s’exprime-t-il ou elle ?

87 Le développement de la recherche participative et/ou communautaire est un élément indéniable des évolutions récentes du contexte de la pluridisciplinarité. Le colloque organisé par l’IReSP les 9 et 10 mars 2022 en constitue une balise importante [3]. Il est indispensable que les sciences sociales s’y penchent, à la fois pour y contribuer scientifiquement, mais aussi pour en comprendre les ramifications et les conséquences sur nos manières de faire de la recherche sur les épidémies. Les exemples ne manquent pas : des symptômes persistants du Covid (ou « Covid long »), catégorie forgée et portée par les premiers concernés, à la mobilisation communautaire face à la variole simienne, les personnes touchées nous précèdent, bien souvent, dans la compréhension des défis auxquels elles font face.

88 Les futurs possibles de la place des sciences sociales dans les recherches sur les épidémies restent évidemment à construire, à partir et sans doute au-delà des institutions dédiées, notamment dans les réseaux professionnels disciplinaires ou thématiques. L’un des enjeux majeurs sera de former et d’accompagner les jeunes chercheuses et chercheurs de nos disciplines dans ces démarches.

89 Si je devais formuler un regret – et peut-être un souhait – ce serait d’élargir nos perspectives de sciences sociales dans ces domaines : à quelques exceptions notables, l’histoire et la géographie en constituent des absentes de marque. Puisse le dialogue entre nos disciplines susciter des collaborations en ce sens.

Transformer la Tour de Babel en abbaye de Thélème

90 Thierry Lang (professeur émérite de santé publique, ex-directeur de l’IFERISS)

91 En cinq mille caractères et plus encore sous une seule plume, il n’est pas question d’esquisser une théorie générale de l’interdisciplinarité, mais d’avancer quelques remarques, issues d’une expérience de treize ans de création et direction d’un institut de recherche interdisciplinaire : l’IFERISS (Institut Fédératif d’études et de Recherches Interdisciplinaires Santé Société). À l’origine de mon entrée en interdisciplinarité : l’épidémiologie sociale, mon activité scientifique. Plus qu’une discipline, c’est une ambition, puisqu’elle tente d’expliquer les liens entre la position dans la hiérarchie sociale et la santé, parmi les plus constants des résultats épidémiologiques. L’objectif général de l’épidémiologie, « écologie humaine », n’est pas moins vaste. Même si Boutier, Passeron et Revel (2006) nous rappellent qu’une discipline est un objet éminemment périssable, il y aurait un enjeu académique fort pour l’épidémiologie à consolider ses frontières actuellement poreuses. Mais pour comprendre la fabrication de la santé, et des inégalités sociales de santé (ISS) par la société, l’interdisciplinarité s’est imposée pour aborder aussi bien l’environnement externe, tant physico-chimique que social, que le milieu intérieur y compris moléculaire, dans une dimension temporelle au cours de la vie.

92 Comment avancer dans un monde académique aux allures de tour de Babel ? Les principes de l’Abbaye de Thélème (volonté d’avancer dans les savoirs, primum de la liberté (le bon vouloir) et possibilité de quitter l’abbaye selon son bon plaisir) ont inspiré un espace dans lequel les universitaires, chercheuses et chercheurs hétérodoxes, celles et ceux qui explorent les frontières de leur discipline, peuvent inscrire un temps leur recherche.

93 L’IFERISS s’est construit comme un espace de liberté par rapport au cloisonnement disciplinaire et aux territoires universitaires classiques, basé sur l’adhésion volontaire et limitée dans le temps d’académiques, indépendamment de leurs laboratoires d’origine, autour d’une thématique commune, les ISS. Les relations de pouvoir des organisations traditionnelles sont remises en question au profit d’interdépendances acceptées et fragiles, bien que n’échappant sans doute pas aux enjeux de rapports de pouvoir symbolique entre académiques et entre disciplines.

94 Quelques remarques émergent de cette expérience.

95 L’interdisciplinarité se pose comme une transgression, mais on ne transgresse pas sans risque. La fragilité de la structure en est le prix à payer. Objet indéfinissable dans un monde de la recherche basé sur les disciplines, sa légitimité scientifique n’a rien d’évident. Avant son évaluation positive par le HCERES (campagne d’évaluation 2019-2020), celle de la vague précédente n’avait pas pu être organisée à cause de la difficulté de constituer un jury pertinent.

96 Dans la mise en œuvre des programmes et projets, la polysémie des concepts et des termes est un obstacle souvent noté. Elle a mérité un véritable travail pour aboutir non pas à une traduction, encore moins à un consensus sur les termes, mais à une véritable connaissance de leurs significations pour l’autre ou les autres disciplines. Il n’a pas été question de se ranger sous une bannière sémantique unique, mais de comprendre le sens des termes employés dans d’autres champs, autrement dit d’identifier les frontières (Haschar-Noé et Lang, 2017).

97 Au projet initial, teinté d’épidémiologie, s’est substitué au fil des projets un parcours dessinant des oscillations entre pluri- et interdisciplinarité. Comprendre les enjeux d’une autre discipline au travers d’un projet a permis des réappropriations monodisciplinaires sur une thématique, reprise ensuite par d’autres. Ainsi, des travaux sur les savoirs experts et profanes ont été conduits dans le champ disciplinaire des SHS, mais la mise en commun des résultats a été décisive à la réflexion pour d’autres projets interdisciplinaires.

98 Face à la recherche interventionnelle (RI) visant la réduction des ISS, l’interdisciplinarité suppose un débat épistémologique sur la posture des différentes disciplines, dont l’intervention sur le monde est « naturelle » pour celles issues de la santé et objet de débats dans le domaine des SHS. La participation de « profanes » dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’analyse de projets de RI a permis de développer une recherche en partenariat et aux acteurs de passer d’un « registre pragmatique » à un travail réflexif d’explicitation qui révèle le cadre théorique, masqué par la pratique, et susceptible d’être transféré dans un autre contexte. La RI peut ancrer les projets dans une réalité locale et gagner en pertinence. Cette orientation a conduit à créer une plateforme ouverte aux associations et collectivités territoriales, offrant des prestations de service, un partage de connaissances, à l’origine éventuelle d’un programme de recherche en commun. Un risque est cependant de concentrer la réflexion au niveau local en omettant l’analyse et le travail sur les déterminants sociétaux de la santé et des ISS, résultant de politiques nationales.

99 Dans le domaine des ISS et de leur réduction, un enjeu majeur porte sur la transférabilité des interventions, d’un territoire, d’une population voire d’une période à une autre. Ceci suppose de rendre compte des effets du « contexte » dans lequel une observation ou une intervention sont situées. Cette étape est sans doute un défi interdisciplinaire, mais nécessaire pour faire émerger les invariants, régularités, fonctions-clés des interventions de RI. Toujours sur les ISS, un travail avec les sciences politiques est à poursuivre pour mieux comprendre les mécanismes de mise à l’agenda politique des connaissances et modes d’interventions issues de la recherche.

100 Au total, dans un environnement contraint par les disciplines, la fragilité assumée d’une structure souple, sur une thématique commune, a pu laisser de la latitude aux rencontres et au déploiement de l’action interdisciplinaire pour des chercheurs et chercheuses dotées d’un goût pour les paysages nouveaux et la « culture du dépaysement » selon l’expression d’Isabelle Stengers (2013).

Santé publique et promotion de la santé

L’importance de la pluridisciplinarité en promotion de la santé

101 François Beck (sociologue, directeur de la Prévention et de la promotion de la santé à Santé publique France)

102 La promotion de la santé s’est d’emblée inscrite dans une logique, tracée dès la création de l’OMS, d’élargissement de la notion de santé à une recherche du bien-être complet de l’individu. L’articulation entre les différentes sciences humaines et sociales et la santé publique est par la suite apparue de plus en plus nécessaire dans cette perspective, entraînant de facto la mobilisation de nombreuses disciplines.

103 La recherche sur le VIH ou sur les usages de drogues illicites a notamment entériné, à la fin du siècle dernier, la nécessité de mobiliser des disciplines variées (anthropologie, sociologie, psychologie, méthodes mixtes, savoir expérientiel des usagers ou patients experts, sciences de l’éducation, géographie, etc.) pour être en capacité de recueillir, d’analyser pleinement et d’interpréter finement les données, mais aussi de concevoir des actions de prévention et de promotion de la santé (PPS) efficaces.

104 La reconnaissance que l’urgence sanitaire pour les usagers de drogue par voie intraveineuse, en période d’épidémie de VIH ou de VHC, était d’éviter leur contamination a permis l’émergence d’un paradigme de réduction des risques, se substituant à la logique de recherche de l’abstinence qui prévalait jusqu’alors. Les initiatives associatives en prévention ont ainsi montré l’importance de la participation des usagers apportant leur expertise. Cette évolution a conduit à l’émergence de nouvelles approches basées sur la santé communautaire et les dynamiques de responsabilisation [4].

105 Le constat de la persistance d’importantes inégalités sociales et territoriales de santé a conduit à des adaptations des mesures de PPS. Sir Michael Marmot a ainsi proposé d’agir sur le gradient social par une approche d’universalisme proportionné. Elle consiste à offrir une intervention pour tous, mais avec une intensité et une approche s’adaptant aux niveaux des besoins spécifiques. Cela se concrétise par des études et interventions prenant en compte l’ensemble du gradient social, renforcées par des actions spécifiques souvent plus communautaires ciblant des populations particulièrement fragilisées en s’appuyant sur des associations au contact des publics cibles. Pour atteindre les populations les plus précarisées et les plus éloignées du système de soin, il est nécessaire d’aller vers elles d’où le développement de nouveaux métiers comme la médiation en santé. Cela passe à la fois par la conception d’actions spécifiques et par la prise en compte de la littératie en santé, avec l’adaptation des outils de communication pour les rendre plus faciles à comprendre.

106 L’enjeu de la PPS est d’améliorer la santé de la population dans son ensemble comme dans ses différentes composantes territoriales ou populationnelles. Pour y parvenir, il convient d’agir à la fois sur ses déterminants individuels, sociaux et structurels sur un continuum d’actions allant des approches individuelles aux approches populationnelles. Ces différentes dimensions font qu’une collaboration pluridisciplinaire est nécessaire pour obtenir la compréhension globale d’une situation afin de mener des interventions concertées et adaptées à la complexité de la réalité.

107 En renforçant l’approche intersectorielle pour instiller la santé dans toutes les politiques, le recours au plaidoyer constitue un levier complémentaire et puissant aux autres stratégies de PPS. La notion d’urbanisme favorable à la santé est un bon exemple de ce que peut produire le plaidoyer pour la prise en compte des problématiques de santé dans un projet politique ou territorial relevant a priori d’un autre domaine.

108 Il apparaît crucial de prendre en compte l’individu dans sa globalité (interactions, environnement de vie, mais aussi aspirations, intentions, etc.) pour accompagner véritablement le changement de comportement lorsque cela s’avère nécessaire d’un point de vue de santé publique. L’amélioration des connaissances de la population est importante mais elle ne suffit pas, il faut aussi lever les freins à l’adoption de comportements bénéfiques pour la santé. Dans cette perspective, la mobilisation des sciences comportementales, en complément des autres sciences humaines et sociales, permet d’appréhender l’individu tel qu’il fonctionne effectivement et non tel qu’une certaine rationalité devrait le conduire à agir, ignorant certains de ces freins.

109 La PPS s’appuie désormais largement sur le marketing social, nouvelle modalité d’intervention mobilisant de nombreuses disciplines. Celui-ci a en effet la capacité de toucher de façon ciblée ou universelle une très grande partie de la population, à un coût unitaire faible. Cette approche se révèle donc puissante mais nécessite une compréhension fine des aspirations et des contraintes de la population. Le marketing social critique vient compléter cette approche afin d’offrir une réponse de santé publique face aux déterminants commerciaux de la santé qui viennent se surajouter aux déterminants sociaux. Il s’agit alors de produire des analyses et des plaidoyers visant à faire évoluer les réglementations comme l’interdiction totale ou partielle de la publicité pour certains produits défavorables à la santé, leur taxation (tabac, alcool, boissons sucrées, etc.), l’imposition d’avertissements sanitaires (tabac) ou la promotion d’une information nutritionnelle simplifiée (Nutri-Score).

110 Enfin, il s’avère nécessaire de mettre en œuvre des programmes de PPS dont l’efficacité a été montrée par la recherche en évaluation et systématiser les mesures d’impact des interventions, développer notre capacité à calculer le retour sur investissement en mobilisant l’économie de la prévention. Il est en effet indispensable de démontrer que la prévention peut être un investissement rentable et pas seulement une dépense symbolique à fonds perdus. C’est à cette condition que ces actions pourront agir sur des déterminants tels que les usages d’alcool et de tabac, la sédentarité… dont le fardeau en termes de maladies non transmissibles s’avère particulièrement lourd.

111 Face aux grands défis de santé, une mobilisation de tous les leviers apparaît cruciale. Il est indispensable de combiner les approches de réduction des risques et de promotion de la santé (environnements et facteurs protecteurs). L’interdisciplinarité entre sciences sociales et santé est essentielle car il n’y a pas d’action efficace possible sans une compréhension approfondie de la nature socio-anthropologique des personnes et des groupes sociaux à qui on souhaite s’adresser.

Recherche en promotion de la santé : une nécessaire hybridation disciplinaire

112 Linda Cambon (enseignante – chercheuse en santé publique, Professeure titulaire de la chaire de prévention de l’ISPED)

113 La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. C’est un domaine d’action social et politique visant à renforcer les capacités des individus à prendre soin d’eux et à proposer des mesures structurelles modifiant les environnements économiques, sociaux et physiques. Polymorphe, il investit des mesures de niveaux, de portée, de secteurs et d’effets différents. Cette complexité n’est pas sans conséquence. L’une d’entre elles concerne la recherche dans ce domaine qui souffre d’une forme d’instabilité disciplinaire. Celle-ci ne peut être résolue qu’en renonçant à ses origines et en acceptant de repousser des frontières épistémologiques.

114 De la nécessité de « tuer le père »

115 La recherche en promotion de la santé s’inscrit dans la recherche interventionnelle en santé publique en ce qu’elle vise à documenter les solutions à apporter aux fardeaux de santé. Par cette homothétie, la recherche en promotion de la santé a tenté de faire sien son paradigme expérimental : posture positiviste, privilège accordé au quantitatif et au contrefactuel, ambition de produire des lois universelles « toutes choses étant égales par ailleurs ». Or, si la santé publique cherche à améliorer la santé, la promotion de la santé cherche à donner les moyens aux populations de l’améliorer. Nuance fine, mais majeure, dès lors que l’on souhaite démontrer les effets des interventions. En effet, du point de vue de la promotion de la santé, la santé ne se résume pas à la morbidité et à la mortalité mais renvoie au bien-être individuel, social et sociétal [5]. Ainsi, toutes les interventions ne se valent pas et leur bénéfice est une question de point de vue. Par exemple, un traitement peut allonger l’espérance de vie mais dégrader tellement sa qualité qu’il rend ces années supplémentaires insupportables. Une mesure peut ralentir la propagation d’une maladie (par exemple, le confinement pour la Covid-19) mais avoir des conséquences sur d’autres facteurs de santé (par exemple, les effets dudit confinement sur la santé mentale, l’apprentissage, la violence intrafamiliale, le retard de soins, etc.). Certaines mesures peuvent avoir un bénéfice individuel, mais socialement différencié, accroissant ainsi les inégalités au sein d’une même population. Ceci fait que la notion d’efficacité en santé publique, centrée sur un indicateur de morbidité/mortalité, n’est pas appropriée car il ne peut y avoir ni effet unique ni isolation causale. Ce que l’on doit documenter est en réalité une cascade d’effets, anticipés ou non, socialement différenciés ou non, à court ou à long terme, et contextuellement situés. Le paradigme expérimental se révèle alors non pertinent. Des adaptations sont réalisées (essais pragmatiques, études quasi-expérimentales, etc.) mais considérées comme de moindre validité, entraînant par là même l’idée que la recherche en promotion de la santé serait de moindre qualité. En réalité, l’enjeu serait plutôt d’assumer le fait que le domaine de la santé publique, disciplinairement ancré dans l’épidémiologie, n’est pas le père de la recherche en promotion de la santé ; cette dernière est finalement plus en phase avec la recherche en sciences sociales puisqu’elle privilégie une approche explicative phénoménologique, mobilisant des ancrages théoriques multiples, et considérant le contexte comme fondamental à étudier. Ceci vaut dans la recherche mais également dans l’expertise, comme d’ailleurs le soulignent les dernières recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique (2021) concernant la gestion des futures crises, appelant à croiser les regards sur les mesures à mettre en œuvre.

116 Un virage épistémologique

117 La recherche en promotion de la santé est donc un carrefour théorique et méthodologique, qui doit par conséquent tirer sa cohérence d’une approche profondément pluridisciplinaire. Il s’agit ici de ne pas confondre mixité méthodologique – par exemple, intégrer des entretiens au côté d’un questionnaire pour approfondir les résultats – et véritable interdisciplinarité qui appelle à penser l’objet étudié, le problématiser, et l’investir collectivement au travers de plusieurs focales disciplinaires. Le chemin est ambitieux, car il oblige de fait les chercheurs à sortir de leur monde pour comprendre, se faire comprendre et influencer d’autres mondes. Au-delà des questions sémantiques, l’une des principales difficultés tient au positionnement épistémologique dans lequel s’inscrit chaque discipline. En effet, il a un impact sur l’objectif de l’étude, les choix méthodologiques et le type de conclusions (par exemple, perspectives de généralisation ou recommandations différenciées).

118 On comprend dès lors qu’il ne s’agit plus seulement d’associer des disciplines mais de les hybrider dans une perspective transdisciplinaire. En d’autres termes, il revient à chaque chercheur non seulement d’apporter son bagage épistémologique, mais de s’en défaire aussi, pour partie, pour mieux intégrer celui de ses partenaires, en tout cas au sein de la recherche co-construite. Cet engagement, parfois très perturbant, conditionne la valeur et la cohérence de la recherche produite, car elle pourra alors se défaire des codes qui régissent individuellement chacune des disciplines pour en construire de nouveaux, collectifs. Cela ne peut se faire qu’en adoptant une posture épistémologique dite « pragmatique » c’est-à-dire qui « s’affranchit des débats sur la nature des réalités observées pour se centrer sur la compréhension pratique de problèmes concrets du monde réel » (Patton, 2005). La recherche en promotion de la santé pourra alors renouer avec ses racines opérationnelles, en produisant une connaissance qui tient sa validité de sa capacité à faire sens autant pour ceux qui l’utilisent que pour ceux qui la produisent.

Développer le travail d’articulation des disciplines dans la recherche en santé publique

119 Cécile Fournier (sociologue et médecin de santé publique)

120 Comme dans de nombreux domaines de recherche, le croisement des regards scientifiques est de plus en plus valorisé en matière de santé publique. Les usagères et usagers du système de santé en attendent une mise en valeur de leur expérience et de leurs besoins, les soignantes et soignants des orientations pour l’action, et les membres des pouvoirs publics des points d’appui pour définir et évaluer les politiques et l’offre de services. Cependant les obstacles à la mise en œuvre d’approches pluridisciplinaires restent nombreux. Ces approches demandent en effet un travail spécifique, qui demeure peu reconnu, peu soutenu, et donc rarement considéré ou priorisé par les chercheuses et les chercheurs.

121 J’occupe à double titre une position privilégiée pour observer ce travail, en pratiquant une pluridisciplinarité incarnée liée à ma trajectoire professionnelle entre médecine spécialisée en santé publique et sociologie (Gelly et al., 2021), et par la pratique d’une pluridisciplinarité en actes avec des géographes et des économistes, dans le travail quotidien mené à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES). Nos recherches collectives visent à analyser des pratiques et des organisations, et à apprécier des transformations liées à certaines expérimentations ou politiques de santé, particulièrement en soins de premiers recours. À partir de cette position d’observatrice, je souhaite évoquer le travail spécifique nécessité par la pluridisciplinarité, les difficultés rencontrées et proposer des solutions pour les dépasser.

122 L’analyse de programmes pluridisciplinaires parvenant à aller au-delà d’une juxtaposition d’approches disciplinaires montre la nécessité d’un travail collectif supplémentaire engageant les chercheuses et les chercheurs (Kivits et al., 2013). Ce travail repose, tout au long des programmes, sur au moins six piliers : une déconstruction des termes dans lesquels est formulée la commande publique et des conditions institutionnelles dans lesquelles la recherche est menée, ainsi que des effets que celles-ci ont sur les savoirs produits ; des opérations réitérées et méticuleuses de traduction et d’explication systématiques des concepts et des méthodes liées aux disciplines en vue d’une acculturation réciproque ; l’élaboration de problématiques partagées ; une créativité dans le choix et l’articulation des méthodes de recueil et d’analyse ; un va-et-vient entre les différents types de savoirs produits, pouvant aboutir ou non à des savoirs hybridés [6] ; et enfin une valorisation de ces savoirs à la fois dans des espaces disciplinaires, garants de la scientificité de la démarche, mais aussi dans des espaces pluridisciplinaires, voire, dans une démarche proche de la recherche interventionnelle (Marchand et Rollin, 2015), dans des espaces professionnels et citoyens.

123 Ce travail s’avère délicat en raison de l’histoire de la structuration des disciplines, et en particulier du champ disciplinaire de la santé publique, qui a conduit à de fortes hiérarchies. La médecine et l’épidémiologie occupent ainsi une position dominante, rejointes plus récemment par l’économie qui s’est développée dans une perspective appliquée aux politiques publiques. Dans cette perspective, les hiérarchies se voient encore renforcées par l’acculturation des financeur·e·s à l’Evidence Based Public Health et aux approches quantitatives, au détriment des approches qualitatives mobilisées par d’autres disciplines de sciences sociales. Si le décloisonnement entre disciplines est difficile en France, c’est aussi parce que les carrières s’y construisent essentiellement dans des espaces disciplinaires. De surcroît, l’institutionnalisation académique des disciplines participe à dévaloriser les approches appliquées – et les supports de publication qui leur sont dédiés – en leur reprochant d’être prisonnières de leur objet, ou orientées par les attentes de leurs commanditaires. Tout en ne niant pas ce risque, je défends l’idée qu’il est possible de le relativiser par un travail sérieux d’analyse par les chercheuses et les chercheurs de leur position sur le terrain, et que ce travail se trouve même facilité par les regards croisés de plusieurs disciplines.

124 C’est pourquoi il semble plus que jamais nécessaire de prendre au sérieux le travail que représentent ces approches pluridisciplinaires. Accroître et pérenniser le financement de ce travail permettrait en outre à des collectifs pluridisciplinaires de développer des réflexions croisées sur la dimension politique des savoirs produits, et de mettre en débat l’utilité sociale de ceux-ci. Un des moyens d’encourager et valoriser ces approches pluridisciplinaires pourrait être de créer des collectifs hybrides réunissant chercheurs, professionnels et citoyens, et de soutenir les efforts de capitalisation et de transférabilité des savoirs scientifiques pour permettre des choix démocratiques éclairés concernant les priorités de recherche. Des collègues interrogent ainsi le mouvement des Slow Sciences, invitant à penser de nouvelles citoyennetés académiques [7]. Soutenir de tels collectifs contribuerait sans doute à restaurer la confiance de la population dans la science, confiance mise à mal au fil des crises – notamment sanitaires – traversées ces dernières années.

Santé environnementale – One Health

Santé environnementale : pour l’humilité scientifique et l’ambition sociale

125 Brice Laurent (sociologue, directeur de la Direction Sciences Sociales, Économie et Société de l’ANSES)

126 Depuis que l’OMS a défini la santé environnementale comme l’ensemble des composantes « de la santé humaine et des maladies […] déterminées par l’environnement », le sujet est devenu brûlant pour les pouvoirs publics, mais aussi pour les nombreux acteurs concernés par les conséquences des dégradations environnementales. Au fil des controverses publiques qui mettent en lumière les difficultés à maîtriser les risques posés par les activités humaines, on peut repérer deux lectures de la santé environnementale dans les débats publics et la littérature scientifique.

127 Une lecture critique est marquée par le désenchantement. Elle repère le « monde toxique » dans lequel nous vivons tous, les « ruines » que le capitalisme laisse derrière lui, et constate l’impossibilité de contrôler les multiples sources de pollutions environnementales qui affectent irrémédiablement la santé humaine et la biodiversité. Cette lecture est renforcée par les nombreux travaux en sciences sociales qui ont montré la difficulté pour l’action publique de saisir des objets traversant les frontières réglementaires, et pour lesquels des intérêts économiques considérables incitent des acteurs industriels puissants à s’opposer à des contraintes ou des interdictions. La réaction est ici critique, mais aussi pessimiste. Elle court le risque de mener vers le découragement devant l’ampleur des tâches à accomplir.

128 La seconde lecture est scientifique. Elle consiste à faire de la santé environnementale un problème à traiter par des mesures, des modèles et des évaluations. Le mot d’ordre One Health peut ainsi conduire à chercher le modèle (idéalement quantifié) qui permettrait d’articuler examens de la santé animale, de la santé humaine et de l’environnement afin d’évaluer les expositions et leurs conséquences, et identifier précisément les risques. Cette lecture fondée sur l’autorité de la science est parfois adoptée par des institutions publiques en charge de fournir des expertises et soucieuses de la rigueur de leurs évaluations, mais aussi par des décideurs qui considèrent que seule la science est capable d’assurer la confiance. Malgré son attrait, la lecture scientifique peine à répondre aux interrogations soulevées par des incertitudes persistantes, par exemple sur les faibles doses, les effets cocktails, les interactions entre santé animale et santé humaine ou encore les conséquences à long terme des expositions. Finalement, elle échoue bien souvent à éteindre les controverses et à garantir la confiance.

129 Peut-on penser dans d’autres termes les enjeux de la santé environnementale ? Une voie possible consiste à renverser les perspectives de la lecture critique et de la lecture scientifique. Plutôt que le renoncement face à la destruction du monde, elle endosse une ambition sociale explicite, qui se donne comme objectif de comprendre les vulnérabilités face aux risques, de défendre la justice environnementale et, plus généralement, de considérer les décisions relevant de la santé environnementale comme des choix de société. Plutôt que la mobilisation d’une « science » en position d’autorité et censée trancher grâce à une description exhaustive des problèmes et des solutions à leur apporter, cette voie alternative revendique une posture d’humilité pour l’expertise, appelée à faire dialoguer des savoirs hétérogènes issus de diverses disciplines des sciences naturelles et des sciences sociales mais aussi à associer des acteurs scientifiques et non-scientifiques dans l’élaboration continue de nouveaux questionnements.

130 L’humilité scientifique et l’ambition sociale sont les deux faces d’une même médaille. Pas d’humilité scientifique sans reconnaissance que toute science de l’environnement et de la santé est aussi sociale (quelle question poser ? comment faire avec des incertitudes ?). Pas d’ambition sociale sans exploration de l’état des connaissances, sur les risques connus ou possibles, sur les inégalités sociales ou encore sur l’extension spatiale des expositions. On le voit, cette approche de la santé environnementale repose sur l’extension des connaissances mais aussi sur la poursuite d’une démarche critique : affirmer l’ambition sociale et assurer l’humilité scientifique, c’est maintenir la capacité à repérer les effets d’exclusion d’acteurs, de connaissances et de problèmes.

131 Cette version de la santé environnementale requiert l’exploration collective des incertitudes et des zones d’ignorance. Elle repose nécessairement sur un pacte collectif dont la construction doit associer les institutions publiques et les citoyens et qui suppose un travail institutionnel conséquent. Mais en ouvrant des horizons épistémologiques et politiques que les difficultés des lectures critique et scientifique risquent fort de boucher, elle peut renouveler les rapports des sociétés contemporaines avec leur environnement et ouvrir des possibilités d’action collective.

One Health, une stratégie d’établissement, un dialogue (inter)disciplinaire, un parti pris méthodologique

132 Sébastien Gardon et Amandine Gautier (politistes)

133 En tant qu’enseignants-chercheurs à l’École Nationale des Services Vétérinaires – France Vétérinaire International / VetAgro Sup, nous avons structuré nos activités de recherche et de formation depuis une dizaine d’années autour des maladies infectieuses et plus largement de la construction et de la gestion des risques sanitaires et environnementaux à l’échelle nationale et internationale. Avec Gwenola Le Naour, nous avons en effet été à l’origine d’un Master d’analyse des politiques publiques [8], en partenariat entre SciencesPo Lyon et VetAgro Sup, qui avait pour objectif de former les inspecteurs vétérinaires aux sciences sociales et politiques. Depuis lors, ensemble, séparément ou avec les étudiants, nous avons poursuivi ce travail sur de nombreux sujets : la profession vétérinaire, les politiques de gestion du risque sanitaire et environnemental [9], en variant les points d’entrée, les focales et les méthodes.

134 Ces travaux, mis en œuvre dans un cadre encore largement vierge pour les sciences sociales [10], ont constitué des espaces de négociation constante, face notamment aux difficultés de compréhension par nos collègues et nos étudiants vétérinaires de la posture sociologique et de la recherche qualitative et aux attentes formulées en termes d’acceptabilité. Ils ont également constitué un formidable terrain d’enquêtes et de découvertes pour documenter les pratiques quotidiennes de la gestion des risques en santé et leur problématisation. Nos dynamiques de recherches se sont adaptées à celles que nous observions à partir du champ des politiques de santé animale et du ministère de l’Agriculture en particulier.

135 À l’horizon des années 2017-2019, nous avons ainsi pris pour objet de recherche les re-problématisations en cours des questions de santé et de maladies infectieuses sous le prisme des pertes en biodiversité. En effet, notre participation au GT Santé et Biodiversité du Plan National Santé Environnement 3, en parallèle de nos travaux portant sur les crises sanitaires impliquant la faune et la flore sauvages et d’une recherche spécifique commanditée par l’Agence Française de la Biodiversité sur les interfaces entre santé et biodiversité, ont eu pour conséquence de nous intéresser au mot d’ordre One Health et à ses impacts en termes de gouvernance de la santé en France et aux dynamiques des groupes professionnels qui en étaient parties prenantes. Cette dynamique faisait écho à l’évolution des disciplines de nos collègues de VetAgroSup moins tournées vers la production de savoirs à partir de besoins et davantage à partir des pratiques réelles des acteurs et des observations en situation [11] et qui donnaient à la santé des éleveurs, des animaux, des végétaux, des écosystèmes une importance nouvelle [12].

136 A partir de nos enquêtes réalisées en France dans les mondes administratifs, médicaux, vétérinaires et agricoles, nous avons mis en place des formations One Health dès 2019 [13], en revendiquant une approche critique, attentive aux enjeux professionnels et d’institutionnalisation de One Health, mais aussi par le bas en présentant des initiatives développées dans les territoires.

137 Travailler sur des sujets d’actualité, dans des contextes d’action fluctuants et incertains, avec des acteurs dont nous sommes proches et au sein d’institutions et de communautés auxquelles nous appartenons (ENSV, VetAgro Sup, ministère de l’Agriculture), nous renforce dans le choix de pratiquer une sociologie des dispositifs et de l’action publique par le bas. Cela nous pousse à être attentifs aux pratiques, aux contextes territoriaux, au travail des acteurs au sein de coalitions et d’institutions périphériques pour faire émerger des politiques One Health de manière incrémentale et à rebours du fonctionnement des secteurs d’action publique. En effet, si le concept rencontre un succès au niveau international dans les discours et définitions et à travers des espaces d’échanges qui engagent les organisations internationales, l’échelle d’intervention nationale est encore prisonnière de logiques corporatistes et professionnelles qui ne favorisent par l’inter-ministérialité ou des projets plus transversaux et intégratifs nécessaires pour l’articulation des trois santés. La pratique d’enquête sociologique au plus près des initiatives locales est donc précieuse pour rendre compte de ces démarches et stratégies souvent invisibles à d’autres échelles d’action publique.

La pluriprofessionnalité comme ancrage dans le réel des cancers professionnels

138 Moritz Hunsmann (sociologue), Églantine Armand-Rastano (assistante sociale hospitalière), Sylvain Bertschy (historien), Tania Dos Santos (sociologue), Cécile Durand (sociologue), Yves-Gabriel Kerisit (statisticien), Solenne Larrère (socio-anthropologue), Judith Wolf (sociologue), Borhane Slama (praticien hospitalier) & l’Équipe du GISCOP 84

139 Un récent rapport au Parlement estime à entre 50 700 et 80 400 le nombre annuel de cas de cancers professionnels non reconnus en France [14]. Depuis 2017, le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle dans le Vaucluse (GISCOP 84) mène une « enquête permanente » auprès de patients atteints de cancer hématologique pris en charge au Centre hospitalier d’Avignon (CHA). Semblable à celle que le GISCOP 93 conduit depuis 20 ans en Seine-Saint-Denis, la démarche de recherche vise à produire des connaissances sur les activités de travail exposant aux cancérogènes, leur traçabilité et les résistances à leur reconnaissance (Hunsmann et al., 2021). Co-initiée par des sociologues et des médecins, cette démarche pluriprofessionnelle et interdisciplinaire est à la croisée des sciences humaines et sociales (sociologie, géographie, droit, histoire), d’une part, de la clinique, de l’épidémiologie et des sciences biologiques et physico-chimiques, d’autre part.

140 L’enquête du GISCOP 84 part de la description fine des activités de travail réel par les patients atteints de cancer lors d’un entretien de reconstitution de leur parcours professionnel. Ces parcours sont ensuite analysés par le Collectif pluridisciplinaire d’expertise des conditions de travail et des expositions toxiques du GISCOP 84, qui identifie et caractérise, à chaque poste de travail, les expositions aux cancérogènes (classements CIRC & UE). Composé de médecins et infirmières du travail, de sociologues, (ergo)toxicologues, ingénieurs de prévention, chimistes, d’un physicien et d’un patient-expert (secteur nucléaire), ce collectif s’appuie sur les savoirs scientifiques et l’expérience pratique de ses membres concernant les milieux de travail, afin de remonter la trace des expositions passées et d’identifier les plus récentes. Les patients considérés au vu de leurs expositions comme éligibles (environ 50 %, sans tri en amont des patients) sont orientés vers une démarche de déclaration de maladie professionnelle. Celles et ceux qui souhaitent s’y engager sont accompagnés dans les procédures (souvent longues et compliquées) par une assistante sociale hospitalière et une sociologue chargée du suivi.

141 Il s’agit notamment d’éclairer les inégalités sociales et spatiales devant l’exposition, les dynamiques d’invisibilisation des risques liés au travail et les inégalités sociales de santé qui en résultent. Aussi, mobilisant les données fines sur les expositions cancérogènes produites par l’enquête, nous initions des recherches sur l’effet de ces expositions sur l’agressivité des cancers et la réponse thérapeutique des patients. Reposant sur un constat empirique des cliniciens, l’hypothèse est ici que les patients ayant subi de fortes expositions aux cancérogènes ont plus de risque de développer des cancers de moins bon pronostic (y compris par chimiorésistance) que les autres patients.

142 La force de cette démarche pluriprofessionnelle réside dans sa capacité à saisir la réalité du travail et de ses transformations, de ses liens avec la maladie et des difficultés d’accès aux droits qui en résultent. Les récits des patients donnent à voir l’évolution des formes de division du travail et des risques, notamment du fait du recours croissant à la sous-traitance et à l’intérim, et la manière dont elle crée les conditions de possibilité d’exposition aux cancérogènes et de la survenue des cancers. L’expérience des patients face aux pratiques variables des caisses d’assurance maladie est aussi au cœur de leur accompagnement dans les procédures complexes de déclaration en maladie professionnelle. La réalité de la prise en charge des cancers professionnels est également celle des médecins, infirmières et assistantes sociales, qui luttent pour exercer leur métier en pleine crise de l’hôpital public. Le lien au réel vient, enfin, du caractère inter-institutionnel du GISCOP 84 [15], qui enrôle des acteurs divers dans le développement de cette démarche de recherche pour l’action. L’interaction continue avec les institutions du champ ouvre un espace d’échange sur ce « problème orphelin » ; elle permet aussi de montrer comment, souvent, celles-ci sont aux prises avec leurs propres contradictions (Marchand, 2022).

143 Produire des données inédites par interaction en face-à-face, suivre les patients en prenant en compte leurs situations particulières et leur expérience, s’assurer entre membres de l’équipe aux cœurs de métiers fort différents de bien « parler le même langage », réexpliquer régulièrement notre démarche à nos multiples interlocuteurs, tout cela prend beaucoup de temps. Mais c’est dans cet ancrage dans le réel que cette démarche trouve son sens – et le potentiel d’identifier les transformations possibles et nécessaires pour agir sur la réalité observée. Ces transformations concernent des champs d’intervention complexes – de la mise en visibilité des expositions toxiques à la prévention des cancers du futur, de l’accès aux droits à l’adaptation de la prise en charge thérapeutique en fonction des expositions subies. S’il est impossible d’appréhender pleinement la réalité des cancers professionnels via une seule discipline, la pluriprofessionnalité est sans doute le seul chemin possible pour la changer.

144 Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

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Date de mise en ligne : 15/12/2022

https://doi.org/10.1684/sss.2022.0238

Notes

  • [1]
    Dans le cas qui nous occupe, cette asymétrie est assez étonnante, dans la mesure où, au-delà des déclarations des associations qui s’appuyaient sur les témoignages de leurs membres pour contester l’utilité de ces thérapies, NICE avait jugé bon de commanditer à des équipes de recherche des enquêtes auprès des patients.
  • [2]
    C’est l’objectif du projet GENDHI (Gender Health Inequalities), porté par Nathalie Bajos, Muriel Darmon, Michèle Kelly-Irving et Pierre-Yves Geoffard (Grant Agreement number: 856478 – ERC- 2019-SyG).
  • [3]
  • [4]
    Au sens du concept anglosaxon d’empowerment.
  • [5]
  • [6]
    Selon l’idée proposée avec Anne Véga et Laurent Marty au séminaire « Les sciences humaines et sociales face à l’interdisciplinarité dans les recherches en santé : pratiques, lieux, enjeux et perspectives », organisé en 2017 par des membres du réseau thématique santé de l’Association française de sociologie.
  • [7]
    Voir le séminaire « Citoyennetés académiques : slow science et recherche-action » animé par Marc Bessin, Isabelle Bourgeois, Véronique Bayer, Zoé Rollin et Pascale Haag à l’EHESS à partir de 2014.
  • [8]
    Parcours politiques de l’alimentation et gestion des risques sanitaires.
  • [9]
    Les produits chimiques en élevage, la gestion de la santé animale et des zoonoses, la sécurité sanitaire des aliments, le bien-être animal.
  • [10]
    En France, les écoles vétérinaires ne développent pas – encore – d’enseignement en sciences sociales.
  • [11]
    La zootechnie comme l’agronomie témoignent d’une histoire d’émancipation vis-à-vis d’un référentiel productiviste mis en œuvre dans l’élevage et l’agriculture, le développement du bien-être animal comme objet de recherche, etc.
  • [12]
    En témoigne la mise en place au sein de VetAgro Sup de l’Option d’Ingénieurs Agriculture Environnement Santé et Territoires de laquelle nous sommes parties prenantes.
  • [13]
    Un diplôme d’Établissement One Health en pratiques, un master international One Health, un cycle des hautes études en santé globale avec l’EHESP et AgroParisTech.
  • [14]
    « Estimation du coût réel, pour la branche maladie de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles », rapport par la commission instituée par l’article L. 176-2 du code de la sécurité sociale, https://www.securite-sociale.fr, 30 juin 2021, p. 82.
  • [15]
    Les douze membres du GISCOP 84 sont : le Centre hospitalier d’Avignon, Avignon Université, l’EHESS, le ministère de l’Agriculture, la DREETS PACA, la Ligue contre le Cancer, l’AIST 84, l’association Phyto-Victimes, la CRIIRAD et le Grand Avignon – ainsi que l’ARS PACA et le Conseil régional PACA (membres invités).

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